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Les Actes du Colloque E-Pairs Association SMT du vendredi 14 juin 2013
« La clinique médicale du travail » Contribution de la médecine du travail

THEME N°-4 : Ouvrir à la prévention individuelle et collective ; restaurer le pouvoir d’agir
Florence Jégou, Gérard Lucas, Thérèse Buret

L'amélioration des conditions de travail est le premier élément de préservation ou de construction de la santé au travail. S’il est vrai que la transformation de ces conditions de travail peut se dérouler avec des règles objectives et des normes matérielles, elle se déroule surtout grâce aux actions des salariés eux-mêmes et à celles de leurs collectifs de travail, dans des dynamiques individuelles et collectives. La clinique médicale du travail se préoccupe d’explorer finement le réel de l'activité grâce à ce que chaque salarié parvient à dévoiler de son travail et grâce à ce qu’il élabore avec le médecin du travail sur son activité. Elle est un outil de prévention en individuel avec l'appropriation par le sujet d'un pouvoir d'agir lors du dialogue entre le médecin et le salarié qui permet d’établir des liens santé-travail. Collectivement, la clinique médicale du travail permet également la prévention de différentes façons. C’est ainsi un catalyseur efficient de santé au travail. C'est ce que nous tentons de montrer dans cet exposé, d’abord pour la prévention individuelle et ensuite pour la prévention collective.

I. La prévention individuelle par la clinique médicale du travail.

A. Les consultations

Au quotidien dans nos consultations, la description du travail par le salarié dans les tâches les plus anodines vise à permettre de décrypter ce qui a fait difficulté dans l’activité de travail. Les médecins du travail articulent d’une part l’identification des risques, et d’autre part une pratique clinique qui permet d’instruire comment la santé de ce salarié-là avec son histoire professionnelle, à ce poste-là dans cette entreprise là, peut être mise en jeu ou au contraire dans quelle mesure ce travail lui permet de construire sa santé. De son côté, le salarié peut alors avoir accès à une compréhension singulière de ce qu’il subit, et de ce qu’il rencontre. Dans ce dialogue avec le médecin du travail, il peut alors développer sa propre pensée sur son travail. Cela peut alors lui permettre d’envisager de nouvelles pistes pour préserver sa santé et pour décider pour lui-même dans son parcours de l’issue de ce qui lui arrive. Dans le cas où le salarié présente une pathologie, la restauration de son pouvoir d’agir passe par la mise en évidence du lien éventuel de sa pathologie avec le travail. Cette intercompréhension est bénéfique autant pour l'approche cognitive du risque physique et du risque chimique que pour le risque d’atteintes psychiques. Pour ces atteintes psychiques, le dépassement du passage émotionnel vécu par le salarié lors de l'élargissement de sa compréhension permet une mise à distance de la situation subie, un apaisement relatif de la souffrance et un désir d'agir. L'intercompréhension des liens santé travail est donc une condition d'une meilleure appropriation du pouvoir d'agir des salariés.

B. Les écrits individuels

(1) Un document essentiel : le dossier médical

Nous le savons bien, le dossier médical en santé au travail retrace les informations relatives à la santé des travailleurs, aux expositions auxquelles il a été soumis, ainsi que les avis et propositions du médecin du travail. Dans le dossier médical, la prise de notes est importante, elle est mémoire pour le médecin et pour le salarié, à la fois des faits importants de travail, et de celle des événements de santé. Il faut prendre soin de noter les traces du travail, même ténues d’atteintes ou de fragilisation notamment de santé mentale et des liens avec les caractéristiques du travail. Il s’agit de permettre au salarié de laisser ces traces pour des interprétations ultérieures de ce qu’il livre dans le cabinet médical. En effet, il arrive qu’une consultation ne soit que le puzzle de son histoire individuelle de travail, et de l’histoire du collectif. Les notes dans les dossiers, s’inscrivent dans l’outil clinique que nous utilisons pour notre compréhension - actuelle ou ultérieure - de ce qui se joue dans le travail à cet endroit-là. Le plus souvent cette compréhension ne se joue pas seulement dans une seule consultation mais bien dans un collectif de travailleurs et dans l’histoire de chaque salarié.

(2) Les recommandations individuelles

La prévention individuelle se décline aussi avec les recommandations individuelles que le médecin du travail peut écrire pour aménager le poste du salarié. Il fait ce travail de rédaction à partir des éléments qu’il connaît de la santé du salarié et de ce qu’il a compris du poste du salarié, à la fois dans ses consultations pour ce salarié mais également pour l’ensemble de son collectif de travail, en tenant compte de ce qu’il a pu voir dans l’entreprise. L’article L4624-1 du code du travail permet ces recommandations individuelles, elles peuvent donc être assez précises pour guider l’aménagement du poste du salarié, notamment sur quand ces recommandations portent sur l’organisation concrète de travail.

3) Les certificats et les « attestations »

Les certificats médicaux décrivent l’état de santé du salarié au moment où le médecin a vu le salarié et il peut décrire les risques auxquels a été soumis le salarié. Cela peut même considérer les différents examens du dossier. Dans ce certificat, le médecin atteste du lien entre une lésion (y compris psychique) et un ou plusieurs faits survenant au travail ou à son occasion. Ce travail de rédaction de certificat trouve son origine dans le code de santé publique et dans le code de la sécurité sociale (certificat de maladies professionnelles des tableaux mais aussi hors tableaux).

Dans la rédaction d’une « attestation » du lien entre l’altération de la santé d’un salarié et les effets délétères de son travail, le médecin du travail peut permettre une formalisation de la compréhension avec un regard de médecin, de ce qui lui est arrivé. S’appropriant alors une interprétation de ce qu’il a vécu, le salarié pourrait alors mieux recouvrer son « pouvoir d’agir » : son travail a bien sa part dans sa pathologie et il pourrait alors prendre des décisions pour lui-même pour prendre soin de sa santé. C’est ce que vise la rédaction d’attestations.

L' « attestation » qui prend parfois le nom et la forme synthétique d'un certificat peut prendre aussi la forme plus élaborée d'une « monographie » qui peut être utile comme repère pour le salarié. Ces monographies reprennent de manière détaillée l’histoire du salarié dans son entreprise, émaillée de ses atteintes à la santé, de ses tentatives d’action, de la présence ou non des autres du collectif, de manière à mettre en évidence les liens étroits entre l’état de santé du salarié et des effets délétères des conditions de travail.

(4) Les courriers aux autres médecins

Ces écrits restent dans le dossier médical du salarié. A ce titre d’ailleurs, ils peuvent leur être transmis. Il s’agit de faire le lien avec le médecin traitant pour lui permettre de bien comprendre ce que dit le salarié, dans sa prise en charge médicale en posant un diagnostic de spécialiste, et lui permettant de prescrire à bon escient.
La question du travail est parfois traitée de manière erronée sur le thème de certains idées politiques (soit il pense que le salarié est un « tire-au-flanc » venu chercher un arrêt, soit il pense que le travail, ça change les idées : « quand on est déprimé, il ne faut pas rester à la maison... »,…). C’est dans les écrits du médecin du travail, que le médecin traitant va entendre un autre point de vue argumenté à la fois sur le travail et sur la santé, mettant en lien les deux. Cela lui permet de prendre en compte le travail, non pas sur un versant idéologique mais concrètement dans la vie de ce salarié qu’il a sous les yeux.

Les courriers peuvent éventuellement être faits à destination du psychiatre pour les mêmes raisons. Cela permet d’attester des liens entre les conditions de travail et la santé du salarié : il s’agit bien de démonter que ce n’est pas une interprétation du salarié malade, qui, du fait de sa pathologie ou de sa personnalité, pourrait avoir trouvé le moyen de se déresponsabiliser de ce qu’il lui arrive, en trouvant dans son travail toutes les raisons de sa chute. Le médecin du travail peut alors donner les moyens au médecin psychiatre de situer ce que dit le salarié dans le réel grâce à la connaissance qu’il a du reste du collectif, des événements de travail et potentiellement des traces notées dans le dossier médical.

II. La clinique médicale du travail au service de la prévention collective.

A. La prévention collective n’est pas dans des statistiques

Dans le contexte dans lequel se déroule l’action du médecin du travail, il y a souvent des demandes pour produire des chiffres, pour prouver que ses constats ne sont pas seulement le au mieux le fantasme de ce médecin, au pire, sa bataille idéologique. Le médecin du travail en réaction à certaines critiques méthodologiques peut être tenté de rendre compte de ce qu’il constate avec des chiffres. Mais les statistiques restent très limitées pour rendre compte des enjeux des liens entre les atteintes psychiques et psychosomatiques et le travail. La prise en compte de la part du subjectif, de la variabilité des pathologies suivant les itinéraires et personnalités, des délais plus ou moins différés de la constitution de symptômes différents, sont autant d'obstacles à des chiffrages. Tout cela rend alors bien difficile leur interprétation.
De plus, les collectifs de travail accompagnés par un médecin du travail peuvent eux-mêmes décrire leurs conditions de travail avec infiniment plus de précision et d’indications que ne pourraient le faire des chiffres, surtout quand ils peuvent s’exprimer en dehors de contraintes de subordination.
Enfin, compter les blessés prend du temps et ne fait généralement qu’un triste constat sans donner de diagnostic ni même se situer dans le réel du travail. Les chiffres laissent de côté certains qui souffrent sans le dire, les chiffres laissent de côté ceux qui vont bien avec des stratégies dynamiques. Et pendant ce temps, le médecin, occupé à faire ses comptes, reste dans son bureau alors que les salariés continuent d’être exposés à des risques. Si la mission du médecin du travail est bien d’éviter l’altération de la santé, même un cas nous suffit, ce sont que nous appelons les cas « sentinelles ». Grâce aux éléments que l’on a recueilli dans les consultations, et des liens que l’on sait faire du côté du diagnostic étiologique (on a bien vu ce que l’on a vu parce qu’on est des médecins), cela permet déjà d’informer sur des risques dans une entreprise.

B. La clinique médicale et les questions d’organisation du travail

En prévention, le médecin du travail a pour projet de rendre compte, dans l’espace de l’entreprise, des risques de l’organisation du travail pour la santé des salariés d’une entreprise dont il a la charge. L’idée, ce n’est pas de donner écho à la souffrance individuelle dans le travail parce que le travail fait souffrir au quotidien et nous le savons tous. Mais l’idée c’est de rendre visibles des éléments de lien entre la santé – parfois altérée - et le travail pour mettre en évidence là où ça ne fonctionne pas dans le travail. Grâce à la clinique médicale du travail, le médecin du travail parvient avec les salariés d’un collectif de travail à explorer des pistes pour l’action puisque il explore là où le travail ne trouve pas de mode de fonctionnement, et de construction de la santé. Cela peut même permettre au médecin du travail de relever des signes infra-cliniques dans un groupe de travailleurs relativement homogène quant aux conditions de travail et à l’organisation du travail. Ce faisant, il peut alors en éclairer l’analyse des causalités du côté de l’activité de travail, ce qui peut rendre possible ensuite l’action du collectif de travail.

Le médecin du travail est ainsi à même de faire des liens dynamiques entre la santé et le travail mais l’utilisation des éléments cliniques n’est pas une mince affaire : quelle condensation pouvons-nous en faire ? Quelle analyse ? Quelles restitutions et à qui ?

1. Le rôle du collectif et des espaces de discussions

Les conflits de travail trouvent leur origine dans des désaccords sur l’organisation du travail et sur la façon de fixer les priorités dans l’activité. Le collectif est l’instance qui permet de faire face aux difficultés parce qu’elle procure un sentiment d’une orientation commune lié à l’existence de règles partagées qui orientent les dilemmes de l’activité, et permettent de ne pas porter seul le poids du travail. S’il est habituel d’entendre que les conflits de travail portent sur des questions de personnalité, il est important de remettre les questions d’organisation du travail au cœur du débat social. Ce collectif offre alors potentiellement à chacun un espace d’expression et de développement individuel original, et donc de construction de sa santé. Mais cet espace ne peut se développer que s’il se construit un climat de confiance, ce qui n’est pas donné d’avance et parfois ne fonctionne pas.
Le recours au médecin du travail a souvent lieu lorsque ce collectif n’a pas fonctionné le plus souvent par l’absence des espaces de discussions collectives pour le débat sur l’activité. Il faut donc proposer de reconstruire ces espaces de discussions entre pairs dans le temps de travail.

2. La veille médicale : méthode

Il s’agit pour le médecin de mettre en place une veille médicale des liens entre la santé et le travail en rapport avec les dangers repérés et les travailleurs concernés par le recueil systématique des éléments de surveillance médicale individuelle et collective.

La méthode consiste à repérer dans l’entreprise les risques et les expositions des salariés ainsi que leur évolution et identifier les travailleurs concernés

o à travers les paroles et le vécu des travailleurs, lors des consultations médicales

o dans le cadre d’un recueil systématique permettant une traçabilité des risques et des expositions

o par l’étude des procédés, équipements, aménagements, organisation du travail, et lors des visites sur les lieux de travail en procédant, si nécessaire, à des mesures.

o en élaborant des descriptifs des postes de travail (formalisation écrite de ce qu’on a compris dans une activité de terrain en milieu de travail).

Grâce à la clinique médicale du travail, le médecin du travail s’appuie sur des éléments cliniques pour faire la synthèse d’éléments transversaux. En particulier, pour les risques psycho-sociaux, il peut adosser le recueil des données sur des références scientifiques.
En particulier, pour les facteurs de risques psychosociaux, ceux proposés par le Rapport du collège d’expertise sur le suivi des risques psycho-sociaux peuvent être relevés :

            • L’intensité du travail et le temps de travail,
            • Les exigences émotionnelles,
            • Le manque d’autonomie,
            • La mauvaise qualité des rapports sociaux au travail,
            • La souffrance éthique,
            • L’insécurité de la situation de travail.

Quand la clinique médicale du travail d’un collectif permet la congruence de plusieurs éléments de compréhensions entre les consultations et les études de poste, le médecin du travail parvient à décrire précisément en quoi l’organisation dans leur entreprise peut présenter des risques pour la santé des salariés. Cela permet alors d’enrichir la fiche d'entreprise avec des éléments qui, de toute façon, échapperaient à l'observation de terrain alors qu'ils sont souvent essentiels pour l'analyse des conditions de travail et pour leur amélioration.

Le support de ce type de compte-rendu a une forme écrite officielle : ce peut donc être la fiche d’entreprise, mais aussi le rapport annuel d’activité ou un courrier adressé à l’employeur en utilisant l’article L4624-3 du code du travail.

3. L’action du médecin pour le collectif de travail

Participer à la prévention des risques, c’est permettre leur identification et l’évaluation précise des expositions professionnelles. Lorsque le médecin du travail met socialement en visibilité les effets délétères potentiels (ou avérés) d’une organisation du travail potentiellement défaillante, cela a pour but de permettre à chaque salarié et à la collectivité de travail :

• d’en comprendre ensemble l’origine du côté de la répartition des tâches, des rapports sociaux de travail,…comme facteurs de risques très concrets de l'organisation de travail.

• de penser une éventuelle maltraitance organisationnelle,

Le médecin du travail présente une analyse qu’il a de la situation des salariés, mais il peut également continuer de questionner et de s’étonner dans les consultations pour améliorer sa connaissance de ce travail-là, mais aussi parce que ses questionnements permettent à chaque salarié d’avancer dans sa propre analyse. C’est justement dans ce questionnement - qui n’est jamais fini - que le salarié peut donc développer sa pensée et se sentir (devenir ou redevenir) acteur dans son entreprise. Le médecin apporte également des connaissances médicales en lien avec le travail et le salarié s’en sert de repère pour inventer pour lui-même, et avec d‘autres de conditions similaires, ce qui doit être mis en débat, et qui ne l’est pas - ou plus.
Une nouvelle représentation des répercussions du travail sur la santé contribue ainsi à la transformation de l’organisation du travail, par la compréhension partagée des difficultés du «travailler », élaborée lors des processus de délibération collective. C’est justement dans le débat social sur leur prévention, que chacun des acteurs (employeurs, membres CHSCT, médecin du travail,…) joue son rôle dans le débat pour l’évolution des organisations du travail dans un sens plus favorable à la santé, c’est-à-dire pour la mise en œuvre d’une prévention primaire pour la collectivité de travail.

4. Les limites de ce travail : que faire s’il ne se passe rien ?

Quand la discussion n’a pas lieu, ou que les salariés ne se saisissent pas de ce que le médecin donne à voir, c’est qu’il faut retourner dans les consultations pour y trouver de nouvelles informations plus fines qu’on n’avait pas découvertes avant. Suite à ce travail de mise en visibilité, les acteurs parviennent à préciser d’autres éléments de compréhension, avec les nouvelles questions qui se posent.
Il est également possible que le collectif de travail ait construit des stratégies collectives de défense qu’il faut mettre en évidence, comprendre, sans les déstabiliser.

C’est le moment où il faut absolument suspendre l’urgence de la recherche de solutions, même si c’est très tentant pour un médecin du travail ! Il est important de comprendre que c’est justement de la qualité et la maturité du travail de recueil des signes, et de description de la situation que dépend la façon dont ce travail est ensuite reçu en entreprise. C’est en cela qu’il y a une importance à en discuter entre collègues pour discuter de nos interprétations possibles des situations pour affiner nos hypothèses et construire nos interventions.

Prudence versus frilosité ?

Une grande prudence - qui ne veut pas dire frilosité - doit être de mise quant à la nature des éléments dévoilés et la façon dont ils sont dévoilés de manière à ne pas fragiliser les salariés et atteindre leurs stratégies de défense. Tous les sujets ne peuvent pas être traités de la même façon dans toutes les instances, il y a une différence entre un travail entre les partenaires sociaux sur le sujet par exemple en CHSCT ou ailleurs dans un collectif de pairs. Il est donc bien évidemment nécessaire de travailler ce que le médecin du travail va dire mais également l’endroit où il le dit, comment il le présente et l’objectif dans lequel il le dit. Tout cela peut donc être discuté en groupes de pairs.

C. Le collectif en action : les effets de la restauration du pouvoir d'agir sur le collectif lui-même

Les individus continuent de travailler en dehors de la présence du médecin du travail. Dans le regard du médecin, ils peuvent entrevoir individuellement ce qui fait difficulté dans le travail et ils peuvent construire une pensée propre autour du travailler, ayant trouvé ou retrouvé des mots pour le dire, ils savent que d’autres ont eu cette expérience avec le médecin du travail, et peuvent en venir à en discuter entre eux. Peut-être d’ailleurs, des mots communs qui leur permettent d’en discuter et d’en débattre en dehors des histoires relationnelles qu’ils mettent en avant. Ils découvrent dans le regard bienveillant porté par le médecin du travail que chaque acteur peut jouer de nouvelles cartes, et parfois, il naît de ce développement de la pensée sur le « travailler », la possibilité d’agir ensemble pour améliorer leurs conditions de travail. Dans certains cas, cela se manifeste par la re-création de mouvements collectifs pouvant aboutir à la transformation vers l’amélioration des conditions de travail. Le médecin n’est pas présent dans ces actions, il a contribué à restaurer la pensée et cela permet ensuite un travail coopératif.

Cas concret

Début 2011, dans un service administratif chargé de la gestion de l'eau et de l'assainissement dans le département, trois personnes consultent le médecin du travail avec un point commun : ils sont débordés et il y a une mauvaise ambiance. Le médecin du travail propose alors des consultations médicales aux 15 instructeurs et assistants de l'unité et à leur responsable.
En mai 2011, 12 des 15 intéressés viennent donc en consultation médicale du travail. Les entretiens sont orientés autour du vécu du travail, des contraintes et des exigences du travail, des marges de manœuvre, de la reconnaissance et des valeurs. Il est question de tout cela pour eux-mêmes et de ce qu'ils en pensent pour leurs collègues.
Le médecin constate que ces salariés aiment leur travail et leur mission, mais ils tiennent le coup au prix d’un surinvestissement personnel (en concentration et en temps). Beaucoup font part de leur agacement, de leur irritation de l'envahissement de cette préoccupation du travail qui s'incruste parfois jusque dans leur humeur et dans leur vie privée. Plusieurs suspectent d'autres d'avoir moins de travail qu'eux : ils ont de mauvaises relations, mais il n’y a pas de temps de concertation considéré comme perdu. La synthèse des éléments du deuxième temps de la consultation sur l'éventuel vécu des autres et les solutions possibles donne un résultat mitigé.

Une restitution très brève envoyée à tous et au chef de service note : « Les doutes de plusieurs membres sur la pertinence de la répartition du travail reconduite avec la restructuration de 2008 depuis plusieurs années, alors que la RGPP a restreint le personnel et que de nouvelles contraintes législatives sont à appliquer », et suggère « des temps de concertation collective sur les techniques, les priorités et la répartition du travail. »
Malgré le fait que le chef de service exprime son exaspération pour ces « enfantillages », il consent à programmer une réunion sur le sujet avec tous les salariés de l'unité.
Le médecin du travail est invité « comme médiateur », position qu'il ne souhaite pas prendre. Finalement, un concours de circonstances y justifiera son absence.
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En août, il apprend que la réunion a été houleuse mais qu’elle a été jugée utile, et surtout qu'elle a été suivie d'une pétition sans doute un peu maladroite d'une majorité des membres de l'équipe. Une première concertation sur la répartition a eu lieu en juillet, une autre aura lieu début septembre, et il est rapporté que les choses seraient déjà « plus claires ».
Dans les mois suivants, il apparaît que les agents sont satisfaits de l'évolution. Outre un changement du chef d'unité, des réunions mensuelles de toute l'équipe ne sont pas vécues comme une perte de temps au contraire. Des priorités sont mieux partagées. Des différences de méthodes et de répartition sont acceptées pour des gros et petits dossiers qui ne demandent pas le même type de travail... Plusieurs salariés se remémorent avec humour la mauvaise ambiance des mois précédents comme un épisode dépassé.

D. Le signalement collectif quand la gravité le nécessite.

Un signalement médical collectif, qu’on pourrait nommer aussi « alerte médicale » en écho aux prérogatives du CHSCT, n’est pas un acte de prévention primaire. Mais quand la gravité de la situation apparaît au médecin, il a le devoir de signaler ce risque. Or, l’état actuel d’un certain nombre de salariés de nos consultations nous amène aujourd’hui à ce type d’écrits, il faut nous donc fixer un cadre professionnel à cette pratique.

1. Objectifs

Le signalement collectif du médecin du travail permet de « tracer » concrètement le constat d’un processus délétère entre des situations concrètes de l’activité de travail d’un collectif de travail et leur santé. Ce signalement vise la transformation de situations de travail qui provoquent déjà des atteintes à la santé, par la mise en visibilité d’un risque et de ses déterminants dans la situation de travail et des effets délétères déjà constatés. Cette action a pour objectif de remettre en débat en interne les questions d’organisation du travail, pour que les salariés soient mis hors de danger.
Par ce signalement, le médecin du travail permet à la collectivité de comprendre différemment la situation en intégrant le rôle du travail et la notion de gravité avec la présence (potentielle) de victimes. Les acteurs sociaux peuvent ainsi prendre leurs responsabilités, et les salariés peuvent réinvestir collectivement l’organisation du travail pour préserver leur santé.
Enfin, il s’agit parfois aussi de permettre à l’employeur de mieux peser les déterminants de son obligation de sécurité de résultat et notamment ses implications préventives.

2. Quand est-ce que la gravité de la situation le nécessite ?

Cette action se situe bien dans les situations d’une gravité importante : le signalement collectif dans l’entreprise est parfois incontournable au regard de la gravité ou du nombre de personnes potentiellement ou réellement touchées. Il s’agit d’ailleurs parfois de situations de travail pour lesquelles les recommandations du médecin du travail n’ont pas été prises en compte auparavant.

3. Support légal du signalement collectif

Dans sa responsabilité de veille médicale des effets du travail sur la santé, le médecin du travail analyse, grâce à la clinique médicale du travail, ce qui fait difficulté dans l’activité de travail et dans le « travailler » des salariés. La mise en œuvre d’un signalement collectif par le médecin du travail est rendue possible par ce travail d’amont.

Art. L. 4624-3. I– Lorsque le médecin du travail constate la présence d’un risque pour la santé des travailleurs, il propose par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver.
L’employeur prend en considération ces propositions et, en cas de refus, fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite.
II. – Lorsque le médecin du travail est saisi par un employeur d’une question relevant des missions qui lui sont dévolues en application de l’article L. 4622-3, il fait connaître ses préconisations par écrit.
III. – Les propositions et les préconisations du médecin du travail et la réponse de l’employeur, prévues aux I et II, sont tenues, à leur demande, à la disposition du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, de l’inspecteur ou du contrôleur du travail, du médecin inspecteur du travail ou des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale et des organismes mentionnés à l’article L. 4643-1

Le travail quotidien de médecin du travail pour l’amélioration progressive des conditions de travail, s’arrête là où le travail met en danger les salariés. Là, le médecin sort d’une posture d’accompagnement. Il écrit pour que les salariés soient écartés du danger.
Cet article du code du travail permet au médecin du travail de produire un écrit détaillé, argumenté, précis, pour le signalement collectif qu’il estime nécessaire. Ce signalement collectif est ainsi à la disposition des différents acteurs de l’entreprise.
Enfin, cet article prévoit également une possible réponse de l’employeur.

4. Comment ?

Pour remettre les conditions du travail réel en discussion, le médecin du travail relate alors très concrètement ce qu’il a compris ou constaté des difficultés de réalisation du travail et l’impact que cela a pour la santé. Dans son travail d’analyse, le médecin du travail peut choisir de revoir en consultation spécialement une partie du collectif concerné, ou bien de faire une synthèse de leurs dossiers médicaux pour y analyser ses traces cliniques, les signes qu’il a pu noté au fil des mois, des signes infra-cliniques qui avait pu attirer son attention, les signes somatiques, et des événements de travail très concrets qu’il a pu noter dans le même temps. Il peut bien évidemment utiliser un système de veille médicale plus quantitatif, mais ce travail global est de toute façon complété par les notes prises dans les dossiers médicaux

(1) A qui est-il envoyé ?

Dans l’article L4624-3 du code du travail, le médecin adresse son signalement collectif à l’employeur. Il peut également l’adresser aux représentants du personnel, il est même possible que la restitution soit faite dans un lieu qui permet le débat comme le CHSCT quand il y en a un.

(2) Références scientifiques

Le médecin du travail, comme tous les médecins, fait références à des constats cliniques (éléments dépressifs, anxieux, troubles du sommeil,…). C’est important que ces diagnostics médicaux soit précis. Par ailleurs, il fait la synthèse des éléments de l’organisation qui sont susceptibles d’être à l’origine de ces éléments cliniques et qui ont actuellement des répercussions connues sur la santé. Pour cela, il peut faire apparaître des références scientifiques sur lesquelles il fonde son avis, par exemple pour les risques « psycho-sociaux », le « Rapport d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux ».
Les références peuvent également être des références réglementaires sur lesquelles le médecin s’appuie pour ses préconisations de prévention. Pour écrire un avis « motivé et circonstancié » le médecin du travail change de mode d’écriture : il n’est plus dans une pratique inter-compréhensive qu’il déploie dans les consultations. Dans cet écrit, il décrit précisément ce qu’il constate et il explique à quoi il se réfère pour affirmer un danger.

(3) Restitution écrite

Un signalement collectif est un écrit qui est destiné :
- d’un part aux acteurs internes de l’entreprise pour saisir la gravité de la situation,
- et d’autre part éventuellement destinées aux acteurs externes chargés de dire le droit : plus personne ne peut faire comme si on ne l’avait pas dit.

Dans certaines situations, cela peut alors déboucher sur d’autres procédures que seuls les juristes peuvent mener mais qu’ils ne peuvent faire sans écrits laissés par les médecins du travail. L’écrit du médecin du travail a une place de choix pour les juristes. Les inspecteurs du travail et les juges ne peuvent pas avoir accès aux informations sur la dégradation de la santé, les psychologues du travail n’auront jamais le matériau dont nous disposons du fait de nos connaissances médicales du travail.
La forme écrite est donc indispensable, un texte constitue une trace de l’intervention du médecin du travail sans déformation possible.

(4) La forme a de l’importance

La forme avec laquelle nous formulons nos signalements collectifs a une importance capitale sur son devenir. Dans la rédaction d’un signalement collectif, il est important de prendre en compte que les questions de l’organisation sont aussi portées par des hommes qui souffrent éventuellement eux-mêmes, parce qu’ils jouent eux-aussi dans le travail leur identité et leur santé, et qu’ils sont eux-aussi confrontés au réel de la situation qui met en danger des salariés.
Une fois le signalement rédigé, il engage la responsabilité professionnelle du médecin du travail. Il en informera l’employeur et le CHSCT, mais il doit savoir qu’il pourra être seul au regard de la gravité de son diagnostic de situation, qui peut même sidérer ses interlocuteurs.
En réalité, grâce à son indépendance et grâce à sa formation, le médecin du travail se trouve affranchi de ce qui est délétère, et qui avait généré des stratégies défensives pour beaucoup d’acteurs pour tenter se préserver. En endossant seul un diagnostic d’effet du travail pour la santé comme son métier l’exige, le médecin du travail permet un nouveau débat sur le travail.
Alors que la mise en visibilité a pour objectif de remettre en débat ces questions, si des questions d’organisation du travail portent sur des questions épineuses, cela peut aboutir à une situation extrêmement conflictuelle avec l’employeur. A ce moment-là, il n’est d’ailleurs pas exclu que le médecin puisse être désigné comme le responsable d’une certaine aggravation de la situation. L’aspect pérenne de « l’écrit » représente alors une protection majeure face à d’éventuelles pressions, et peut paradoxalement faciliter le déploiement de « l’obligation de sécurité de résultats » de l’employeur. C’est la raison pour laquelle il est important de porter ces signalements collectifs dans des groupes de pairs pour bien placer ces écrits des médecins du travail dans le cadre de pratiques professionnelles.

5. Et après ?

Le rôle du médecin du travail par son écrit de signalement collectif, n’est pas de se substituer à l’employeur pour agir. Le médecin du travail ne doit pas aller plus loin dans la prise de décisions du côté de la prévention, au risque de perdre sa légitimité professionnelle.
Le médecin du travail identifie clairement des risques du côté du travail, il peut indiquer le processus qui permettrait de les supprimer, il peut accompagner les acteurs de l’entreprise en donnant des repères médicaux et formuler des recommandations dans des axes de prévention. Mais le médecin n’arbitre pas les choix entre l’économique et la santé. Sa place reste celle d’un médecin : une place clinique et une place de prévention dans l’intérêt des salariés.

III. Conclusion

La prévention individuelle et collective est donc possible dans le travail clinique des médecins du travail. Par l’exploration fine des difficultés du travail et du « travailler », des effets sur la santé même infimes, grâce aux notes cliniques dans les dossiers, grâce au questionnement toujours renouvelé du médecin, grâce à ce qu’il peut apporter comme repères médicaux, le médecin du travail contribue à restaurer le pouvoir d‘agir des salariés. Quand c’est nécessaire, il parvient à produire un certain nombre d’écrits qui sont autant d’outils de prévention. Par ses questionnements et les repères qu’il peut apporter, le médecin du travail permet au collectif d’avancer dans la compréhension de ce qu’il leur arrive. Chaque salarié retrouvant alors la possibilité de penser son activité. Il peut alors trouver une place dans les actions de prévention dans son entreprise, avec son collectif qui peut alors se mobiliser pour débattre des questions qui représentent un risque. Les acteurs dans l’entreprise peuvent alors transformer eux-mêmes les situations de travail. Le médecin a une place de choix dans les entreprises grâce à la clinique médicale du travail parce que cette pratique permet une description concrète qualitative précise pour accéder à des pistes de prévention primaire.

DEBATS

Q = Question ou réaction des participants
R = Réponse des intervenants ou de l’animateur de la table ronde

Q : En théorie, l’ordre des médecins et l’inspection médicale du travail au niveau Direction Générale du Travail, n’autorisent pas et sont même défavorables à la pratique qui consiste à faire des alertes médicales écrites, individuelles et collectives, à l’inspecteur du travail. La mise en copie de l’inspection du travail lors d’une alerte est déconseillée par la DGT et l’ordre. Ce que fait l’ordre, il donne la doctrine. Dans les modèles de courriers que nous avions faits en Bourgogne pour les médecins du travail, nous avions mis une copie à l’inspection du travail et même au médecin inspecteur du travail et l’on s’est fait rappeler à l’ordre par le médecin inspecteur national qui avait demandé son avis à l’ordre. Je suis personnellement en désaccord avec cette position.

Q : Je ne suis pas d’accord avec cette posture nationale ordinale. On est pris dans du juridisme vide de sens. L’ordre s’occupe de la déontologie, et ici la déontologie n’est pas concernée par le fait que l’on ne pourrait ou non informer l’inspection du travail !

R : L’ordre le prétend ! La discussion ne porte pas sur la licité ou l’absence de licité de nos pratiques de médecin. Ici nous sommes entre pairs et nous parlons de pratiques qu’elles soient ou non couvertes par la réglementation.

Q : Je ne parle pas de réglementation mais de déontologie : on est entre pairs et on est inscrit à l’ordre. On est sensé respecter ce que dit l’ordre et c’est la position de l’ordre qui est le gardien de la déontologie.

R : Je vous demande de recentrer le débat sur nos pratiques préventives induites par la clinique médicale du travail !

R : Si un inspecteur du travail est saisi par une dizaine de salariés dans une entreprise où les conditions de travail sont délétères pour la santé, il ne peut pas explorer la santé. S’il va en entreprise pour réclamer une amélioration des conditions de travail, il peut demander un certain nombre de choses qui sont réglementaires et qui sont dans le code du travail car il va lui manquer des informations. Si le médecin du travail a produit un écrit synthétique comme la fiche d’entreprise laissée dans l’entreprise, alors l’inspecteur du travail quand il va dans l’entreprise peut la réclamer et constater des recommandations du médecin du travail pour l’amélioration des conditions de travail : c’est un outil utilisable par l’inspecteur du travail ou par les juges comme autant de traces laissées par le médecin du travail et qui favorisent l’action de prévention, car après l’employeur ne peut pas dire qu’il ne savait pas car on l’a écrit.

R : Il y a moyen de conjuguer les deux, l’article L 4624-3 dit que l’alerte doit être adressée à l’employeur et tenue à la disposition des représentants du personnel et des agents extérieurs à l’entreprise. Mais il faut qu’ils soient au courant de leur présence dans l’entreprise car il n’est pas prévu une obligation pour l’employeur de communiquer sur ce qu’il a reçu. Il faut que le médecin communique pour que toutes les personnes qui doivent être informées le soient. Il est légitime de les informer : agents de la CARSAT, inspecteur du travail et les représentants du personnel, ces derniers pouvant être destinataires directement du document sur les dernières positions du conseil d’état. C’est possible de faire avec la réglementation, et en respectant les règles, en communiquant et en utilisant un peu de ruses du métier.
Je voulais revenir sur les catégories du rapport Gollac que vous avez citées ; vous les avez un peu déformés et c’est dommage. Les catégories qui sont dans le rapport à part l’insécurité, ne sont présentées ni en positif ni en négatif. Ce n’est pas les conflits éthiques mais tous les conflits de valeur, pas le manque d’autonomie mais toutes les questions relatives à l’autonomie, ce ne sont pas les mauvaises qualités des rapports sociaux au travail mais les rapports sociaux au travail en général. Çà permet d’inscrire le sens à la fois de ce qui va et de ce qui ne va pas, sur ce qui allait et qui ne va plus. Çà peut être plus intéressant dans une perspective de clinique médicale de rester sur une certaine neutralité pour enrichir les catégories de façon plus objective.

Q : L’inspecteur du travail ou le contrôleur du travail demande la fiche d’entreprise. Si elle n’est pas faite ce qui arrive très souvent, ils disent à l’employeur de me demander de la faire. Si on me demande de faire une fiche d’entreprise, je sais que l’inspecteur du travail est passé et peut être qu’il a vu des salariés que je n’ai pas vus. Quand elle est faite, je préviens que la fiche d’entreprise est faite. Parfois, je préviens pour dire que dans telles ou telles entreprises, je l’ai faite et qu’il peut être intéressant de la consulter.

R : Je ne fais pas toujours la fiche d’entreprise comme celle prévue par les textes et j’appelle beaucoup d’écrits fiche d’entreprise.

Q : Nous sommes, avec l’évolution la clinique médicale du travail, dans la découverte de choses qui engagent notre pratique et notre responsabilité envers nos salariés individuels et collectifs. L’ordre interprète la déontologie médicale mais ne la réglemente pas. Quand il écrit des textes de commentaires ou recommandations, ce sont des textes datés à un moment donné.
Souvent l’ordre des médecins assimile l’entreprise à une famille, et toute l’interprétation déontologique énoncée par l’ordre des médecins relève de cette assimilation. Mais une entreprise n’est pas une famille, n’a pas d’éthique, n’est pas citoyenne ; c’est une entité économique qui est composée par des employeurs et des salariés citoyens.
Nous avons des valeurs éthiques, nous avons un devoir de service rendu pour leur santé, un devoir exclusif de prise en charge médicale envers nos patients individuels et collectifs. Ce n’est pas choquant que l’ordre des médecins ait des interprétations déontologiques erronées du code de la santé publique, ils ne sont pas spécialistes en santé au travail ! Mais nous, nous n’avons pas à prendre en compte des préconisations que nous jugeons inadaptées à notre pratique professionnelle, et qui d’ailleurs n’ont pas été énoncées pour elles.
L’alerte médicale collective vient d’être réglementée. C’est nous qui l’avons inventée dans nos pratiques depuis 10 à 15 ans, alors que l’on nous disait que cela ne pouvait se faire ! Pourquoi est-ce maintenant réglementaire ? Parce que des personnes pensent que ce n’est pas risqué à l’encontre d’un employeur, de faire une alerte médicale collective, car cela n’engagerait pas un « passif » de défaillance d’obligation de résultat en matière de santé et de sécurité. Il s’agit ici, de prévention en devenir. Ce qui serait toujours interdit selon ces derniers, ce seraient des écrits médicaux à visée nominale concernant la pathologie d’un travailleur, certificat, attestation ou courrier médical, si le médecin du travail n’en a pas observé personnellement tous les éléments objectifs professionnels du côté du travail. Faute de quoi il serait interdit au médecin du travail de rendre compte d’un lien entre la santé et le travail !
Non, nous avons pour les entreprises et les salariés qui y travaillent, des obligations qui relèvent de nos responsabilités professionnelles, des responsabilités juridiques, assurantielles, civiles et pénales, qui ne sont pas prises en compte dans certains commentaires déontologiques de responsables de l’ordre des médecins. Nous ne sommes pas d’accord avec des interprétations de l’ordre des médecins quant aux limitations de nos écrits médicaux pour tracer médicalement le lien santé-travail.
Nous sommes ici entre pairs ; il y a un débat entre pairs sur leur forme, leur contenu et l’instruction du lien santé-travail. Ce qui compte, c’est le respect de nos obligations déontologiques envers nos patients-salariés. Nous ne risquons rien juridiquement, à partir du moment où nous avons un engagement de moyens professionnels, et des règles professionnelles d’exercice construite à partir de réflexions collectives entre pairs issues de notre travail clinique.
Le code de déontologie médicale régit le mode d'exercice d'un professionnel, en vue du respect d'une éthique médicale. C'est un ensemble de droits qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l'exercent, les rapports entre ceux-ci et leurs patients ou le public. La pratique professionnelle éclairée par la déontologie se construit donc entre pairs, et a contrario nourrit la compréhension déontologique du cadre médical d’exercice des règles du code de la santé publique qui sera alors prise en compte par l’ordre des médecins.
L’ordre des médecins n’a pas toujours raison dans ses interprétations déontologiques ! Il a été en son temps, contre la convention médicale, contre la contraception et contre l’avortement. Mais il s’est très bien comporté par rapport au rôle ambigu de soins psychologiques dans les SST ou par rapport aux autopsies psychiques. Des conseillers ordinaux peuvent parfois avoir un comportement anti déontologique envers des médecins du travail lors de la réception de la plainte d’un employeur. Quand l’ordre des médecins défend des employeurs très largement au-delà de ses prérogatives réglementaires, il défend des intérêts économiques et ne prend alors pas en compte les aspects déontologiques des pratiques médicales. Un conseil de l’ordre qui instruit des plaintes d’employeur qui n’ont rien à voir avec la santé des salariés, mais avec des intérêts économiques, fait de mon point de vue une faute déontologique et il peut en être comptable juridiquement.

Q : Je reviens sur une question de forme, quand on fait une alerte médicale. On a débattu, dans notre GAPEP, de la nécessité de rencontrer l’employeur avant de lui écrire, pour lui demander son point de vue. Vous dites qu’il ne faut pas le faire ; il est déconseillé d’en débattre avec l’employeur ? Il y a un débat sur cette question ?

R : En effet, il y a un débat : j’ai personnellement deux arguments pour procéder ainsi :
1- je ne mets jamais en débat avec l’employeur mes constats cliniques et mon diagnostic médical, c’est pourquoi on a écrit qu’il est déconseillé d’en débattre préalablement avec l’employeur, car c’est le médecin du travail qui fait le lien entre la santé et le travail
2- de plus, une rencontre personnelle avec l’employeur pour soumettre un projet d’alerte médicale, lui fait d’une certaine façon cautionner celle-ci préalablement ou lui demander d’énoncer son avis sur un sujet qui est de notre responsabilité exclusive, car seuls nous avons accès aux effets du travail sur la santé.
Par contre, le débat ultérieurement, même sur les fondements de l’alerte médicale, de l’employeur jusqu’au CHST, est légitime.

Q : Il y a débat entre nous. On pense que la courtoisie ou la correction avec un employeur serait d’en débattre avec lui. Une alerte collective c’est un constat médical du point de vue de l’atteinte à la santé au travail, individuelle ou collective. Nous, médecins du travail, pensons alors que c’est grave, et notre avis n’est pas subordonné à la prise en compte de la question économique. Du point de vue éthique, partager un co-diagnostic de gravité sur la santé avec un employeur, ce n’est pas correct. L’employeur doit prendre des décisions pour agir sur le travail pour faire face à l’alerte médicale, en prenant en compte éventuellement des données sur le lien santé-travail qui le gênent. Nous devons assumer seul du côté de notre métier, le constat de la gravité d’une situation clinique et son lien avec le travail, mais rester relativement prudent quant aux solutions de prévention, en ouvrant plutôt un certain nombre de pistes précises, pour que l’employeur puisse s’en saisir.
Dans mon expérience, après avoir discuté avec un employeur sur des alertes passées effectuées depuis plusieurs années, il a énoncé qu’il est redevable au médecin du travail d’avoir ouvert des pistes sans l’enfermer dans des réponses, car il sait que le médecin n’avait pas les responsabilités d’obligation de prévention d’un chef d’entreprise, et réciproquement.
Si nous discutons du bien-fondé d’une alerte médicale préalablement avec l’employeur avant son écriture, c’est peut-être plus par rapport à la peur que nous avons de nous tromper sur notre diagnostic d’atteinte à la santé collective, ce qui nous renvoie à la difficulté de l’élaboration professionnelle de nos critères médicaux pour dire qu’une situation est grave collectivement.
Par ailleurs, quand le médecin porte l’alerte devant le collectif de travailleurs, il doit assumer seul la responsabilité de ses constats médicaux de gravité, pour privilégier et focaliser la discussion sur ce qui fait difficulté dans le travail.

Q : Ce qui a été présenté, c’est le retour du pouvoir d’agir du médecin du travail comme un autre travailleur, avec deux pistes. Ces deux pistes :
- c’est une méthode clinique, la clinique médicale du travail
- et c’est la discussion du travail entre pairs, la possibilité de développer l’analyse des pratiques entre pairs et d’y mettre en délibération notre difficulté à agir, quand elle se présente.

Ces deux notions peuvent nous permettre de retrouver notre pouvoir d’agir comme professionnels impliqués dans le champ du travail

mise à jour 15-Nov-2014