8ème
Colloque E-PAIRS du 20 mai 2016
Avec l’association Santé
et Médecine du Travail (a-SMT)
et le soutien du SNPST et des médecins du travail de la
CGT
COMPTE RENDU du COLLOQUE
Les
coopérations du Médecin du Travail avec quatre
spécialistes médicaux
(Généraliste, Psychiatre, Rhumatologue, Consultant
de pathologie professionnelle)
du point de vue de la santé au travail d'un patient
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1ere PARTIE : MEDECINE DU
TRAVAIL / MEDECINE GENERALE
2ème PARTIE Médecine
du travail / Consultation de pathologie professionnelle
3eme PARTIE : MEDECINE DU
TRAVAIL / RHUMATOLOGIE
4eme PARTIE : MEDECINE DU
TRAVAIL / PSYCHIATRIE
Discussions et conclusions,
par le Dr Ma
gdeleine Ruhlmann, MIRT
Extraits de Textes
préparatoires des colloques précédents
Supports aux interventions des Médecins
du travail référents
I- Développer la coopération entre médecins
du travail et médecins généralistes
II- La coopération du médecin du travail
et du médecin de pathologie professionnelle.
IV-Faciliter la coopération du médecin
du travail avec le psychiatre en tenant la question du travail
Les
supports des médecins du travail référents
En version Imprimable en PDF
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Introduction
par Alain GROSSETETE
Bienvenue à ce dixième
colloque ! Il accueille cette fois des spécialistes
médicaux : rhumatologues, médecins généralistes,
médecins de pathologie professionnelle, psychiatres.
- Les questions portant sur le travail en lien avec la santé
ont pris une place considérable dans l’espace
public. Il fut un temps où ce n’était
pas le cas.
Les affaires de travail défrayent l’actualité.
La « loi travail » est en discussion dans le
pays, avec ses remous ; les émissions et articles
portant sur le travail qui malmène, sont légion,
et aussi, sur un tout autre plan, les plaintes d’employeurs
instruites par le conseil de l’ordre vis-à-vis
de médecins qui témoignent du lien entre la
santé et le travail, sont régulièrement
sur la place publique.
- Dans nos consultations de médecine du travail,
la question du travail traverse notre quotidien de professionnels
et c’est probablement le cas aussi des autres spécialistes
: généralistes, rhumatologistes, médecin
de pathologie professionnelle, psychiatres, pour s’en
tenir à ceux qui sont présents aujourd’hui
à ce colloque.
Il était donc utile de proposer de mettre en discussion
nos éclairages respectifs sur le travail, dans ses
implications avec la santé, et de débattre
de la façon dont nous pouvions coopérer à
ce sujet, dans l’intérêt de la meilleure
prise en charge possible de la santé des salariés-patients
ou des patients-salariés.
- C’est pourquoi le thème retenu du colloque
de cette année porte sur les pratiques professionnelles
de médecins du travail dans leur coopération
avec des spécialistes médicaux, pour prendre
en charge du mieux possible, leurs « patients salariés
» ou leurs « salariés patients. »
Comment les spécialistes
médicaux et médecins du travail, chacun avec
sa clinique (clinique médicale du travail, et clinique
propre à chacune des spécialités médicales
présentes ici), peuvent-ils coopérer au maintien
ou au rétablissement de la santé d’une
personne au travail ? Quelles sont les pratiques professionnelles
connues ou à explorer pour que cette coopération
puisse se déployer ?
Comment le travail du salarié ou du patient est-il
pris en compte ? Comment rendre compte de son activité
de travail ? Qu’en faire ? Avec quelles règles
professionnelles ?
Quelles contributions venant
du médecin du travail seraient attendues par les
autres spécialistes médicaux qui s’occupent
du soin ?
Quel éclairage, du point de vue des spécialistes
médicaux, et du point de vue du médecin du
travail, la clinique médicale du travail (dont le
champ se déploie à la fois sur l’individu
et le collectif) peut-elle apporter dans la coopération
pour mieux prendre en charge un patient, tout en recevant
la contribution des autres cliniques médicales ?
Voici donc quelques questionnements
qui viennent à l’esprit, un peu « hors
sol » pour l’instant, mais qui heureusement
vont pouvoir s’appuyer sur la présentation
des quatre cas cliniques qui vont se succéder dans
la journée.
De tout cela nous allons donc débattre.
Mais auparavant, et dans cette ouverture du colloque, je
voudrais mettre l’accent sur trois points essentiels
de mon point de vue. Ils rendent compte auprès des
spécialistes non médecins du travail qui sont
présents à ce colloque, que l’exercice
de la médecine du travail est particulier à
plus d’un titre. Ils ont fait l’objet de nombreux
échanges entre médecins du travail, dans les
colloques précédents et dans les travaux en
groupes de pairs, et je les souligne aujourd’hui,
au motif que ces trois points pourraient bien aujourd’hui
se trouver en position-clé dans la coopération
recherchée avec les autres spécialistes médicaux.
Ces trois points concernent
la question de la confiance, puis celle de l’exploration
du travail, enfin de la place des écrits dans notre
discussion d’aujourd’hui.
- Premier point, Je voudrais
aborder la confiance dans la relation médecin/salarié/
patient : la question de la confiance se pose évidemment
dans tous les types de consultations médicales, sans
laquelle aucun travail clinique ne peut se faire.
Mais la confiance entre le salarié et son médecin
du travail, comment s’établit-elle ? Elle se
déploie dans des conditions particulières
du métier de médecin du travail pour deux
raisons. Le praticien en médecine du travail n’est
pas choisi par le salarié. Et la relation entre salarié
et médecin du travail, donc la question de sa santé
au travail, est en articulation avec le contrat de travail.
Travail et santé peuvent se regarder souvent en chien
de faïence ! Or nous savons bien que la question du
déploiement de la confiance du salarié est
impactée, polluée historiquement par la question
de l’aptitude, laquelle peut être considérée
comme un réel obstacle au travail clinique du médecin
du travail entrepris avec le salarié. Beaucoup de
salariés convoqués à la visite médicale
du travail ne savent pas du tout de quoi il retourne dans
la consultation, et font preuve de retenue, ou même
de méfiance.
Aussi le médecin du travail doit pouvoir expliquer
à un salarié reçu en consultation comment
il peut travailler avec lui pour soutenir sa santé,
déployer ce qu’il va lui proposer. Il est appelé
à exposer ses pratiques professionnelles en même
temps avec les collègues entre lesquels la coopération
doit s’installer.
La confiance entre médecin du travail et le salarié,
qui est adressée au spécialiste, conditionne
très largement l’établissement de cette
coopération. Le patient en est le pivot. Si la confiance
fait défaut, alors chacun n’a plus qu’à
jouer « à part » et la question est évacuée.
Donc, question : si la confiance conditionne en partie au
moins, l’existence même d’une coopération
entre spécialistes non médecins du travail
et médecins du travail, à quelle condition
cette confiance peut-elle s’établir ?
- Pour ce qui concerne
la réponse du médecin du travail, et c’est
le second point, sa réponse est dans l’investigation
qu’il mène sur le travail. Son « ticket
d’entrée » dans la coopération
est qu’il instruise le mieux possible la question
du travail auprès des autres spécialistes.
C’est tout à fait fondé et attendu comme
contribution particulière de sa part. D’abord
parce qu’à ouvrir la boîte du travail,
chacun risque de s’y perdre, tellement il y a de poupées
russes à ouvrir ! Les généralistes
le savent bien. Rentrer dans le travail du patient prend
du temps ! Aussi, tant mieux si l’aide du praticien
du travail lui est proposée : car le travail c’est
comme la boîte noire qui équipe chaque avion.
Le travail est spontanément opaque, il ne devient
accessible dans ses différentes dimensions que s’il
est exploré. Beaucoup de médecins du travail
ont dû peiner pour cela, et rechercher les apports
de l’ergonomie et de la psychodynamique pour essayer
de comprendre ce qui se joue pour la santé sur la
scène du travail, avant de disposer eux-mêmes
d’une clinique qui est la clinique médicale
du travail.
C’est pourquoi, et je le verse au débat, Il
n’y a pas vraiment de coopération possible
si le médecin du travail n’a pas instruit au
préalable, la question du travail, d’abord
pour sa réflexion à lui, celle du salarié/patient,
et celle du spécialiste. C’est même peut-être,
sa contribution la plus importante à cette coopération.
- Cette contribution passe,
le plus souvent pensons-nous, par des « Ecrits ».
Et c’est le troisième et dernier point. Nous
avons déjà exploré la question des
écrits du médecin du travail dans un colloque
précédent. Le plus souvent il s’agit
d’un courrier, remis au salarié patient, pour
qu’il puisse le transmettre ou pas. Le patient salarié
est ainsi considéré comme le pivot de la coopération.
La question qui nous serait ici commune, pourrait être
: quel est le juste nécessaire à écrire
pour coopérer ? Compte tenu de toutes les embûches,
du respect du secret médical, de la responsabilité
du médecin, etc., je ne développe pas.
Nous écrivons à des collègues spécialistes
dont ce n’est pas forcément dans leurs pratiques
de le faire, ni même d’y répondre. Notre
écriture de médecin du travail nous est propre
par certains côtés parce que notre exercice
se déploie sur la longue durée. Un écrit
de médecin du travail peut donc prendre une mise
en forme de récit, rédigé à
partir du dossier médical santé travail, et
portant sur une longue histoire professionnelle du patient
avec sa trajectoire, les impasses rencontrées, l’impact
sur sa santé.
Voici en somme, de quoi
débattre aujourd’hui, avec intérêt
et plaisir, nous l’attendons ainsi, sur les pratiques
professionnelles de médecins du travail en coopérations
avec d’autres spécialistes, qui vont contribuer
à nous aider à réfléchir.
De tout ce qui va se dire ici, des questions remises en
forme, des controverses sont à repérer, à
étayer, et des repères à construire
pour les pratiques de médecins du travail, qui pourront
peut-être interroger aussi, en retour, les pratiques
des autres spécialistes dans leurs approches avec
nous.
1ere
PARTIE : MEDECINE DU TRAVAIL / MEDECINE GENERALE
Vignette
clinique préparée par les
Dr Annie Deveaux et Josiane Crémon, médecins
du travail
Observation de Mme B
Mme
B âgée de 54 ans travaille depuis 1979 comme
comptable dans une petite société comportant
d’une part une entité comptable et 4 salariés
au rez-de-chaussée et une entité formation
de 2 salariés à un autre étage, dirigée
par Mr X.
L’entité
comptable est cédée en 2002 à un grand
cabinet comptable dont le siège est situé
dans une autre ville. La petite unité sera maintenue
sur le même site avec comme responsable, Monsieur
Y, un associé de la nouvelle entreprise qui passera
2 fois par semaine environ.
Mme B a donc fait toute sa carrière dans ce cabinet
comptable, en évoluant sur le plan professionnel
et en intégrant très bien les évolutions
du métier et les évolutions technologiques
comme l’informatisation du service.
Du fait de la spécificité du travail, les
horaires hebdomadaires changent en fonction de la charge
de travail. Ainsi de janvier à avril elle travaille
40h par semaine (période des bilans, déclarations
fiscales et sociales), et le reste de l’année
elle travaille 32h par semaine.
Par ailleurs elle refuse de faire des heures supplémentaires.
Tout
au long des dernières visites elle n’exprime
aucune difficulté professionnelle malgré une
charge de travail importante. On ne note aucun retentissement
ni sur sa santé physique ni sur sa santé psychique
;
Lors de la visite systématique de juin 2009 le MT
note :
- Bon sommeil
- TA : 19/10
- Pas de problème au travail
Il oriente Mme B vers son médecin généraliste
pour prise en charge de sa TA élevée.
Lors
de la visite périodique d’octobre 2011, Mme
B exprime pour la 1ère fois des difficultés
professionnelles, elle décrit une charge de travail
beaucoup plus importante, une dégradation de l’ambiance
au travail ; son responsable lui fait des reproches répétés
sur la qualité et la quantité de travail fourni
et son manque d’implication. Elle déplore aussi
une mauvaise relation avec une collègue
A l’examen clinique la TA reste encore élevée
et n’est toujours pas traitée. Le MT adresse
un courrier au médecin généraliste.
Le
28/06/2012 Mme B demande une visite de pré reprise.
Elle explique
alors qu’elle est en arrêt de travail depuis
avril pour divers troubles de santé :
- un kyste parotidien G traité par cortisone
- pour confirmation HTA et traitée par Pritor plus
1cp/j
- pour syndrome anxiodépressif se manifestant par
des angoisses, des troubles du sommeil avec réveil
nocturnes, et des ruminations sur le thème du travail,
traité par Deroxat ½ cp/j.
Mme B pleure pendant la consultation, et elle explique que
ses difficultés sont apparues au changement de direction
et qu’elles se seraient détériorées
fin 2011, avec l’arrivée d’une nouvelle
collègue, qui remplace une salariée qui a
démissionné (avec laquelle Mme B s’entendait
bien notamment sur le plan professionnel, elles s’épaulaient
en cas de surchauffe).
Depuis
Mme B dit se sentir isolée, la nouvelle collègue
ne lui adresserait pas la parole (juste bonjour, bonsoir),
de plus cette collègue serait proche de la direction
qui aurait toute confiance en elle.
Mme B dit ne pas pouvoir s’appuyer sur le responsable
car il est très peu présent sur le site. En
plus le responsable de l’agence lui reprocherait son
manque d’implication car elle ne veut pas faire d’heures
supplémentaires, et qu’elle aurait des difficultés
pour s’adapter aux évolutions du travail, notamment
à un nouveau logiciel et à des nouvelles applications
EXCEL. Elle dit qu’elle aurait bénéficié
d’une formation moins approfondie que sa collègue.
On lui reproche un refus de sa part de s’adapter aux
innovations du métier, alors qu’elle exprime
un besoin d’aide qu’elle n’obtient pas.
Elle ressent cette situation comme une volonté de
la pousser à la démission.
Elle s’est alors rapprochée de son ancien employeur
qui lui a apporté son soutien.
Le MT rencontre l’employeur le 6/7/2012, qui nie tout
conflit avec cette salariée, mais confirme que Mme
B a du mal à s’adapter aux évolutions
à l’inverse de sa collègue. L’employeur
suggère même que si Mme B est en souffrance
dans l’entreprise il faut qu’elle cherche un
autre emploi et est prêt à l’aider. Le
MT fait la proposition d’une reprise à temps
partiel thérapeutique, l’employeur est d’accord
mais septique sur l’efficacité.
Le
21/08/2012 Mme B est vue en visite de pré reprise.
Elle dit qu’elle va mieux, elle dort mieux, son moral
est bon et sa TA est à 14/8 sous traitement. Mme
B ne veut plus quitter l’entreprise. Le MT fait alors
un courrier au médecin généraliste
pour lui spécifier que Mme B peut reprendre le travail
mais à temps partiel thérapeutique.
Puis le MT rédige un fiche d’aménagement
poste en prévision de la reprise.
Le
25/09/2012 la salariée demande une visite auprès
du MT car à nouveau elle ne va pas bien (la VR n’a
pas été demandée par l’employeur,
reprise effectuée le 3/9)
Sur le plan santé le syndrome anxio dépressif
est réapparu, car la situation professionnelle n’a
absolument pas changé, on lui aurait même proposé
un poste dans une petite entreprise et à ½
temps qu’elle a refusé pour raison personnelle.
Mme B ne se sent pas capable de reprendre à temps
plein, et ne veut pas être en arrêt complet.
Cette fois encore le MT adresse un courrier au MG pour demander
une prolongation du ½ temps thérapeutique
et il explique que les difficultés professionnelles
persistent.
Le 28/02/2013 Mme B redemande à rencontrer le MT.
Elle est à nouveau en arrêt complet depuis
le 31/2012, car sa TA est déstabilisée avec
nécessité d’augmenter le traitement,
son syndrome anxiodépressif s’est aggravé.
Elle prend un nouveau traitement :
- Pritor 1/j
- Hypérium 1/J
- Deroxat 1/j
Le MT envisage l’inaptitude mais Mme B refuse, car
l’entreprise où travaille son mari rencontre
des difficultés. Elle informe être convoquée
par le Médecin conseil le 6 mars 2013 avec qui le
MT s’entretiendra le même jour (qui a pris l’initiative
?), une prolongation des IJ est acceptée.
Le
MT adresse un courrier au MG :
« J’ai revu le 28 février 2013, dans
le cadre d’une visite médicale de pré
reprise, madame B., comptable au cabinet XXXXX, en arrêt
maladie depuis avril 2012 pour un déséquilibre
tensionnel ainsi que des troubles anxiodépressifs,
en relation avec une souffrance psychologique due à
ses conditions de travail.
Madame B. a repris le travail à mi-temps depuis le
3 septembre 2012 dans le cadre d’un dispositif de
temps partiel thérapeutique. Elle est actuellement
en arrêt de travail complet depuis la fin décembre
2012, sur votre prescription, pour les mêmes problèmes
liés à son travail qui n’ont pas été
résolus.
A la demande de Mme B., j’avais en effet rencontré
le responsable des bureaux du cabinet XXXXX en juillet dernier,
afin de m’entretenir avec lui de ses conditions de
travail et d’inciter l’employeur à trouver
une solution afin de remédier à son état
de souffrance.
Madame B. présente toujours des troubles anxiodépressif
avec angoisses, ruminations en relation avec le travail,
troubles du sommeil ; elle pleure durant l’entretien
en évoquant ses conditions de travail ; je lui trouve
une TA à 16/8 lors de l’examen. Elle est actuellement
traitée par vos soins avec PRITOR PLUS, HYPERIUM
et DEROXAT. Compte tenu de son état de souffrance
psychologique et de la déstabilisation de sa TA qui
est sans doute en grande partie liée, je pense que
la reprise du travail de madame B. n’est actuellement
pas possible et que son arrêt de travail doit être
prolongé. Avec l’accord de madame B., j’envisage
de faire un nouveau signalement à l’employeur.
».
Il s’ensuit un échange de courrier avec l’employeur
(14/03/2013 et réponse de l’employeur le 20/04/2013).
Une nouvelle visite de pré reprise à la demande
de la salariée a lieu le 13 juin 2013. L’entretien
clinique va porter sur les projets et l’avenir professionnel
de Mme B., notamment des 3 solutions qui se présentent
à elle :
• Soit reprendre son travail en l’état
avec le risque que les troubles de l’état de
santé ne s’aggravent.
• Soit quitter l’emploi actuel, par le biais
d’une inaptitude (pas de nouvelle proposition de travail
de la part de l’employeur), solution qui est récusée
par Mme B. pour les mêmes raisons financières
que lors des entretiens précédents mais aussi
pour ne pas se sentir coupable.
• Soit reprendre le travail en tentant de faire évoluer
les conditions de travail, solution qui obtient l’accord
de Mme B. qui semble très ferme sur sa volonté
de rester dans l’entreprise.
Le
MT propose de rencontrer l’employeur avec Mme B et
lui demande de préparer cet entretien :
• faire des propositions précises à
l’employeur avec demandes d’aménagement
du poste devant contribuer à l’amélioration
de ses conditions de travail.
•
Mener un travail de réflexion sur ses besoins concrets,
en termes de formation et d’organisation du travail,
afin de permettre une discussion constructive lors de notre
rencontre, au regard des différents entretiens que
nous avons eu depuis le début de son arrêt
de travail.
•
Préparer ensemble cet entretien pour qu’il
porte sur des points précis et constructifs afin
que cette rencontre ne se transforme pas en règlement
de comptes.
L’entretien
« tripartite » aura lieu le 25 juin 2013. Un
besoin de formation s’exprimera précisément
: à la fois formation théorique car elle aurait
bénéficié de beaucoup moins d’heures
de formation que sa collègue sur le nouveau logiciel
de comptabilité et une aide pratique et concrète.
Ce sera une forme de tutorat assuré par un stagiaire
expert-comptable, présent depuis quelques mois sur
le site où travaille Mme B., de bonne compétence
technique et surtout étranger aux tensions actuelles.
Un courrier de l’employeur au MT viendra formaliser
la teneur des échanges, «…. Pour aller
dans votre sens, j’ai suggéré qu’une
formation individualisée lui soit réservée
à notre bureau de la ville de R. Puis, dans le cadre
d’une reprise à plein temps, j’ai avancé
l’idée qu’elle puisse utiliser chaque
semaine des jours de congés, et, ainsi, avoir l’assurance
de reprendre un rythme de travail à sa guise.
Pour bien faire, nous souhaitons réserver à
Mme B. le meilleur encadrement possible, ce qui ne sera
pas possible en juillet (personnel en congé ou absent
pour raison chirurgicale) ni en août, avec la fermeture
du cabinet pour 3 semaines. En conséquence nous vous
proposons de démarrer cette formation la semaine
36, soit la première semaine Comme cela a été
convenu, j’ai appelé Mme B. en début
d’après-midi pour lui soumettre cette idée,
et lui demander ce qu’elle souhaitait comme adaptation
informatique sur son poste de travail. Sa demande porte
exclusivement sur 2 connexions informatiques réseau,
ce qui sera bien entendu vérifié, si ce n’est
déjà fait. En outre, après sa formation,
je lui ai proposé de revenir travailler les après-midis
avec une amplitude horaire à sa convenance. A priori,
elle s’est montrée favorable à ce schéma
et a compris notre problématique d’organisation
».du mois de septembre.
Le MT sera en copie du mail confirmant, fin août,
à Mme B cette organisation et sa reprise de travail
début septembre 2013.
Billet
du référent médecine du travail
Dr Gérard Lucas, médecin du travail
Questionnement sur la coopération entre les
deux professions médecine du travail et médecine
générale.
Rappel : La préservation de la santé
au travail doit tenir compte de la connaissance de l'entreprise,
du travail réel et du travailler ; elle doit respecter
la santé globale du travailleur, plus accessible
par le médecin généraliste, et sa sphère
privée.
1 - Pourquoi la coopération
entre la médecine du travail et le médecin
généraliste des travailleurs :
• Parce que le
médecin du travail peut avoir besoin de tenir compte
de la santé globale du travailleur dont l'appréhension
ne lui est pas entièrement possible.
• Parce que le médecin généraliste
peut avoir besoin pour l'accompagnement de son patient
de connaître les conditions de travail concrètes
qui interagissent avec sa santé autrement que par
ses dires et que par la connaissance empirique.
• Parce que le travailleur-patient aurait besoin
de la compréhension mutualisée de ces deux
interlocuteurs pour la cohérence de leur accompagnement
dans les prescriptions ou les préconisations d'aménagement
de poste ergonomique ou organisationnel…, a fortiori
pour des décisions d'inaptitude à la demande
du salarié.
2 - Risques du manque de
coopération
Incongruences des décisions
d'accompagnement par exemple :
• Refus d'une
ITT par un généraliste chez un travailleur
qui présente une atteinte invalidante qui risque
de s'aggraver au travail ou de détériorer
le lien à l'environnement de travail du salarié.
(un épisode infectieux, métabolique, une
TMS, une phase dépressive...)
• Pas d'investigation par le médecin du travail
du lien santé au travail d'un salarié dont
l'absence d'aménagement du poste est une entrave
à la préservation de sa santé. (charges
physiques, nuisances ou organisation du travail à
RPS…)
• Salariés démunis de réponse
cohérente ; position de consommateurs de prescriptions
ou d'avis à court terme, pas forcément synergiques,
parfois contradictoires. Heureusement la plupart des salariés
ont un bon sens et une stratégie solide. Mais des
situations de passivité ne permettent pas la reconquête
d'un pouvoir d'agir personnellement et collectivement.
Un salarié peut aussi être dans la manipulation
de la non coopération pour des bénéfices
secondaires en maintenant à la fois l'invisibilité
du travail.
3 - Quelles sont les éléments
attendus de cette coopération ?
• Le médecin
du travail attend la prise en compte par le médecin
généraliste des conditions de travail réelles
de l'entreprise du salarié. Il peut avoir besoin
de comprendre l'effet des choix thérapeutiques
sur le travailler du salarié.
• Le médecin traitant peut avoir besoin d'avoir
une confirmation objective du positionnement d'un salarié
dans une entreprise, de la réalité des contraintes
de travail, des potentialités d'insertion, de réinsertion,
de modifications et/ou d'aménagements de postes
compatible avec la préservation et/ou la construction
de la santé de son patient.
4 - Comment ? Quelle formalisation
de ces échanges coopératifs ?
• Établir
les conditions d'une relation de confiance entre le salarié
et les médecins du travail et généraliste.
Dans le colloque singulier avec le patient ou le salarié,
la suggestion d'une coopération confiante est capitale,
(au-delà des rivalités professionnelles
!).
• Les échanges écrits sont certainement
indispensables dès qu'il y a enjeu. La pratique
de la lettre au confrère remise ouverte à
l'intéressé travailleur, parce qu'elle lui
est opposable, est-elle toujours possible ?
• Les échanges téléphoniques
ou courriellés entre confrères doivent être
demandés et annoncés.
• Les écrits du médecin du travail
doivent éviter le « jugement » du sujet
ou de l'environnement encadrement de travail. La description
et la catégorisation des éléments
du travail qui font difficulté à la santé
devraient être précises et dépourvus
de jugement.
Médecin généraliste Dr
Patrick Dubreil, région nantaise
1er temps : cas clinique
Il y a beaucoup de non-dit
de la part de la patiente et un jeu de pingpong entre le
médecin du travail (MDT), le médecin généraliste
(MG) et l’employeur. Simone Weil nous dit «
le fait capital n'est pas la souffrance c'est l'humiliation
».
Cette personne a de l'expérience quand l’entreprise
est rachetée. Je note :
- la perte du collectif de travail,
- le fait qu’elle ait moins de formation que sa collègue,
- le retard dans la mise en route du traitement et la rechute
lors du mi-temps thérapeutique
- 6 ans entre les premiers signes et la mise en place d’une
solution au niveau du poste de travail.
Concernant son refus de l'inaptitude, c’est peut-être
qu’elle ne se sent pas inapte et qu’il y a la
peur de la précarité (notion de subordination).
On sent une patiente coriace qui s'accroche à son
travail.
La question que je me pose en tant que généraliste
: pourquoi la démission de sa collègue ? Quelle
aide représentait-elle pour madame B ? Quel était
son travail avant ? Qu'est ce qui fait que le travail ait
à ce point changé pour qu'elle soit malade
à cause de son travail ? Pourquoi est-elle passée
au travers des mailles du filet de la prévention
?
2ème temps :
réflexion sur les coopérations
Quand je pose la question suivante à mes patients
: « quand avez-vous vu le MDT ? », ils me répondent
: « jamais ou il y a longtemps. ». Le poids
de la démographie médicale en santé
au travail en est certainement responsable mais le fait
est que le salarié se confie plus souvent au médecin
traitant qu'à son médecin du travail car il
l'a choisi.
Quand je leur demande « avez-vous parlé de
vos difficultés au travail à votre MDT ? »,
la réponse est «non il m'a pris la tension
et fait une analyse d'urine. ». Certains ajoutent
« On parle du travail parfois. ». Je constate
que certains médecins du travail font des dépistages
de santé publique comme les tests hémocult
: est-ce que les missions du MDT ont changé ?
Dans les cas grave, je communique avec le MDT par téléphone
: j’ai plusieurs exemples une fois pour une femme
enceinte exposée aux solvants, une autre fois pour
un cas de violence au travail chez une salariée dont
le mari était l'employeur ou encore pour un cas de
souffrance au travail chez une salariée d'un service
de santé au travail victime de l'organisation du
travail.
Table ronde et débat :
Questions :
1. Comment le médecin
du travail peut-il faire connaitre au généraliste
le positionnement d'un salarié dans l’entreprise,
la réalité des contraintes de travail, les
potentialités d'insertion, réinsertion,
modifications, aménagements de postes compatible
avec la préservation et/ou la construction de la
santé de son patient ?
2. Quelle coopération pour comprendre l'effet des
choix thérapeutiques sur le travailler du salarié
?
3. Quelle formalisation de ces échanges coopératifs
?
4. Quelles conditions d'une relation de confiance entre
le salarié et les médecins du travail et
généraliste ?
5. Quels échanges écrits ? La place de la
lettre au confrère remise à l'intéressé
travailleur ? Quelles conditions éthiques pour
cela ?
Débat :
MDT :
Il s’agit certainement d’une posture défensive
pour les MDT qui n'étudient pas les conditions de
travail. Certains MG pensent que les MDT peuvent transformer
la situation de travail ce qui n'est pas possible. Il est
souvent difficile de rentrer dans le travail car on peut
être instrumentalisé par le salarié
ou par l'employeur. Par exemple : je me souviens d’un
salarié qui avait été changé
de poste pour un problème de compétences mais
le salarié n’avait pas été informé
de la cause de son changement de poste et était en
souffrance. Ce n’est pas au MDT de donner la raison
du changement de poste et ce n’est pas non plus au
MG de le dire au salarié, c’est de la responsabilité
de l’employeur.
Le MDT se centre sur le travail et non sur la partie intime
du salarié mais souvent celle-ci peut émerger
du fait de l'émotion. Quand le MDT interroge le MG
c’est pour savoir s’il y a uniquement un problème
de santé au travail ou s’il existe un autre
problème.
MG :
Je suis venu car en pratique cette coopération m'intéresse
car vos positionnements sont différents des miens.
Chacun doit contribuer en fonction de son lieu d'exercice.
Comment puis-je faire ? Comment puis-je contribuer ? C'est
moins évident pour les autres spécialistes.
On commence à s'y intéresser. Quand le patient
parle de la souffrance et quand j'évoque qu'il pourrait
y avoir un lien avec le travail, il a l'air étonné.
Je lui conseille de prendre rendez-vous avec son MDT et
éventuellement je lui fais un courrier. Tout passe
par le patient. Je pense que le salarié est en difficulté
pour prendre le contact avec le MDT. En lui donnant des
pistes, on l'aide à retrouver son pouvoir d'agir.
Le MG tient compte des difficultés de tous ordres
pour rechercher les causes de la souffrance même si
l'on ne le fait pas toujours. Le MDT reste centré
sur le travail et on peut coopérer pour améliorer
les choses. J’ai constaté qu’après
une souffrance au travail, le salarié ne redeviendra
jamais comme avant : il y aura une perte du plaisir au travail.
DH :
Dans la question des pathologies familiales et des pathologies
des enfants, est-ce que la souffrance au travail des parents
pourrait être une clé de lecture des difficultés
de la famille ? La souffrance a souvent un caractère
multifactoriel.
MG :
L'instruction du lien santé travail peut aider à
comprendre. Mais quelles sont les bases de la collaboration
et comment on fait ?
MDT :
Il est difficile de lever les défenses du travailleur.
La coopération entre les 2 professions peut aider
à lever les défenses du salarié-patient
MDT :
Dans certains cas, les employeurs ne proposent rien en termes
d’aménagement du poste de travail quand il
y a des difficultés avec des risques d’inaptitude.
Dans le cas clinique présenté, il y a des
propositions. Dans la fonction publique, tout bouge et on
ne sait pas pourquoi : Danièle LINHART, sociologue
directrice de recherche au CNRS, pense que c'est pour casser
les collectifs de travail et garder les salariés
plus adaptables.
MDT
: De plus en plus, beaucoup de salariés assez jeunes
n'ont pas de médecin généraliste. Les
MDT sont soumis à des effectifs non négligeables.
Les moyens à utiliser pour la coopération
sont le téléphone en présence du salarié
qui me semble assez porteur. Je subvertis la fiche d'aptitude
avec des conseils écrits avec l'accord du salarié.
Même si les moyens sont dégradés, on
peut agir. Avec la souffrance psychique, on peut échanger
plus facilement avec les MG et même avec les psychiatres.
MDT
: Quelquefois le MG rédige des certificats de contre-indication
que ne respecte pas le MDT. Cela pollue la confiance entre
le MDT et le salarié qui ordonne au MDT d’exécuter
l'avis du MG. Quand les recommandations du MG ne sont pas
applicables par le MDT, il y a ainsi une perte de confiance
car le salarié dit au MDT « vous êtes
aux ordres du patron ». Je constate que parfois, il
y a un empiétement du rôle du MG sur celui
du MDT : le MG peut banaliser certaines contraintes que
ne pourra pas banaliser le MDT.
DH
: La question est que la grille de lecture des contraintes
par le MDT n'est pas la même que celle du MG.
MDT
: Ces coopérations ont un intérêt car
le MDT est confronté à une difficulté
d'échanges avec les MG par courrier car ils n’ont
le plus souvent pas de réponse. J'ai une bonne connaissance
du travail mais je n'ai pas de réponse. Il faut développer
cette relation de confiance. En PACA, l'ordre a mis en place
un vadémécum pour faire connaître le
métier de médecin du travail aux autres spécialités
médicales.
MDT
: Je n'ai jamais reçu de lettre de médecin
généraliste. Je donnais une lettre au salarié
ouverte mais c'est le salarié qui faisait le messager
ou alors le MG demandait qu'on l'appelle en présence
du salarié pour discuter à trois. Le MG est
choisi par le salarié, le MDT doit écrire
car il n’est pas choisi.
MDT
: La visite de pré reprise est un très bon
outil de coopération entre le MDT et le MG. Le salarié
peut montrer au MG sa conclusion écrite que nous
allons envoyer à l'employeur
MDT
: C’est la confiance qui construit la coopération.
La question de la santé n'est pas non plus une valeur
commune. Le salarié doit récupérer
son pouvoir d’agir : c'est surtout de la santé
du patient dont dépend sa capacité à
se prendre en charge ou pas : est-ce que je dois faire des
démarches pour lui ou est-ce qu'il doit les faire
lui-même ? La vignette clinique, c'est l'isolement.
Il faut aider les salariés à sortir de l'isolement
MG
: Je rencontre beaucoup de souffrance en lien avec le travail
nécessitant des consultations longues. Le MG est
au paiement à l'acte mais je prends le temps d'écouter
et d'examiner les patients. La première consultation
est importante en fait. Je pense que c'est le travail qui
est malade. Il faut prendre du temps pour savoir ce qui
a fait basculer dans la maladie. Il faut parfois savoir
aussi démédicaliser et rechercher de l'aide
auprès des collègues, des syndicats et des
DP dans un deuxième temps. Je me tourne aussi vers
le médecin inspecteur régional du travail.
2ème
PARTIE Médecine du travail / Consultation de pathologie
professionnelle
Vignette
clinique préparée par les
Dr Thérèse Buret et Alain Randon, médecins
du travail
Une maladie professionnelle
par exposition aux solvants
Je reçois
madame L, 30 ans, pour la première fois le 22 janvier
2006 en visite d’embauche en tant qu’intérimaire
affectée dans l’entreprise D où elle
occupe un poste au tri des invendus depuis 3 mois. En février
2007, elle est recrutée en CDD par l’entreprise
D, puis en août 2007, elle obtient un CDI. Le poste
où elle est affectée dès février
est à l’atelier « Décors »,
sur une cabine de peinture de technologie DBM.
Je la revois le 31 juillet 2008 en visite périodique.
Dans ses antécédents professionnels, on retrouve
un apprentissage dans la coiffure de 1992 à1994,
puis divers emplois sans exposition à de risques
chimiques particuliers : manutentionnaire, agent de production,
aide à domicile comme garde-malade. Avant d’intégrer
l’entreprise D, elle venait de subir un licenciement
économique en tant qu’employée dans
un magasin de vêtements de 2001 à 2006.
Madame
L est née le 11/08/1976, elle élève
seule son fils né le 14/01/2003. Elle n’a pas
d'antécédents médicaux particuliers.
Concernant son poste de travail, dans son dossier médical
je notais le 31 juillet 2008 :
- préparation des peintures
- installation des pièces à peindre
- mise en carton des pièces peintes
En
fait, la préparation des peintures se fait dans un
coin de l’atelier du local « Décors »,
mal ventilé, mal aéré, sans aspiration.
Comme EPI elle n’a que des gants en PVA pour cette
opération. Ensuite, elle installe les objets à
peindre (barrettes, pinces à cheveux…) sur
des broches spéciales qu’elle fixe dans la
cabine de peinture. Une fois tout installé, le programme
de mise en peinture automatique peut être lancé.
Les pièces peintes sont ensuite déposées
sur des portants et mises à sécher. Tout se
fait dans le même espace, l’installation des
objets à peindre sur les broches se fait à
côté des supports où sèchent
les pièces venant d’être peintes.
L’analyse des FDS des produits utilisés, en
particulier des peintures, montre qu’elles contiennent
du toluène, du xylène, des éthers de
glycol dont l’EGEE, du méthyl-éthyl-cétone,
des résines époxy et des isocyanates. (Des
études d’atmosphère réalisées
ultérieurement montreront que l’exposition
la plus forte aux solvants a lieu dans le local de préparation
des peintures et auprès des « séchoirs
» de pièces.)
Concernant
la clinique, je note dans le dossier :
- Neuro : RAS
- Pulmonaire : aucune plainte, pas de signes fonctionnels
dus à la peinture. (J’avais déjà
dû écarter de ce poste des salariés
ayant présenté des réactions asthmatiformes
et attiré l’attention de l’employeur
sur les mauvaises conditions de ventilation du local)
- Bonne hygiène de vie (alcool=0 tabac=0)
Je
lui prescris un bilan sanguin qu’elle effectue peu
de temps après.
Ce premier bilan du 27 septembre 2008 révèle
un taux de Gamma GT à 135 U/L avec des taux d’ASAT
et d’ALAT normaux. Je fais donc réaliser un
deuxième bilan, en période de non exposition,
la machine à peinture étant arrêtée.
Ce bilan montre des Gamma GT toujours élevées
à 126 U/L.
Je
décide donc de l’adresser en consultation de
pathologie professionnelle.
- Je rédige à cet effet un courrier argumenté
sur l’exposition de madame L (FDS, étude de
poste) à l’attention de mes confrères
du service, avec comme question : pensez-vous que cette
augmentation des Gamma GT puisse être liée
à son exposition aux solvants ?
-Je reçois madame L pour lui expliquer la démarche
et l’informer sur le déroulement de principe
d’une consultation de pathologie professionnelle,
sur le délai d’attente, sur l’étape
préalable du questionnaire détaillé
qu’elle est susceptible de recevoir par courrier,
ou qui lui sera proposé de remplir sur place, sur
l’importance de la collecte de renseignements autour
du travail. Tout ça lui parait un peu compliqué,
mais elle comprend bien que c’est dans son intérêt.
Elle sait qu’il faudra avertir l’employeur,
elle est prête à coopérer. Je lui précise
qu’en cas de besoin elle peut toujours me joindre.
Deux mois plus tard je reçois le compte rendu de
la consultation du 15 décembre 2008 où Il
est précisé :
«
En juillet 2007, Mme L aurait ressenti des maux des maux
de têtes qui évolueraient essentiellement par
périodes et seraient prédominants surtout
le soir. Elle aurait ressenti également des troubles
de l’humeur à type d’irritabilité,
et ses proches auraient constaté ce changement de
comportement. Elle manifesterait une asthénie importante
qu’elle constaterait de plus en plus de manière
prégnante et ne semblerait pas rythmée par
le travail.
Depuis 2007, elle ressent avoir de plus en plus de troubles
de la mémoire, surtout antérograde. Elle cite
notamment en exemple l’impossibilité de pouvoir
retenir la moitié d’une liste de courses comportant
à peu près 10 objets. De surcroit elle aurait
remarqué récemment une intolérance
aux odeurs chimiques de type eau de javel et ne peut plus
actuellement utiliser des produits chlorés de ce
type comme produits ménagers compte tenu de la gêne
qu’elle ressent.
Au total, le Dr B conclu :
« Mme L présente un très probable syndrome
psycho-organique lié aux solvants, débutant,
dans la mesure où on retrouve une symptomatologie
associant une asthénie avec des difficultés
de mémoire, et des troubles de l’humeur de
type irritabilité sans modification importante du
caractère, en alternance avec une tendance au repli
sur soi, et ces manifestations ne sont pas rythmées
par le travail, comme il est souvent constaté dans
les syndromes psycho-organiques. Associé à
cette symptomatologie débutante, existerait un syndrome
d’intolérance aux odeurs chimiques essentiellement
marqué par l’intolérance aux odeurs
chlorées. Cette symptomatologie clinique est associée
à une augmentation anormale des taux de Gamma GT
traduisant très probablement l’induction enzymatique
chronique réalisée par une forte exposition
professionnelle à des solvants inhalés. En
l’absence d’induction enzymatique médicamenteuse,
il est très probable que cette induction enzymatique
soit d’origine professionnelle. »
Le
10 février 2009 je revois Mme L. Je reprends avec
elle sa symptomatologie, et elle m’explique qu’elle
n’avait pas jugé important de m’en parler
car, pour elle, cela n’avait rien à voir avec
le travail, ni avec les solvants qu’elle manipulait.
Je dois alors admettre que je ne l’avais pas interrogée
de façon approfondie sur le sujet. Je ne recherchais
pas cette pathologie à l’époque, je
me focalisais plutôt sur les problèmes respiratoires
et allergiques. En effet, en 2006, j’avais dû
déclarer une maladie professionnelle aux solvants,
pour un syndrome ébrieux aigu, survenu chez une salariée
de la même entreprise qui était restée
toute une journée à travailler juste à
côté d’un grand nombre de portants avec
des pièces en train de sécher, sans aucune
ventilation.
Mme
L est assez inquiète et en accord avec elle, je demande
un poste sans exposition aux solvants. Elle sera aussitôt
mutée au poste de préparatrice de commandes.
Il faut cependant noter que Mme L, instruite des effets
de la peinture sur la santé, a relaté ses
problèmes au sein de l’entreprise, expliquant
qu’une déclaration de MP était envisagée
par le médecin du travail. (Entre parenthèses,
ce n’est qu’en 2010, que le PDG a enfin consenti
à faire des travaux d’aspiration et de ventilation
dans l’atelier décor, après plusieurs
échanges oraux et écrits entre nous, accompagnés
d’une étude d’atmosphère réalisée
par le pôle toxicologique du service de santé
au travail.)
Le
24 mars 2009, le Pr H voyait Mme L en consultation, après
un bilan Le 24 mars 2009, le Pr H voyait Mme L en consultation,
après un bilan neuropsychologique pratiqué
le 11 mars 2009, en vue d’une déclaration en
MP, alors qu’elle n’était plus vraiment
exposée aux solvants depuis octobre 2008.
Le Pr H concluait : « Depuis le mois d’octobre,
Mme L a été soustraite de cette exposition.
Sa fatigue qui était permanente s’est maintenant
améliorée… elle se couche à 22H
alors qu’elle était contrainte auparavant de
se coucher à 20H30… il existe un déficit
de la mémoire immédiate et de la mémoire
de travail probablement en rapport avec quelques difficultés
attentionnelles. Ces troubles isolés sont maintenant
devenus tout à fait limites pour affirmer un syndrome
psycho organique. »
Malgré
la régression de la symptomatologie, le 20 juillet
2009 j’ai tout de même fait un certificat de
MP pour avoir une trace dans le dossier et pour marquer
le coup vis à vis de l’entreprise. Cette maladie
a été refusée le 16 février
2010 par la Sécurité Sociale.
Le
10 mai 2010, je revois Mme L en visite de reprise, après
un accident de travail, une tendinite droite de Quervain
en tirant sur un carton. Ses douleurs sont encore importantes,
elle ne peut pas reprendre, mais elle accepte que je l’adresse
à nouveau en neurologie pour faire le bilan de sa
pathologie liée aux solvants.
Le 16 juin 2010, elle reprend le travail sur un poste aménagé
sans manutention lourde.
Je
reçois le compte rendu du Pr H fin juin, il précise
: « La fatigue a disparu, elle signale encore de petites
difficultés mnésiques. Le déficit de
la mémoire à court terme verbal reste inférieur
aux normes mais s’améliore. La mémoire
épisodique est satisfaisante et les ressources attentionnelles
sont aussi plus performantes. » Le 6 septembre 2010,
son poignet présente encore quelques douleurs séquellaires,
mais elle n’a pas de problème au travail, elle
est contente d’avoir été écartée
des postes exposés aux solvants.
Le 9 février 2012, je la revois en visite de reprise
après un arrêt de travail d'un mois pour dépression,
suite à une grosse surcharge de travail. Elle me
signale qu’elle est très inquiète car
elle est convoquée le 14 février suite «aux
faits qui lui sont reprochés». Elle ne sait
pas à quel sujet…Je n’ai plus de nouvelles
alors qu’elle m’avait dit qu’elle me tiendrait
au courant. Je l’ai appelée quelques mois plus
tard pour avoir de ses nouvelles et suis tombée sur
son répondeur. Elle m’a à son tour laissé
un message pour me dire qu’elle allait beaucoup mieux
depuis qu’elle avait quitté l’entreprise
et que pour elle la page était tournée. Je
n’ai pas pu, ni eu l’occasion de voir avec elle
les liens entre ses pathologies successives et le travail
A
posteriori, je me suis demandé si je n’étais
pas passée à côté de quelque
chose, alors que j’étais focalisée sur
sa pathologie liée aux solvants.
Billet du référent médecine du
travail, Mireille Chevalier, médecin
du travail
C’est le plus souvent
à la demande du médecin du travail, que le
salarié va en consultation de pathologie professionnelle.
Le médecin du travail peut avoir besoin de l’appui
du consultant pour arriver à finaliser un diagnostic
difficile, pour conforter son point de vue clinique ou pour
avoir un avis complémentaire et argumenté
sur une décision d’aptitude difficile à
prendre.
Le médecin du travail
doit rechercher l’adhésion du salarié,
et doit donc exposer clairement à ce dernier les
raisons qui nécessitent le recours à la consultation
de pathologie professionnelle. C’est de cette façon
que le salarié pourra aborder de façon constructive
la relation avec le consultant et apporter toute sa connaissance
de son travail, de sa pathologie et tous les éléments
de son ressenti.
Le rendez-vous de consultation
de pathologie professionnelle passe par un écrit
motivé de la part du médecin du travail pour
expliquer la problématique et ce qu’il attend
de l’aide de son confrère. Il va donc s’attacher
à résumer l’histoire de la problématique,
la symptomatologie, les résultats des examens déjà
pratiqués et les actions déjà entreprises.
Mais cet écrit doit
permettre également de faire comprendre au consultant
les enjeux que vit le salarié dans son travail et
qui constituent des éléments de compréhension
indispensables pour l’analyse du lien santé
travail.
Ce courrier peut également
servir de point d’étape pour le salarié,
avant d’aborder le point de vue d’un autre professionnel.
Ce dernier aura en effet besoin des informations venant
du médecin du travail comme du salarié pour
appréhender le travail, son contexte, son organisation,
et qui font toute la différence avec le travail théorique.
Cette coopération
entre professionnels de santé au travail doit pouvoir
se construire et s’améliorer dans l’intérêt
du patient salarié.
Consultante de pathologie professionnelle Dr
Mireille Matrat maître de conférences et consultante
à la consultation de pathologie professionnelle du
CHI de Créteil .
Pourquoi solliciter une consultation de
pathologie professionnelle ?
Pour un regard extérieur
à la problématique à l'entreprise
La consultation de pathologie professionnelle de Créteil
comporte de nombreuses compétences et dispose notamment
d'un important plateau médical et technique permettant
l'orientation vers d'autres confrères spécialistes.
Elle peut compter sur les compétences médicales
de :
- Médecin du travail
- Psychiatre (souffrance au travail)
- Rhumatologue
- Pneumologue
- Allergologue
- Dermatologue
- ORL
- Ophtalmologue
Mais également sur d'autres compétences
non médicales :
- Inspecteurs du travail
- Assistante sociale de la CRAMIF
Elle peut compter sur les compétences
techniques :
- Biologiques
- Radiologiques (avec des spécialistes
dans le dépistage des pathologies de l'amiante)
- Explorations fonctionnelles respiratoires
- Tests psychotechniques
Ces consultations, qui ont des délais
d'attente parfois longs, sont prises en charge par la CARSAT
ou CRAMIF quand il s'agit de patients appartenant au Régime
Général de la Sécurité Sociale,
s'il y a un risque de maladie professionnelle avec la possibilité
d'obtenir des aides pour aménager le poste. Cette
consultation reçoit les salariés quel que
soit leur régime d'assurance.
Pour quel apport ?
C’est une aide :
- Pour conforter les décisions
d’aptitude ou d’inaptitude
- Pour rechercher le lien entre les
pathologies en rapport avec des expositions professionnelles
(réalisation d’examens complémentaires,
diagnostic)
- Pour la mise en place de la surveillance
post professionnelle et dans la surveillance post exposition
- Pour la demande de RQTH et l’aide
au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés
- Pour tous les médecins du travail
qui peuvent venir au centre avec leurs radios, scanners
ou IRM réalisation d’examens complémentaires,
diagnostic
Cette consultation fait partie d’une
unité qui dispose d’un staff de pathologie
professionnelle pour discuter des dossiers qui ont pu poser
problème lors de la consultation, avec un radiologue
spécialiste de l'amiante lors des RCP imagerie. Elle
fait partie du Réseau National de Vigilance pour
le Recueil des Pathologies Professionnelles (RNV3P). Des
médecins sentinelles des services de santé
au travail participent à ce réseau en plus
des praticiens des consultations de pathologie professionnelle.
Mais les résultats de ce réseau sont biaisés
pour une exploitation nationale car les salariés
qui viennent à la consultation de pathologie professionnelle
ne sont pas représentatifs de tous les salariés
de France.
Cette consultation fonctionne en collaboration
avec le médecin du travail
- Un courrier du médecin du travail
est indispensable pour la consultation pour préciser
la demande et parce qu’il apporte la connaissance
du poste de travail, la problématique de l’entreprise,
du collectif de travail et les fiches de données
de sécurité ou la composition des produits
chimiques manipulés. Il apporte un regard différent
sur le travail que celui du travailleur.
- Le salarié apporte son vécu
- Le médecin du travail assure
le suivi du salarié et pourra par exemple recueillir
des informations sur des examens complémentaires
comme les mesures régulières de One-flow
à réaliser pendant le travail et chez lui
(mesure le volume expiré et permet de suivre au
quotidien la fonction respiratoire).
Table ronde et débat :
Questions :
1 Comment favoriser
les échanges entre médecins ?
2 De quoi peut avoir besoin le consultant ?
3 Qu’attend le médecin du travail de l’aide
du consultant ?
4 Comment garder le salarié au centre des échanges
en toute confiance et avec sa participation active ?
5 Jusqu’où peuvent se faire les transmissions
du médecin du travail en respectant le secret professionnel
?
6 Jusqu’où peut aller le consultant sans
usurper le rôle du médecin du travail ?
7 Quels apports mutuels pour les deux spécialistes
?
Débat :
DH
: Au cœur des pratiques médicales, il y a des
pratiques cliniques avec la centralité du travail
et la centralité du sujet au travail. Quel est le
moteur de la coopération entre les 2 spécialités
MDT et spécialiste de la consultation de pathologie
professionnelle (MPP) ?
MDT
: La relation MDT et MPP est inversée. Parfois, le
salarié est adressé à la consultation
de pathologie professionnelle par son MG et le MPP adresse
le salarié au MDT avec le compte rendu de la consultation.
Cela m’est arrivé dans un cas de souffrance
au travail, c’est ce qui a permis au salarié
de quitter l'entreprise.
MPP
: Le 1/3 des consultations est demandé par les MDT
et le reste par les MG ou les médecins spécialistes
de l'hôpital. Le MPP oriente ensuite toujours le salarié
vers le MDT. Il y a alors une coopération entre les
2 praticiens.
MDT
: C'est un des rares cas ou le MDT est prescripteur d'une
consultation ce qui n’est pas toujours le cas pour
les collaborations avec autres spécialistes. La caractéristique
du MPP c’est qu’il verra une ou deux fois le
salarié. Le risque pour le MPP est de faire une recherche
de diagnostic qui ne serait pas documentée par l’analyse
du MDT. Le pivot dans cette consultation, c'est le patient,
c’est ce qu'il a pu comprendre quand il vient à
la consultation. Le travail clinique des deux praticiens,
le MPP et le MDT, est essentiel et le patient est au milieu
de tout ça et s’il n’est que passif,
s’il n'est que le témoin d'un échange
de courrier entre deux médecins et s’il n'a
rien élaboré de ce qui lui arrive au motif
qu’il présente les symptômes d’une
intoxication, il ne pourra pas restituer sa compréhension
du problème de travail au spécialiste. C'est
le salarié qui peut aider ou pas le MPP en expliquant
son histoire pour permettre à ce praticien de faire
sa propre analyse.
DH
: Dans ces coopérations, ce médecin consultant
est médecin sapiteur ou médecin Co décideur
? J’ai entendu qu’il y avait des décisions
collectives.
MDT
et MPP : quand la question est par rapport au diagnostic,
on instruit et on donne une réponse collégiale.
La consultation est souvent demandée pour faire une
déclaration de maladie professionnelle (MP) ou d'inaptitude
sans être toujours explicitée au salarié.
MDT
: J'entends le MPP qui se substituerait au MDT ? J’ai
entendu dire que certains MDT seraient embarrassés
à l’idée socialement de prononcer certaines
décisions alors qu’ils connaissent la réponse.
MPP
: Je le vois plutôt pour conforter l'avis du MDT.
Il n'est pas question de faire à la place du MDT.
MDT
: Quand je demande une consultation de pathologie professionnelle,
c'est pour avoir un avis d'un expert pour étayer
un diagnostic ou un aménagement de poste. La déclaration
de maladie professionnelle est légitime et donne
une visibilité sociale. Il y a des circonstances
où il est préférable que ce soit à
un médecin externe de faire la déclaration
de MP. La question que je me pose : est-ce qu'on victimise
la personne quand on fait une déclaration de MP ?
Est-ce que c'est un obstacle à la compréhension
de sa situation par le salarié et un obstacle pour
son parcours professionnel ? Est-ce que c’est mettre
une étiquette sur une personne quand on fait cette
déclaration ?
MDT et MPP
(consultation de souffrance au travail du CHU de Tours)
: J’entends que le MPP se substituerait au MDT. La
question que je pose c’est : est-ce que ça
voudrait dire que le MDT ne pourrait pas s’autoriser
à faire de déclaration de MP ou quelque part
il faut qu’il envoie son salarié à la
consultation de pathologie professionnelle pour s’autoriser
cela ? J’ai parfois l’impression que c’est
ça.
MDT
: Je ne suis pas sûr qu’il se substitue au MDT.
Je ne me dédouane pas mais si je fais cette demande
c’est que j’ai besoin d’un avis complémentaire
pour étayer une inaptitude ou pour faire une déclaration
de maladie professionnelle.
MDT
: On est là pour juger de la problématique
de la personne par rapport au poste de travail. On ne va
pas le mettre inapte parce qu’il y a de la pression
dans l’entreprise. Dans le cas d’un asthme professionnel,
parfois il n’y a pas d’alternative et le salarié
ne veut pas quitter son poste et quand on a des difficultés
à trouver des solutions d’aménagement,
on envoie à la consultation de pathologie professionnelle
pour étayer et trouver des arguments supplémentaires.
DH :
Le MDT prend l’avis éclairé du sapiteur
qui donne un écrit. Le MDT, il sait ce qu'il va faire.
Il peut demander l'avis de l'expert pour une couverture
juridique.
MDT
: Cette question pose la question du collectif du travail
des MDT, de la pratique de pairs et de l'isolement des MDT.
Il faut surtout partager avec les pairs pour s'aider quand
on rencontre des difficultés pour traiter un cas
difficile.
DH
: Est-ce que dans un cas difficile, tu as envoyé
un salarié à un collègue MDT de ton
propre service pour avis ?
MDT
: Oui quelquefois. Je connais bien mes entreprises et je
connais certains aspects du poste car je vais souvent dans
l’entreprise mais les postes de travail évoluent
parfois, les collectifs de travail changent. Ce que je fais
souvent c’est que j'appelle le MPP devant le salarié
et nous avons des échanges très riches. De
même j’écris souvent au médecin
conseil de la CPAM qui est le grand absent de cette journée
car c’est avec lui que j’ai le plus d’échanges.
MPP
: On ne va pas dans l'entreprise et on ne connaît
pas le poste. On peut répondre au téléphone
et aux mails des confrères.
MIRT
: un MDT a besoin d’échanger avec quelqu'un
d'autre mais l'idée de DH d'adresser un salarié
par un écrit à un autre MDT : ce n'est pas
prévu par la règlementation car on a un MDT
par salarié. Par contre la coopération entre
pairs est essentielle.
DH
: Un confrère peut envoyer un salarié pour
avis à un autre MDT mais pas pour prendre une décision
à sa place et cela est autorisé par la réglementation.
Le confrère MDT doit répondre par écrit
au médecin du travail adressant qui prendra la décision.
MG :
Par rapport au cas clinique, est-ce qu'il s'agit d'une maladie
d'un tableau ? Si j’envoie au MPP c’est pour
savoir quels sont les risques à long terme ? Y a-t-il
un risque de cancer ? Car c’est le MG qui assure le
suivi post professionnel quand les salariés partent
à la retraite.
MDT :
Le MDT ne voit plus le salarié quand il quitte le
travail et c'est le MG qui va alors faire ce suivi. Avant
de classer le dossier de médecine du travail aux
archives, les MDT devraient parcourir attentivement le dossier
médical de leurs salariés qui vont partir
à la retraite pour faire le point sur leurs expositions
professionnelles et faire un courrier, remis au salarié,
pour son MG pour son suivi post professionnel. Ce n’est
pas prévu par la réglementation mais on a
le droit d’inventer des pratiques dans l’intérêt
de la santé des salariés. Il y a un devoir
de coopération par le biais des salariés avec
le MG et c’est de notre responsabilité de médecin.
MDT :
Je suis frappé de l’interprétation du
cas clinique qui me semble exemplaire. On peut avoir une
encéphalopathie liée à l’exposition
aux solvants et qui disparait après le retrait de
l’exposition, la déclaration de maladie professionnelle
est justifiée. La question de l’IPP de 25 %
pour déclarer une maladie professionnelle est une
monstruosité. La question du tableau c’est
aussi une limite. La question à se poser c’est
que les règles administratives, les repères
qui sont figés prennent parfois le dessus sur la
clinique médicale du travail.
DH
: Il y a à la fois des règles de métier
à développer chez les MPP et chez les MDT.
Et la question aussi c’est comment je peux coopérer
avec les médecins conseils car il y a souvent des
alternatives par rapport aux déclarations. La consultation
de pathologie professionnelle est un lieu de conseils et
d’informations de sachant. La question à se
poser pour les médecins qui envoient les salariés
à cette consultation c’est quelles sont les
connaissances dont j’aurai besoin et pourquoi ?
On doit placer le salarié au centre car il s’agit
d’une consultation médicale : dans cette vignette
clinique, on a des vraies questions en toxicologie, mais
il y a aussi un problème de désorganisation
de travail ; on peut alors se tromper dans le diagnostic.
Quand on rentre dans une médecine ultra spécialisée
et que le salarié n’est plus au centre cela
peut arriver.
3eme
PARTIE : MEDECINE DU TRAVAIL / RHUMATOLOGIE
Vignette clinique préparée
par les Dr Odette Tencer et Alain Grossetête, médecins
du travail
Viviane,
47 ans, a été embauchée à 17
ans après un CAP de commis vendeuse en quincaillerie,
comme magasinière et cariste dans l’établissement
actuel d’un gros dépôt régional
de colis. Le travail au magasin est très physique
: les livraisons se font chaque matin, les colis arrivent
en vrac ou sur palette. Chaque gros carton est à
ouvrir pour faire la préparation de commandes des
succursales. La préparation se fait sur des tables,
mais du fait du volume des livraisons, il faut mettre un
maximum de colis sur des racks, déplacer les colis
à la main ou les palettes avant de parvenir au carton
dont il faut prélever des boîtes pour composer
la commande. Et l’encombrement est tel que l’emploi
du chariot élévateur est limité au
déchargement des poids lourds. Les tire-palettes
ne disposent pas toujours de la place suffisante pour pouvoir
être utilisés. Elle a trois enfants entre 1991
et 2000, le dernier avec césarienne. Viviane présente
un premier arrêt en 2001 pour altercation avec son
chef, un autre de deux mois pour une entorse cervicale en
2005 avec signes de NCB droite lors d’un AVP et en
2007, un arrêt de 4 mois pour une déchirure
musculaire à la cuisse D ; enfin un épisode
de dépression professionnelle, sur fond d’altercation
avec le chef magasinier, avec arrêt de 2 mois en 2009.
En
décembre 2012 Viviane est en arrêt pour douleur
de l’épaule G non calmée par les anti-inflammatoires.
Elle présente une HTA avec un début de traitement.
A partir de janvier 2013 elle commence une très longue
période d’arrêt.
Le 26 avril 2013 elle est vue en visite de reprise de travail
après 4 mois d’arrêt pour une tendinopathie
de la coiffe des rotateurs de l’épaule G. Elle
apporte au médecin du travail tous les documents
médicaux en sa possession. Malgré la kiné
et 2 infiltrations au niveau de la face externe de l’épaule,
elle conserve une douleur à ce niveau. Son généraliste
devant la persistance de celle-ci et d’une gêne
à l’élévation de sa main G, l’adresse
au rhumatologue en avril 2013. La patiente a apporté
au médecin du travail le double du courrier que le
rhumatologue a destiné au généraliste.
Il indique que l’examen des radiographies objective,
outre une tendinite calcifiante, l’existence d’une
lésion du sous-scapulaire, à l’origine
des douleurs en antépulsion et abduction de l’épaule.
Le courrier du rhumatologue au généraliste
se poursuit ainsi : « il se pose le problème
de la conduite à tenir, je pense que l’on peut
proposer une reprise à mi-temps thérapeutique.
Mais j’aimerais que la patiente puisse être
vue par un chirurgien spécialiste de l’épaule
pour être sûr que la reprise du travail ne soit
pas préjudiciable à la guérison de
la rupture de la coiffe qu’elle présente. C’est
pourquoi je lui demande de vous consulter pour prévoir
un tel rendez-vous chez le chirurgien spécialiste
de l’épaule ». Elle est déclarée
à sa visite de reprise du travail inapte temporairement
en date du 26 avril 2013 et sera revue après avis
spécialisé.
Le
courrier du 17 juin 2013 du chirurgien au rhumatologue indique
que l’IRM montre « une tendinopathie de la coiffe
des rotateurs G sans rupture, avec un bec acromial agressif
et une arthropathie acromio-claviculaire ». Une acromioplastie
et résection minime de la clavicule sous arthroscopie
est décidée en Août. « 6 mois
d’arrêt de travail post-opératoire sont
à prévoir suivis d’une consolidation
avec séquelle » poursuit le courrier du chirurgien.
Une RQTH est demandée et la reconnaissance au titre
de la MP n°57 A est refusée puis l’avis
du C2RMP demandé est négatif dans sa conclusion
rendue le 2 mai 2014.
Le chirurgien écrit le 5 novembre au rhumatologue
: « je revois la patiente à trois mois d’une
réparation des tendons de la coiffe des rotateurs
de l’épaule G sous arthroscopie. L’évolution
est favorable avec récupération progressive
de ses amplitudes articulaires avec peu de douleurs. Elle
poursuit ses exercices d’auto-mobilisation jusqu’à
récupération complète des amplitudes
articulaires.
Elle souffre des mêmes symptômes au niveau de
son épaule D, pour laquelle j’engage des examens
à l’issue desquels je la reverrai. Je prolonge
son arrêt pour l’épaule G jusqu’au
28 février 2014. »
Puis le chirurgien adresse un courrier le 27 janvier au
généraliste : l’IRM confirme à
l’épaule D, une rupture transfixiante du tendon
sus-épineux associée à un conflit sous-acromial
et à une arthrose acromio-claviculaire. Le 5 février
2014 une déclaration 57A pour tendinite de l’épaule
droite est faite par le généraliste.
Le 7 mars 2014, est réalisée à D une
réparation des tendons sus et sous-épineux
avec acromioplastie et résection du bord externe
de la clavicule, ténotomie juxta-glénoïdienne
du biceps sans ténodèse.
Dans le compte rendu opératoire, le chirurgien prévoit
un arrêt de travail entre 3 et 6 mois « selon
l’activité professionnelle ». Il mentionne
enfin qu’« une consolidation avec séquelles
est prévue à un an post-opératoire.
En cas de séquelles ne permettant pas la reprise
de l’activité professionnelle antérieure,
une orientation et adaptation professionnelle doit être
envisagée avec le médecin du travail dès
le sixième mois post-opératoire ».
Un
courrier du chirurgien au médecin traitant est adressé
le 10 juin : « l’évolution est progressivement
favorable avec récupération des amplitudes
articulaires et de moins en moins de douleurs. » (Votre
patiente) « pourra reprendre une activité professionnelle
à mi-temps thérapeutique sans activité
manuelle bras en l’air à partir du 1/10/2014
et ce jusqu’à la date anniversaire de son intervention.
»
Le
7 août le C2RMP émet un avis défavorable
à la reconnaissance de la prise en charge au titre
de la MP son épaule D.
Le 24 septembre 2014 sur demande du médecin conseil,
Viviane passe sa visite de pré-reprise à la
demande du médecin conseil. Elle conserve des douleurs
et relève encore du soin.
L’arrêt se prolongeant, le médecin-conseil
fixe une reprise au 15/02/2015. La pré-reprise est
organisée 1 ou 2 jours avant avec le médecin
du travail qui se montre sceptique sur sa capacité
à reprendre le travail et l’indique dans un
courrier au Médecin conseil. Celui-ci fixe alors
une nouvelle date de consolidation au 15 mars.
A la visite de reprise du travail, VIVIANE apporte un courrier
du chirurgien daté du 3 mars. Il fait état
d’un bon résultat aux deux épaules.
Il précise même au médecin du travail
que sa patiente lui « a décrit en détail
son activité professionnelle » et qu’il
n’émet « aucune contre-indication à
la reprise de son métier ». La consolidation
est prononcée le 15 mars.
Entre
temps, VIVIANE change de médecin du travail. Celui-ci
entre en contact avec la salariée le 1/4/2015 et
organise une visite du poste le 11/04/2015 car il ne connaît
pas l’entreprise. Le médecin du travail reçoit
alors Viviane. Elle a 46 ans, est obèse et en paraît
au moins 10 de plus. Elle indique sa lassitude au nouveau
médecin du travail et dit qu’elle est usée.
Toute sa carrière s’est déroulée
dans cette entreprise. Ses épaules n’ont pas
été reconnues en MP et pourtant dit-elle,
ce n’est pas dans sa cuisine qu’elle les a abîmées
! Néanmoins, elle n’a pas le choix : elle veut
retravailler et retrouver son poste.
La visite du poste avec le nouveau médecin du travail
permet à Viviane de le vérifier : la reprise
au poste de travail paraît tout à fait possible
sans aucune restriction car l’organisation du travail
a totalement changé en deux ans depuis son arrêt
en décembre 2012. VIVIANE découvre les nouveaux
locaux. Le magasin est vaste et organisé en lignes
de préparation. Il y a de la manutention entre table
de préparation et convoyeur mais Il n’y a plus
aucune situation handicapante identifiée. Un avis
d’aptitude au poste est prononcé.
Pourtant elle sera licenciée dès son retour
en mars 2015.
[1]L’entreprise
a été rachetée fin 2013 par un grand
groupe
Billet
du référent Médecine du travail : Dr
Alain Grossetête, médecin du travail
Voici un commentaire
sur la vignette présentée.
Il s’agit de la
description d’un drame qui se déploie en 3
ans. Il y a une atteinte au travail, un long épisode
de soin et une guérison. Mais elle perd son emploi
à sa reprise de travail. Il est possible d’analyser
la perte d’emploi de VIVIANE en lien avec la longueur
de son arrêt de travail, comme étant un cas
très fréquent. Que s’est-il passé
? Pendant 20 ans VIVIANE « passe la VM » périodique
et vraisemblablement n’émet aucune plainte
auprès du médecin du travail. Elle est interrogée
lors de sa VRT. Pourquoi n’y a-t-il rien pendant ces
20 ans dans le DMST ? La réponse est probablement
que Viviane ne se plaignait de rien. Elle « faisait
aller ». Elle déplace jusqu’à
son arrêt environ 1,8T au quotidien. Elle dépanne
ses collègues femmes et les protège vis-à-vis
du chef qui lui parle mal et le harcèle, en lui tenant
tête. Elle se rebiffe contre ce qu’elle présente
comme un magasin rangé tout n’importe comment,
et le conflit sur la façon de faire le travail, faute
d’aboutir, devient un conflit interpersonnel avec
son chef qui parvient à la fragiliser et à
la déstabiliser.
Pendant son arrêt elle a été vue 5 fois
par un médecin du travail, soit en pré-reprise
à l’initiative du MC, soit en VRT. Mais en
même temps peut-on dire que son arrêt de travail
a été mis à profit pour préparer
son retour ? Il n’y a pas eu d’accompagnement.
Ce retour, le croit-elle possible ? On peut en douter.
Viviane durant son arrêt de plus de 2ans, apparaît
totalement en rupture avec son ancien travail. Elle n’y
croit plus Elle sait simplement que son entreprise a déménagé
et découvre les lieux au jour de sa visite de poste
quelques jours après sa visite de reprise du travail
à l’issue de laquelle elle est déclarée
apte.
Rhumatologue : Pr Y MAUGARS, CHU
de Nantes
Il n'y a pas eu de prise
en charge optimale de cette salariée avec un très
long arrêt. Et si on ajoute les relations conflictuelles
avec son chef, on obtient une chronicisation de ce tableau
clinique.
Cette vignette fait appel à des concepts rhumatologiques
anciens. La tendinite calcifiante n'existe pas, une tendinite
ne se calcifie pas : c'est en fait un rhumatisme à
apatite dont les localisations au niveau de l’épaule
sont fréquentes (prévalence de 3 à
5% chez la femme), et sans rapport direct avec l’activité
physique (pas plus de calcifications chez les travailleurs
manuels ou les sportifs avec prédominance féminine,
pas plus de calcifications du côté dominant,
début des symptômes chez des sujets jeunes).
Le caractère familial et donc génétique
est important. Ces calcifications grossissent progressivement
jusqu’à devenir symptomatiques (taille «
critique » > 15 mm), soit de manière mécanique
comme un conflit sous-acromial chronique classique, soit
de manière inflammatoire comme un rhumatisme microcristallin,
avec des accès extrêmement aigus comme l’épaule
aigue hyperalgique, avec résorption possible de la
calcification à ce moment-là.
Il y a de plus une arthrose acromio claviculaire. Il est
parfois difficile dans la chronicité de faire la
part des choses entre la responsabilité de la coiffe
et celle de l’acromio-claviculaire. Celle-ci ne doit
pas être opérée. Par contre l’évolution
favorable à terme plaide en faveur d’une pathologie
microcristalline de la coiffe.
Pour le traitement du rhumatisme à apatite on peut
proposer, si la douleur résiste aux traitements habituels,
de retirer la calcification par grattage et lavage par ponction-aspiration
radioguidée ou sous arthroscopie. La récupération
sera souvent excellente comme pour la patiente, car il n’y
a que peu de rupture de coiffe associée.
Une réflexion par rapport au cas clinique dans ses
aspects bio-psycho-sociaux : Il s’agit d’une
observation riche sur le plan psycho-social. Ce que l’on
attend des médecins du travail, comme des spécialistes,
c'est une compétence spécifique sur laquelle
le patient pourra se reposer en toute confiance.
Table
ronde et débats
Question.
1. Comment le médecin
du travail pourrait-il prendre appui avec la clinique
médicale du travail dans sa coopération
avec un spécialiste engagé dans la question
du soin ?
2. Comment le médecin du travail peut-il se placer
dans une posture de soin, « se mettre dans le soin
» avec un rhumatologue ? (au sens de sa contribution
à la guérison du salarié-patient,
en l’aidant à préparer son retour
au travail)
3. Comment construire une posture de médecin du
travail vis-à-vis d’une posture de spécialiste
« traitant », dont l’effort est tourné
vers le soin ? Comment se faire accepter, en étant
contributif ?
4. Qu’est-ce qui pourrait émerger d’une
coopération où le travail serait traité
pour ce qu’il contribue à la construction
de la santé ?
5. Quels risques pour la coopération avec le rhumatologue
quand le travail n’est pas exploré ?
Débat :
MDT :
Est-ce que le refus de la reconnaissance de la maladie professionnelle
a été contesté ? Réflexion intéressante
du confrère rhumatologue (PYM). Ce rhumatisme n'est-il
pas aggravé par les conditions de travail difficiles
?
PYM : Dans la genèse
de la calcification, il n'y a pas de rôle de l'activité
mécanique. Par contre le travail mécanique
augmente les douleurs.
MDT :
Je fais le parallèle avec l'amiante et le tabac.
Il n’y a pas de reconnaissance de la MP si le salarié
fume. Pourrait-on être moins tranché dans les
conclusions ?
MIRT
: Si on coopère avec le rhumatologue sur la pathogénie,
il faut que chacun soit dans sa spécialité.
Si vous teniez ce même discours sur la pathogénie
devant le médecin conseil, il pourrait vous suivre
et ne pas reconnaître la maladie professionnelle,
alors que le salarié, « sait » que sa
pathologie est due au travail, et son médecin du
travail avec lui.
DH
: la détection clinique des travailleurs sentinelles,
les plus fragiles, permet au médecin du travail d'intervenir
pour faire de la veille pour les collectifs de travail.
C'est un débat sans fin sur les maladies professionnelles
et les VLE, qui devraient protéger tous les salariés
et non pas seulement 95 % d’entre eux. Pour la prévention
collective il faut privilégier les salariés
sentinelles.
PYM
: 30 à 35 % de déchirures tendineuses se produisent
sans douleurs dans la population standard : c’est
un aspect dégénératif. Attention aux
images ! Pour les tendons, des gènes ont été
identifiés et on pourra bientôt, de façon
prédictive, indiquer au patient s’il présentera
un risque plus élevé de lésions tendineuses.
PYM
: Si la douleur persiste et tend à la chronicité,
il faut que tous les spécialistes travaillent ensemble.
Par exemple les sciatiques sont un gros problème
avec des mauvaises prises en charge. A Nantes depuis 6 mois,
on les prend en charge précocement : dès qu'une
sciatique dure plus de 3 à 4 semaines, le salarié
est orienté vers l'hôpital de jour et c'est
le MG qui est au centre du système. Il y a un staff
pluridisciplinaire comprenant également le médecin
du travail (en fait c’est le MPP). Le travail est
donc également pris en compte.
MG :
Dans mon expérience ce qui me frappe, c’est
le coût. Je prends l’exemple d’un chauffeur
poids lourds pour qui j'ai fait un diagnostic de maladie
professionnelle avec une consultation de rhumatologue et
une IRM ce qui représente un coût considérable.
Il faut freiner l’inflation d’examens et peut
être faut-il redonner la parole au salarié,
reconnaître ce que dit le patient. Ce qui manque dans
cette vignette clinique c'est la parole de Viviane. Viviane
est muette !
PYM
: Les rhumatologues ont été jugés en
concurrence avec les radiologues quand ils se sont approprié
l'échographie, qui est un aussi bon examen que l'IRM
en terme de diagnostic. Mais je suis d'accord qu'il faut
aller vers la simplification et pas dans l'inflation d'imagerie.
MDT
: J'ai pratiqué avec les 2 rédactions successives
du tableau 57 : on est obligé de faire l’IRM
sinon la maladie professionnelle n’est pas reconnue
et on est obligé de quantifier le temps passé
les bras en l’air alors que l’on ne tient pas
compte de l'intensification du travail.
MDT :
Dans l'investigation de la vignette clinique, il manque
des éléments sur le travail. J'ai déclaré
beaucoup de maladies professionnelles et parfois il faut
y aller doucement sinon on est marqué au fer rouge.
Aujourd’hui, on est débordé et on voit
parfois les salariés tous les 4 ans donc on perd
beaucoup d'informations sur le travail du fait de ces délais.
L'essentiel du problème c'est le travail en tension
et non pas seulement les contraintes du travail en elles-mêmes.
Vous, rhumatologues, vous voyez les gens en bout de course.
PYM
: On connaît ces problèmes de démographie
des médecins du travail mais il faut aussi faire
ce que vous faites : des aménagements de poste. Dès
qu'il y a une tendinite, il faudrait pouvoir travailler
en équipe pluridisciplinaire. Cette coopération
est compliquée mais serait plus efficace.
MDT :
J’ai une clientèle très diversifiée
dans ma région de Dijon. Il y a des généralistes
proches mais les spécialistes sont à 20 km.
L'accès au spécialiste passe par le MG mais
j’essaie « d'être dans la boucle ».
On est parfois informé de l'arrêt du salarié
et je lui propose alors de venir me voir même s’il
est en arrêt. Ce n’est pas une obligation mais
cela permet de faire de la prévention de la désinsertion
professionnelle et c’est ce que l’on nous demande
de faire aussi.
MDT :
Dans l'équipe pluridisciplinaire de ma ville, j'ai
l'impression qu'on est autour d'un dossier et qu'il manque
la parole du salarié pour entendre ce qu'il a dire
de son travail, sinon on va dans l’impasse si on ne
traite que le dossier et l'imagerie : il faut que ce soit
le salarié qui soit au centre mais pas le dossier.
MDT
: Dans la vignette clinique présentée il n'y
figure pratiquement pas l'exploration du travail. La grille
de lecture de la clinique de Viviane à partir de
son travail n’est pas facile à reconstituer.
Je pense que si on veut construire de nouvelles pratiques,
le MDT a quelque chose à dire à partir des
hypothèses qu’il soumet entre l’atteinte
et le lien avec le travail. La pathologie décrite
a pu être peut être bien supportée ou
mal supportée par le patient. D’autre part,
rien n’est mentionné sur l’état
de son collectif de travail : L’a-t-il aidé,
ou enfoncé ? on ne sait pas non plus s'il y a des
DP, et un CHSCT après le rachat par un grand groupe.
Mais très probablement, On est sur un constat d’individualisation
du travail. Le collectif est absent.
MDT
: Il ne faut pas oublier les « fondamentaux »
de nos pratiques de médecin du travail. Le MDT est
un médecin de prévention. Quand il y a une
pathologie professionnelle qui apparait dans une entreprise,
il faut que tout soit mis en œuvre pour qu’il
n’y en ait pas une autre, et cela nécessite
un travail collectif au niveau de l’entreprise avec
la participation de l’employeur, des DP et du CHSCT.
MDT
: Les actions pluridisciplinaires n'ont pas été
décrites dans la vignette clinique. Qu’est-ce
qui a été préconisé : un arrêt
long avec avis du chirurgien favorable à la reprise
du travail. Il semble que les discussions médicales
sont restées cantonnées au strict domaine
du soin. Le médecin conseil le médecin du
travail ont-ils pu délibérer avec l’équipe
chargée du soin ? Peut-être qu'on aurait dû
être plus prudent et ne pas la faire retourner au
travail contre sa volonté. Est-ce qu'on peut faire
le bien des gens malgré eux ?
DH :
Le salarié doit être consentant et participer
activement à sa reprise du travail.
MDT
: Aujourd'hui, on note la primauté de la technique
de l’imagerie sur la clinique : je suis intervenu
avec un ancien MIRT sur une maladie professionnelle non
reconnue car c'était une capsulite rétractile
qui semblait très liée au travail : il y avait
une amélioration pendant les repos. L'étude
du poste de travail a été faite et des photos
ont montré que les gestes étaient réellement
d’amplitude et angulation plus importantes que ce
qui avait été estimé. Aujourd’hui,
on a des dérives du côté de la technicité
et notamment de l’imagerie qui aboutissent à
nier le réel de l’activité et ses conséquences
en termes d’atteinte due au travail.
PYM
: Il est évident qu'il faut du bon sens et ne pas
lire un compte-rendu d'imagerie comme une référence,
qui doit rester clinique. L’imagerie mal interprétée
est source de nombreuses erreurs. Il faut connaître
les images habituelles anormales, très fréquentes,
et le plus souvent asymptomatiques.
MDT
: Qu’est-ce que le rhumatologue que vous êtes
a besoin de savoir du MDT pour traiter correctement le patient
?
PYM :
le constat que je peux faire est le suivant : le faible
taux de questions posées sur le travail dans les
dossiers de consultation. Il faudra s’efforcer de
peut-être plus sensibiliser les étudiants sur
la question du travail.
MDT
: Une posture de clinicien du MDT peut-elle vous aider dans
votre rôle de spécialiste traitant ?
PYM
: Ce qui est important c'est la sensibilisation par rapport
à nous et c'est aussi la sensibilisation de nos jeunes
confrères. Il faut surtout que chacun fasse son travail
et que l'on communique à partir de nos expériences
et savoirs de spécialistes.
MIRT
: Est-ce que vous identifiez votre rôle d'expert scientifique
dans la responsabilité qui est la vôtre, de
la mise en œuvre de ces connaissances.
PYM
: Certains médecins se considèrent comme omnipotents
: quelques gynécologues qui deviennent les médecins
généralistes de la femme ménopausée,
ou des MG qui traitent tout eux-mêmes en n'envoyant
aucun patient au spécialiste. Chacun doit rester
dans sa compétence et solliciter celles des autres
spécialités.
Commentaire distancié du référent
Médecine du travail : Dr Alain
Grossetête, médecin du travail
Comment s’organise
la relation entre les praticiens dans le respect du secret
médical ? Que transmettre ? Quels sont les appuis
de la déontologie et des règles professionnelles
pour cela ?
La relation avec ce spécialiste
passe généralement par l’écrit,
comme avec les autres spécialistes. En pratique,
le médecin du travail n’est que très
rarement à l’origine de la consultation du
rhumatologue. De son côté le rhumatologue n’a
guère l’opportunité d’écrire
en premier au médecin du travail. Aussi le médecin
du travail souhaitant contacter le rhumatologue intervient
en réalité dans une relation déjà
constituée auparavant entre le généraliste
et le spécialiste, dans une relation de soin. Il
est possible, de ce fait, qu’il s’y joigne en
position d’intrusion et parfois de méfiance.
Pour en sortir, il lui faut tenter de porter le point de
vue de clinicien du travail dans une histoire du salarié-patient,
la part du travail ne pouvant être réduite
à la seule dimension de « lésion ».
Il peut donner son analyse portant sur le « travailler
» du salarié-patient : les conditions et l’organisation
du travail, mais aussi le plaisir au travail, l’ennui,
la peur, ce qui compose l’investissement et l’engagement
dans le travail, l’état du collectif de travail
; comment l’atteinte de la santé vient percuter
la trajectoire du salarié-patient (que la cause de
l’atteinte soit le travail ou non, ou les deux) et
son pouvoir d’agir. Mais également ce qui peut
constituer une énigme, quelque chose qui serait repéré
comme une part non élucidée, dans l’essai
à partir de la clinique médicale du travail
recueillie du salarié-patient.
La mise en récit
d’une histoire clinique constitue un temps d’élaboration
pour clinicien et patient-salarié ; elle peut s’avérer
une contribution importante de la part du médecin
du travail vis à vis des autres spécialistes.
Cet écrit peut être rédigé à
partir du DMST (dossier médical santé-travail),
le patient étant le pivot de la transmission des
écrits. Restituer par son intermédiaire aux
autres spécialistes le « travailler »
du salarié-patient, avec des écrits pour en
rendre compte, est important également pour lui.
La période de l’arrêt maladie, considérée
comme un temps précieux de récupération
du pouvoir d’agir du patient, est un temps propice
autant pour l’échange avec les autres spécialistes
sur le patient, que pour le patient lui-même, sa capacité
à élaborer.
A partir de là,
il reste certainement des questions à explorer. Comment
en prenant appui sur la clinique médicale du travail,
le médecin du travail peut-il engager sa coopération
avec un spécialiste engagé dans la question
du soin ? Comment le médecin du travail peut-il se
placer lui-même vis-à-vis d’une posture
de soin, « se mettre dans le soin » avec un
rhumatologue ? (au sens de sa contribution à la guérison
du salarié-patient, en l’aidant à préparer
son retour au travail) ou, dit autrement, comment remettre
le salarié dans la boucle du soin, dès son
arrêt maladie ?
Quelques repères
professionnels accessibles à la dispute, mais issus
de cette troisième partie :
1-Sur la relation entre
le médecin du travail, le salarié, et le rhumatologue
:
Placer la relation avec
le médecin traitant, en position clé dans
l’échange entre les praticiens et le salarié.
- 1.1. Donner à
voir au rhumatologue une pratique de clinique médicale
du travail, et des règles professionnelles de médecin
du travail pouvant assurer la « confiance »
entre le médecin du travail et le salarié,
ce dernier étant le pivot de la relation avec les
deux médecins. Rechercher et mériter la
confiance du salarié en le plaçant au cœur
des échanges entre praticiens, à la fois
porteur et destinataire des courriers.
- 1.2. Les écrits
du médecin du travail sont remis au salarié
à l’intention du rhumatologue.
2- Sur l’apport
au rhumatologue : La place centrale de l’instruction
du travailler individuel et collectif pour coopérer
avec un rhumatogue :
Comment amener la question
du travail dans le recours à la consultation du rhumatologue,
via en général le médecin traitant
qui a orienté le patient vers lui.
Le médecin du travail
doit donner les éléments et les descriptions
de travail pour faciliter l’apport du rhumatologue
dans la mise en évidence du lien santé-travail
:
- L’histoire de
l’engagement et du vécu du salarié
dans son activité de travail au long d’une
histoire professionnelle et de ses impasses.
- L’analyse du
processus délétère ou non de l’organisation
ou des conditions de travail pour la santé physique
ou psychique du salarié et du collectif de travail.
4eme
PARTIE : MEDECINE DU TRAVAIL / PSYCHIATRIE
Vignette
clinique préparée par les
Dr Christian Massardier et Elisabeth Trescol, médecins
du travail
Une collaboration difficile
avec un médecin psychiatre
L’histoire
commence par une rixe. Une nuit, dans une entreprise industrielle
de métallurgie, employant environ 250 salariés,
deux salariés en viennent aux mains. Conflit entre
un cariste et un pilote d’équipement, conflit
entre deux délégués appartenant à
deux centrales syndicales différentes.
Le
licenciement des deux salariés concernés (tous
deux élus DP) demandé immédiatement
par l’employeur est refusé par l’inspecteur
du travail. Les deux salariés sont sanctionnés
: passage en horaires de journée donc avec une perte
de salaire. Le cariste reprend le travail après 3
jours d’arrêt en AT pour traumatisme facial
avec épistaxis. Le pilote d’équipement
est arrêté 1 an complètement puis ensuite
un an à temps partiel thérapeutique.
Ce
sont les difficultés de réintégration
de Monsieur A pilote d’équipement qui vont
être à l’origine d’échanges
ou plutôt de tentatives d’échanges avec
le psychiatre traitant.
Une première visite de pré reprise est organisée
4 mois après l’événement, à
la demande du médecin conseil qui souhaite savoir
si un licenciement est envisagé, et estime que la
prolongation en accident de travail n’est plus justifiée.
Monsieur A se présente à cette visite avec
une ordonnance témoignant d’une prise en charge
médicamenteuse et psychothérapeutique par
un psychiatre. Il dit avoir refusé l’hospitalisation
proposée par le psychiatre (car il dit que sa femme
et ses 3 enfants ne peuvent pas rester seuls). Il dit avoir
refusé l’IRM prescrite car il ne supporte aucune
injection. Il dit vouloir reprendre le travail pour assurer
sa fonction de délégué du personnel
car il dit être
le seul à s’occuper correctement des salariés.
L’état psychologique ne paraît pas stabilisé
et le médecin du travail demande au médecin
conseil de différer la reprise qui paraît peu
envisageable dans un avenir proche.
Une
seconde visite de pré reprise est programmée
sur les conseils de l’assistante sociale de la CPAM.
Le salarié se présente avec un courrier du
médecin psychiatre qui sollicite « vu l’état
clinique, la personnalité et le contexte professionnel,
un changement de poste au sein de l’entreprise de
façon à minimiser le stress ressenti (bruit,
rendement, relationnel...) le traitement étant RISPERDALORO,
SERESTA, DEROXAT ». A noter que le salarié
signale alors au médecin du travail que pour être
en pleine possession de ses moyens il s’est abstenu
de prendre son traitement le jour de la visite.
Le
médecin du travail écrit alors au médecin
traitant et au médecin psychiatre une lettre remise
au salarié dans laquelle :
- Il expose les appréhensions du salarié :
être perturbé par l’ambiance sonore de
l’atelier d’usinage, ne pas tenir les cadences
exigées par l’employeur, être trop sollicité
par ses collègues en raison de son statut de délégué.
- Il insiste sur la nécessité d’une
bonne observance thérapeutique
- Il conseille une demande de reconnaissance de travailleur
handicapé, bien que Monsieur A n’y soit pas
favorable.
- Il émet des réserves sur la demande du salarié
d’être muté sur un poste d’expédition,
car cela nécessiterait une formation à la
conduite du chariot élévateur, ce qui dans
l’état actuel de la situation ne paraît
pas adapté.
Pour terminer, il propose d’étudier avec l’employeur
une piste de reclassement au sein du secteur de l’usinage
en tenant compte de sa contre - indication à l’exposition
au bruit.
Le
salarié est revu à nouveau en pré reprise
avec une lettre de son psychiatre :
« Vous allez recevoir Monsieur A. Son état
psychique est stabilisé depuis plusieurs semaines
sous traitement (RISPERDAL, DEROXAT, SERESTA, STILNOX).
Après un an sans activité professionnelle,
il m’apparaît indispensable et même thérapeutique
qu’il reprenne une activité professionnelle.
Toutefois, vu la durée conséquente de son
arrêt de travail, ainsi que des conditions de travail
semble-t-il délicates dans son entreprise, je souhaite
que cette reprise se fasse à temps partiel thérapeutique,
et si possible, sur un poste différent de celui qui
était le sien (agent de contrôle qualité,
agent de maintenance, entretien des machines…) ».
La
reprise est réalisée à l’issue
de l’arrêt de travail actuel soit 15 jours plus
tard sur un poste aménagé. Monsieur A est
affecté sur un poste de tri de pièces, dans
le secteur usinage mais dans un local fermé donc
sans exposition au bruit. Les horaires sont de 8h à
11h45 en poste fixe. Monsieur A se dit content de reprendre.
Il est revu 3 mois plus tard et prolongé à
mi - temps thérapeutique. Le traitement par RISPERDAL
a été diminué. Son travail se passe
bien mais Monsieur A se plaint de devoir travailler une
semaine sur deux sur le même poste que son agresseur,
qui travaille en horaire alterné 2 X 8. Le médecin
du travail lui répond qu’à sa connaissance,
il ne semble pas y avoir eu d’agresseur identifié
mais une rixe entre deux personnes. Les 2 salariés
concernés ayant conservé leur emploi, il insiste
sur la nécessaire cohabitation au sein de la même
entreprise.
La
reprise à temps complet est demandée à
l’issue des 6 mois de mi-temps thérapeutique.
Lors de cette visite de reprise pour passage au temps complet,
Monsieur A se présente avec un discours revendicatif
et agressif. Il exige de réintégrer un poste
de week-end et à terme son poste de nuit, ignorant
totalement la mesure disciplinaire dont il a été
l’objet. Son discours est très procédurier
car dit- il : « il connaît ses droits ».
Par ailleurs, si
la reprise à temps partiel s’est déroulée
sans difficulté majeure, l’employeur se plaint
de grosses difficultés de cadrage par rapport au
respect des règles de fonctionnement de l’entreprise,
ce qui nécessite de sa part la présence d’un
encadrement hiérarchique conséquent lorsque
Monsieur A est à son poste. Le médecin du
travail demande de différer la reprise à temps
plein en sollicitant un avis du médecin psychiatre.
Lettre
du médecin du travail au psychiatre et au médecin
traitant (remise au salarié) :
« La réintégration de Monsieur A à
temps partiel thérapeutique s’est relativement
bien passée sur un poste aménagé de
type contrôle des pièces, en horaire fixe le
matin. L’employeur manifeste son inquiétude
par rapport à quelques difficultés d’ordre
relationnel. Mr A aurait du mal à respecter le cadre
prescrit et entretiendrait des relations tendues avec certains
collègues de travail. J’ai rappelé à
Monsieur A l’importance du respect des relations internes
au collectif de travail, car dans l’entreprise l’objectif
prioritaire est d’assurer la production. Je constate
un décalage important entre le discours de monsieur
A et celui de sa hiérarchie sur les difficultés
rencontrées.
Le passage à temps complet, s’il était
confirmé, entraînerait des modifications du
poste actuel avec une plus grande polyvalence donc un poste
moins protégé. Il resterait sur un poste fixe,
en horaire du matin (6h à 14h) car l’employeur
ne souhaite pas l’affecter sur d’autres plages
horaires (en particulier sur des horaires de nuit ou de
week-end) car il a besoin d’être bien encadré.
Je sollicite votre avis pour savoir si, de votre point de
vue, la pathologie de Monsieur A est suffisamment équilibrée
avec le traitement actuel, indépendamment de savoir
s’il prend régulièrement son traitement.
Je suis relativement inquiète pour l’avenir
professionnel de votre patient, compte tenu de la déstabilisation
actuellement rapportée par l’employeur.
En
raison de la nécessité d’aménager
son poste de travail il me paraît nécessaire
de demander une RTH.
Dans l’immédiat je lui délivre un avis
négatif pour la reprise à temps plein. Je
lui demande de vous revoir et je vous remercie de tout renseignement
que vous jugerez utile de me communiquer pour le suivi de
votre patient. »
Sans
réponse du médecin psychiatre 2 mois après
le courrier, le médecin du travail lui adresse une
lettre pour l’informer :
« A la date du … j’ai remis à votre
patient Monsieur A un courrier à votre intention.
Dans le contexte d’une réintégration
difficile, je me permets de porter à votre connaissance
cet état de fait. Je vous remercie de tout renseignement
que vous jugerez utile de me communiquer…. ».
Puis il téléphone au psychiatre et tombe sur
un répondeur qui lui communique une adresse de messagerie
sur laquelle il adresse un mail : « j’ai cherché
à vous contacter pour échanger éventuellement
sur les difficultés suscitées par la perspective
de reprise à temps complet de votre patient Monsieur
A…. je souhaiterai un avis de votre part. »
Deux tentatives d’échanges à l’issue
du courrier remis au salarié, qui ne seront suivies
d’aucun échange.
Le
médecin conseil décide la consolidation à
2 ans de l’AT. Une expertise accorde à Monsieur
A une IPP de 15% pour décompensation d’un état
antérieur.
Le médecin du travail écrit au médecin
conseil pour signaler les difficultés d’adaptation
en lien avec les effets secondaires du traitement : fatigabilité
importante, sudation importante avec intolérance
à la chaleur (surtout en ce début de période
estivale), difficultés d’aménager le
poste à temps complet et la nécessité
d’un encadrement de proximité. Le médecin
du travail émet des doutes sur la faisabilité
d’une réintégration à temps complet.
Pour le médecin conseil, avec qui un échange
téléphonique a lieu, la rente de 15% doit
pouvoir autoriser une diminution du temps de travail avec
baisse de salaire.
Monsieur
A reprend le travail à temps complet dès la
fin de l’été, soit après les
grosses chaleurs. Mais il est inquiet car très fatigué,
fatigue qu’il attribue au traitement. Il conserve
le même poste et ses horaires restent en journée
de 7H30 à 16 H avec une pause de 45’.
Le médecin du travail continue à se poser
la question de l’observance thérapeutique car
très rapidement, soit un mois après la reprise
à temps complet, l’employeur sollicite une
visite en raison de graves problèmes relationnels
au sein de l’équipe. Une des collègues
de Monsieur A s’est plainte d’un comportement
agressif à son encontre et elle est en arrêt
de travail. La DRH se dit contrainte de convoquer quotidiennement
Monsieur A et elle n’en peut plus. Le chef d’atelier
est exaspéré par la situation. Tous manifestent
leur peur d’un nouvel événement.
Lors
de la consultation demandée par l’employeur,
Monsieur A tient des propos délirants sur les causes
des difficultés rencontrées, propos qui sortent
du registre du travail : « le mari de sa collègue
serait un grand trafiquant de drogue, Monsieur A habitant
la même cité qu’elle, c’est lui
qui aurait dû alerter la police des polices pour le
faire incarcérer, et pour se venger cette dame serait
de mèche avec son employeur pour le faire craquer,
elle mettrait de la musique exprès , ….. »
Le
médecin décide de demander un avis d’aptitude
professionnelle auprès du psychiatre en charge de
la consultation dans le service de pathologie professionnelle.
Il écrit à nouveau au médecin traitant
et au psychiatre pour les informer de sa demande. Le délai
est de 3 mois. En attendant, le médecin du travail
évoque les propos décalés dans le courrier
remis au salarié, la question de l’observance
thérapeutique et de sa tolérance et le risque
de perte d’emploi à terme si l’état
de monsieur A n’est pas stabilisé.
Il téléphone au médecin traitant pour
solliciter une prescription d’arrêt car une
inaptitude temporaire lui paraît indispensable dans
l’immédiat compte tenu de la situation. Le
médecin évoque la possibilité que son
patient soit victime de harcèlement mais accepte
cependant de lui prescrire un arrêt de un mois.
Lors
de sa reprise un mois plus tard, le psychiatre a modifié
le traitement : arrêt de DEROXAT responsable de l’hypersudation
; prescription de RISPERDALORO, ATARAX et STILNOX, mais
sans aucun courrier pour le médecin du travail.
L’avis du médecin du travail lors de cette
visite de reprise est le suivant :
« Apte à la reprise, dans l’attente de
l’avis spécialisé demandé au
service de pathologie professionnelle, prévu à
la date du … (soit 2 mois plus tard). »
Le courrier pour la consultation spécialisée
est adressé directement au psychiatre de la consultation
du service hospitalier de pathologie professionnelle, avec
copie remise au salarié.
La réponse se fera attendre plus d’un mois
en raison de gros problèmes de secrétariat
du service. Après plusieurs relances, le médecin
du travail la reçoit trop tard. Monsieur A, qui est
resté au travail contrairement à l’avis
spécialisé repris ci-dessous, est alors sous
le coup d’une mise à pied avant licenciement
; il ne sera jamais revu par le service sauf pour réclamer
son dossier médical.
Le
courrier du psychiatre est très détaillé
et après avoir repris les éléments
incohérents du discours de Monsieur A, dixit «
récit très flou et à l’image
de la désorganisation psychique du patient lors de
l’entretien » il conclut :
« Au terme de cette consultation, le vécu paranoïde
essentiellement interprétatif et intuitif à
thématique persécutoire et mégalomaniaque
envahit tout le champ de pensée et m’incite
à ré-adresser le patient rapidement auprès
de son psychiatre, annonce que le patient accueillera avec
beaucoup d’opposition prétextant qu’il
est guéri.
Pour répondre à vos interrogations, vous comprendrez
qu’il m’est impossible de me prononcer sur une
quelconque aptitude à son poste de travail, la priorité
étant avant tout les soins spécialisés
afin d’équilibrer la thérapeutique et
affiner le diagnostic clinique. »
En
résumé :
Dans cette vignette clinique, le médecin psychiatre
souhaite la réintégration de son patient avec
un objectif thérapeutique. Le médecin du travail
poursuit le même objectif mais il est le témoin
d’un état psychique mal stabilisé, responsable
de difficultés de réintégration du
salarié qui lui font craindre la désinsertion
professionnelle.
La préoccupation du médecin du travail est
plus globale car il doit aussi tenir compte du collectif
de travail qui de toute évidence est en souffrance.
Aurait-il été possible d’échanger
directement avec le psychiatre sur les difficultés
suscitées par son patient au sein de l’entreprise
?
Dans
d’autres situations fréquemment rencontrées,
la sollicitation du médecin psychiatre est essentiellement
à visée d’expertise :
- Evaluer la gravité d’une atteinte psychique
- Evaluer un risque suicidaire
- Evaluer le besoin d’une prise en charge médicamenteuse
- …..
Le médecin a souvent besoin d‘arguments pour
prendre une décision d’aptitude ou d’inaptitude
; l’inaptitude, apparaît souvent comme la seule
solution pour protéger la santé d’un
salarié en difficulté dans son travail.
Billet du référent médecine du
travail :
Dr Dominique Huez, médecin du travail
Faciliter la coopération
du médecin du travail avec le psychiatre en tenant
la question du travail
Le médecin du travail
a besoin du psychiatre pour recueillir un avis diagnostic
quand il est dans l’embarras :
- Pour accompagner la
construction ou la préservation de la santé
au travail d’un salarié.
- Ou pour mieux cerner ce qu’il considère
comme une psychopathologie du travail.
- Ou pour communiquer au psychiatre son avis éclairé
dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique,
parce qu’il le juge alors nécessaire.
- Ou pour assoir ou faire partager, ou parfois faire endosser
(!), au psychiatre une décision de médecin
du travail.
La construction et la préservation
de la « confiance » entre le médecin
du travail et le salarié est nécessaire et
centrale pour faciliter la coopération avec le psychiatre.
Pour permettre au psychiatre de se repérer dans l’action
de sauvegarde de la santé du médecin du travail,
ce dernier devrait lui rendre visible et intelligible ses
propositions de préconisations sur le travail, comment
il pense intervenir, qu’il s’agisse d’une
intervention individuelle ou collective.
La place de l’écrit
médical comme support à cette coopération
diagnostique est essentielle. Pas facile avec une spécialité
médicale qui répugne à enfermer une
prise en charge clinique dans un écrit diagnostic
! Quel juste nécessaire écrire ou dire dans
l’intérêt de la santé du patient
et dans le respect de l’observance du secret médical
s’imposant aux deux praticiens ?
Prendre en compte la centralité
du travail est essentiel, même pour les malades psychiatriques
!
Il ne peut y avoir de contribution du médecin du
travail pour cette coopération s’il n’a
pas instruit préalablement la question du travail,
l’engagement du salarié dans celui-ci, approché
un peu les affects malmenés qui y émergent
comme la peur et la honte, et évoqué des processus
défensifs psychiques professionnels qui se donnent
à voir derrière l’incompréhension
d’une situation.
Cela pourrait peut-être
permettre de mieux prendre en compte la contradiction face
à laquelle se trouve le médecin du travail
: concilier la préservation de la santé du
collectif de travail, tout en tentant de préserver
la santé au travail du malade psychiatrique.
Pour mettre en débat
mieux coopérer entre le MDT et le MP :
- Ce pourrait être, pour le MDT, de s’interroger
sur ce que peut apporter le MP au MDT plutôt que sur
ce que le MDT attend du MP.
- Ce pourrait être de donner à voir à
la lumière de la clinique médicale du travail
des éléments de compréhension des difficultés
du salarié dans son travail.
- Ce pourrait être de faire apparaitre que le MDT
n’arrive pas malgré tous ses efforts à
se représenter le travailler du patient.
- Ce pourrait être d’essayer de comprendre comment
le salarié construit ou précarise à
sa façon sa santé au travail même parfois
avec des pathologies psychiatriques invalidantes non professionnelle
non pas sur la scène de l’économie du
désir mais sur celle de l’économie du
travailler.
Quand il y a un constat
réciproque que le MDT et le MP demeurent en difficulté
pour la prise en charge de leurs salariés patients,
ils pourraient organiser les modalités d’un
travail inter compréhensif entre eux en remettant
le patient dans la boucle de cette élaboration.
Psychiatre Jean-Jacques Chavagnat,
CH Henri Laborit, Poitiers
Je ferai un commentaire
plus dans la forme de la vignette clinique que dans le fond
pour donner quelques pistes de réflexions : je voudrais
insister sur cette spécificité que peut être
l’abord psychique qui doit être fait dans chaque
spécialité. Il y a toujours des éléments
de comportement à prendre en compte dans toutes les
situations.
Mon compagnonnage avec
le service de médecine du travail a débuté
dans les années 1999 par une mission dans le cadre
de la prévention du suicide et la promotion de la
santé mentale au travail. La collaboration avec le
monde du travail était évidente autour de
formations qui m’a permis de rencontrer de nouveaux
collègues non seulement des MDT mais également
d’autres professions (psychologues, assistantes sociales,
infirmiers, assistantes...). C’est une première
approche importante pour modifier les représentations.
Des formations ont été organisées :
il y avait au départ d’un côté
le formateur et de l’autre côté le formé
mais en fait ce fut plutôt un apprentissage car tous
avaient beaucoup de choses à apprendre des uns et
des autres. Des réunions départementales de
MDT et des réunions régionales en collaboration
avec le médecin inspecteur régional du travail
ont été organisées pour réfléchir
aux différentes actions à mener autour de
la souffrance au travail. Ces groupes de MDT ont mis en
place des actions comme par exemple une plaquette «
un collègue ou une collègue va mal ».
Cela permet au MDT d’acquérir ou de découvrir
qu’il a des tas de possibilités, qu’il
peut et sait faire des choses, il lui faut un peu plus d’assurance,
et il peut mettre en place des processus avec le CHSCT et
d’autres préventeurs pour permettre cette bienveillance
des uns et des autres pour amener les travailleurs vers
la santé au travail qui est capable de faire une
prise en charge et une détection importante sut le
plan psychologique. Sur le plan régional, un guide,
téléchargeable sur le site du ministère
du travail, a été écrit sur les conduites
à tenir en cas de survenue d'un évènement
traumatique au travail avec la place du MDT dans les actions
à mener quand un tel évènement potentiellement
traumatique quel qu’il soit se produit. Tous les 2
ans un colloque est organisé en collaboration avec
les médecins du travail de la Société
de Santé au Travail de Poitou Charentes. C’est
un lieu d’échanges de connaissances et d’échanges
au sens large sur les pratiques pour la prise en charge,
l’accompagnement et le traitement des patients.
Je travaille également
sur 2 autres axes important : le psycho-traumatisme et la
prise de toxiques en milieu de travail, notamment l'alcool.
En alcoologie, des réunions à thème
et des échanges autour de cas cliniques sont organisées.
Je suis par ailleurs responsable de la CUMP régionale
et de la consultation en psycho traumatologie et je suis
aussi responsable du centre de soins, d'accompagnement et
de prévention en psychologie de mon département.
Des formations sur la psycho traumatologie avec les Services
de Santé au Travail sont mises en places pour permettre
notamment aux MDT d’acquérir et de s’approprier
ces connaissances et de vérifier qu’ils sont
capables de prendre en charge certaines situations au départ
sans le psychiatre.
L’une des finalités de ces formations est de
permettre aux SST et notamment aux MDT de s’approprier
ces connaissances, de gérer certaines situations
et de dépister les personnes à risques. Pourquoi
? Cela améliore l'orientation plus précoce
du patient vers les structures hospitalières avec
une meilleure préparation du patient pour la prise
en charge ultérieure commune entre le MDT et médecin
psychiatres (MP). On a un langage commun mais chacun doit
rester dans son rôle. Une autre synergie très
proche existe avec la consultation de pathologie professionnelle
en lien avec notre consultation de psychiatrie et de santé
au travail.
Je trouve également beaucoup d’intérêt
à participer aux réunions de la société
de psychodynamique pour des études de dossiers ou
sur des thèmes précis.
Comment ça marche
entre un MP et un MDT ou un médecin de prévention
? Il faut prendre conscience des représentations
de chacun. Quand on interroge nos collègues, on peut
être assez surpris : « c’est quoi un MDT
? » « A quoi ça sert le MDT » «
C’est quoi un MP ? » « A quoi ça
sert le MP »?
Pour moi c’est : à quoi ça sert le MP
et le MDT pour le patient travailleur d’abord, qu’est-ce
qu’il peut en faire ?
Puis par l'intérêt l'un pour l'autre : les
gens que nous voyons travaillent la plupart du temps : la
connaissance du parcours et de la personne est indispensable.
Il faut donc l’interroger sur son travail, l’interroger
sur la façon dont il travaille et sur ses relations
avec l’organisation actuelle de son travail pour les
connaitre.
Quelle complémentarité
existe-t-il entre nous ? Quelle synergie peut-on développer
? A savoir un avis spécialisé. Un avis sans
le mettre en perspective et sans avoir échangé
est d’un intérêt limité. Pour
mettre tout ceci en œuvre, quelle communication entre
nous ? Comment sortir de nos inhibitions ou de nos projections?
Il ne faut pas hésiter à se parler et à
se rencontrer pour que chacun ne reste pas dans son discours.
C’est possible et c’est souvent souhaitable
pour nous et pour le patient travailleur qui passe une grande
partie de son temps au travail. Il y a le courrier donné
au patient. C'est l’occasion de préciser sa
pensée à d’autres et avec le patient
et c’est important d’essayer, quand c’est
possible, d'avoir un véritable échange avec
le salarié-patient pour lui permettre d’être
un des acteurs et peut être même à certains
moment l’acteur principal. On travaille avec lui.
il faut clarifier la demande du MDT au MP et vice versa.
L’avantage que j’y vois c’est d’éviter
de lui donner l’impression qu’il est balloté
d’un praticien à un autre et que chacun est
dans son discours et a du mal à pouvoir échanger.
Le psychiatre donne un
avis technique comme un autre spécialiste mais l'avis
du psychiatre est désincarné s'il reste psychopathologique.
Quand on est en lien avec un patient dans sa vie, il faut
faire transpirer les éléments de sa vraie
vie, de sa vie de travailleur, d’amoureux et de père...
Le MP ne doit pas tout raconter de la vie du patient mais
il doit donner des éléments significatifs
qui vont aider le MDT dans sa compréhension du comportement
du salarié patient et permettra au MDT une meilleure
approche et vice versa le MDT doit donner des éléments
du travail, du collectif et de l'organisation du travail
et du fonctionnement de l’entreprise au MP. Le psychiatre
n'intervient pas directement sur la détermination
de l'aptitude, c’est propre au MDT qui a la connaissance
du patient travailleur, de ses conditions de travail, du
collectif, du contexte social, du fonctionnement de la hiérarchie,
des possibilités de l’entreprise… et
il a toutes les compétences pour cela.
Je pense qu’il faut
intégrer d’autres collègues dans cette
coopération : le MG mais aussi le médecin
conseil de la CPAM et d'autres spécialistes en fonction
des pathologies chroniques associées : neurologues,
gastro entérologues, rhumatologues, cancérologues
spécialistes de médecine physique dans les
problèmes de lombalgies chroniques en lien avec l’école
du dos.
Il y a toujours des répercussions psychiques dans
les pathologies organiques chroniques. On est dans des processus
d’accompagnement sur le long terme.
J’interviens aussi
comme psychiatre spécialisé uniquement pour
réfléchir sur la souffrance au travail, le
patient ayant un autre MP : moi, j’essaie de réfléchir
avec le salarié, en lien avec le MDT, sur les raisons
de sa souffrance au travail pour comprendre ce qui se passe
au travail et pour avancer d’un même pas : c’est
alors l’organisation du travail qui va être
interrogée. Ce psychiatre spécialisé
centré sur le travail est le trait d’union
entre tous les médecins qui gravitent autour du patient
(MP traitant, MG, MDT). Parfois, il peut expliquer la souffrance
au travail en faisant la part entre les problèmes
d’organisation du travail qui sont une de nos préoccupations
et une pathologie psychologique du patient qui peut être
complexe.
Tous les échanges d’informations cliniques,
d’informations sur le poste de travail et de confrontations
sur le travail permettront d’envisager avec le patient
les meilleures pistes pour lui.
En conclusion, il faut
oser communiquer : les échanges sont nécessaires,
nous avons tous des morceaux de vérité et
c'est ensemble que nous referons le puzzle.
Table ronde et débat
Questions
Pour en débattre
ici, mieux coopérer entre médecin du travail
et psychiatre, ce pourrait être peut-être pour
le médecin du travail :
1. De s’interroger
sur ce « que peut apporter au psychiatre le médecin
du travail », plutôt que « ce que le
médecin du travail attend du psychiatre ».
2. De donner à voir à la lumière
de la clinique médicale du travail, des éléments
de compréhension des difficultés du salarié
dans son travail.
3. Ou bien de faire apparaître que le médecin
du travail n’arrive pas malgré tous ses efforts
à se représenter le « travailler »
du patient ?
4. D’essayer de comprendre comment le salarié
construit ou précarise à sa façon
sa santé au travail, même parfois malgré
une pathologie invalidante non professionnelle, non pas
sur la scène de « l’économie
du désir », mais celle de « l’économie
du travailler ».
5. De pouvoir faire constat réciproque que médecin
du travail et psychiatre demeurent en difficulté
pour la prise en charge de leur salarié-patient.
6. Et donc d’organiser les modalités d’un
travail inter-compréhensif entre ces deux médecins,
en remettant le patient dans la boucle de cette élaboration
?
Débat
MP
: Par rapport au cas clinique, l’histoire commence
par la rixe : après coup, il apparait que le responsable
doit être celui qui a décompensé. Pour
le psychiatre, il est difficile d'écrire le diagnostic
comme « syndrome de persécution » ; je
ne peux mettre que des banalités dans l'écrit.
J'interviens pour donner un avis au médecin du travail
et pour lui faire une réponse.
Le champ de la psychiatrie est traversé aujourd’hui
par un scientisme important et il y a un conflit entre les
professionnels du point de vue de la clinique. Dans ce cas,
il est intéressant de voir la personnalité
du patient et la façon dont le patient vit son travail.
Il est intéressant aussi de s'intéresser aux
évènements déclenchants.
DH
: Dans les formes paranoïdes de décompensation,
la question pour les MDT du côté de la clinique
médicale est : Est-ce que je peux contribuer à
apporter des éléments sur l’économie
du travailler ; mais qu’elles en sont alors les limites
quand le patient est dans un délire paranoïaque
?
Mais aussi, à quel moment le MDT doit-il renoncer
à dire au psychiatre ce qu’il observerait du
point de vue de la clinique du travail ? Quand le MDT ne
comprend rien au travail et au travailler d’un salarié,
quand il ne peut se représenter le travail du salarié
car il est subverti par la pathologie, c’est le moment
où le MDT doit renoncer à contribuer envers
le psychiatre du côté de la clinique médicale
du travail. C'est très rare dans les faits.
Mais parfois même pour les personnes très handicapées
par leur pathologie et qui ont besoin d’une prise
en charge psychiatrique, le MDT doit malgré tout
instruire la question de l'engagement dans le travail par
la clinique médicale du travail ; et c’est
important aussi quand ce n’est pas le travail qui
est la cause de sa psychopathologie. Il ne faut pas renoncer
à déployer une clinique médicale du
travail même pour ces malades graves.
Autrefois, on arrivait à conserver au travail des
patients lourdement handicapés psychiquement ce qui
n’est plus possible aujourd’hui du point de
vue des entreprises.
Si on n’arrive pas à donner ces clés
de compréhension du côté du travail
au psychiatre pour aider le salarié, comment tient-on
ces règles professionnelles là entre MDT et
MP pour n'agir que dans l'intérêt de la santé
du patient salarié ?
Ce qui pose une autre question : on a des confrères
qui peuvent être à des moments de leur vie,
ou sachant ou experts. On a besoin de clarifier cela dans
nos coopérations, car on ne peut pas impunément
glisser de l’un à l’autre pour le même
travailleur.
Quand on est médecin du travail, on ne peut pas être
expert.
MDT :
Ce que j'ai souvent rencontré au travail, ce sont
des salariés atteints de bipolarité qui sont
utilisés par l’entreprise dans des situations
compliquées quand ils sont hypomaniaques mais qui
sont jetés quand ils sont en période maniaque.
Je rappellerai l’'importance du collectif pour alerter
le MDT quand un membre de l'équipe décompense
et je voudrai avoir l’avis du psychiatre sur les risques
de décompensation par le travail des maladies bipolaires
et dans certaines alcoolisations, car j’ai trouvé
un lien.
MP :
Pour le travailleur avec un trouble psychiatrique sévère,
il vaut mieux être schizophrène que paranoïaque
car on a des traitements qui fonctionnent assez bien. Le
MP que je suis a une vision importante du travail car je
m’occupe d’un ESAT où il y a beaucoup
de salariés présentant des troubles psychiatriques
qui y travaillent et la collaboration avec mon collègue
MDT est facile.
Que dire et écrire quand on a affaire à un
salarié paranoïaque ou quand on a affaire à
un délire paranoïaque : il y a des mots qui
sont difficiles à écrire ou difficiles à
expliquer au patient. Il faut le dire d'une autre manière.
On peut faire douter le patient avec le traitement mais
le patient va garder son noyau paranoïaque et le rendre
plus sociable pour qu’il continuer à travailler.
Là il faut collaborer avec le lieu de travail et
voir si on peut mettre le salarié dans un endroit
sur un poste de travail où il ne sera pas perturbateur.
Pour la bi polarité : c'est une maladie fréquente
avec de multiples formes cliniques. On a intérêt
à être tous un petit peu hypomaniaques. Il
faut prendre cette maladie au sérieux et la traiter.
Le MDT a un rôle important d'information de l'ensemble
de la collectivité de travail. Dans l’entreprise,
est-ce que c’est pertinent ou pas de donner de l'information
sur la maladie ? Parfois c’est le salarié qui
explique sa maladie. Mais il faut être très
prudent. On n’a pas le droit de donner le diagnostic
mais on peut expliquer les troubles : c'est une question
de cas par cas. Je crois beaucoup à l’importance
du collectif et à l'accompagnement par le collectif
du collègue malade vers le MDT. Développer
la préoccupation de l'autre dans l'entreprise me
paraît fondamental afin de limiter les conséquences
pour le salarié par une prise en charge rapide par
le SST.
En quoi le travail peut révéler une maladie
bipolaire ? Le travail est dans une certaine mesure une
contrainte soit externe soit interne. Toute tension au travail
est un facteur de déstabilisation qui peut favoriser
une décompensation d’une maladie dont le diagnostic
n'a jamais été posé. On doit être
attentif à tout ça. Le travail peut être
un facteur favorisant mais peut être aussi un facteur
protecteur car le travail permet de vivre et d'être
heureux de travailler. Certains patients font le souhait
de continuer à travailler, on doit les aider à
reprendre le travail mais dans des conditions adaptées.
MDT
: Il y a des choses qui me dérangent comme parler
de la maladie ou donner de l'information sur les maladies
de certains salariés dans l’entreprise. Aujourd'hui,
la personne différente est complétement rejetée
et les organisations de travail éliminent les plus
fragiles. Les MDT sont complètement désarmés
quand les gens parlent de leurs problèmes de santé
entre eux et que ces informations remontent à la
hiérarchie et sont utilisées contre eux ce
qui fait que ces personnes sont rejetées parce qu'elles
ont parlé de leur pathologie. J’ai des exemples
de personnes qui aujourd'hui sont payées chez elles
alors qu’elles sont malades de ne pas travailler.
Le MDT doit informer les salariés des enjeux graves
de santé pour eux s’ils parlent de leurs problèmes
de santé au travail.
MP
: Je suis d’accord car aujourd’hui il y a des
effondrements de la tolérance pour des raisons multiples.
Il faut rechercher des alliés : pour moi c’est
le SST, le collectif de travaille CHSCT, les DP.
MIRT :
On est dans un milieu où le comportement pathologique
est rejeté chez les salariés mais, d’un
autre côté, certains comportements pathologiques
sont plutôt encouragés pour la hiérarchie
dans certaines entreprises. Qu'est ce qui dérange
la personne ? Qu'est ce qui dérange le collectif
et qu’est-ce qu’il est légitime de décrire
et qu’est-ce qu’il est légitime de prendre
en considération ? (je vous conseille de lire «
la perversion ordinaire » de JP Lebrun qui traite
de ce problème). Le MDT et le MP doivent échanger.
MP :
Si on parle de paranoïa, il faut différencier
les traits paranoïaques, la personnalité paranoïaque,
le délire paranoïaque. Il faut définir
le délire paranoïaque : c’est une pathologie
difficile à traiter et qui a difficilement sa place
quand elle est floride dans l'entreprise. Mais les personnalités
paranoïaques peuvent être mises en avant, pour
au moins un temps, dans les comportements de manipulation
de la part de certains vis-à-vis des autres.
Les gens qui ne sont pas comme les autres, par exemple les
salariés dépressifs ou atteints d’une
de ses multiples formes cliniques (maladie dépressive
caractérisée, désespoirs, anxiété…)
sont rejetés. On ne peut pas passer sous silence
les représentations de certains qui interprètent
mal les comportements des salariés dépressifs
en les assimilant à des personnes fainéantes
: ces malades sont souvent mis de côté ou maltraités.
Pour les salariés qu'on veut licencier, mais qui
ne sont pas dépressifs et qui sont comme les autres,
on va les maltraiter pour faire en sorte qu'ils ne deviennent
pas comme les autres en ne leur donnant pas de travail.
Et alors que certains salariés n'avaient pas d'antécédent
psychiatrique, cette situation peut les rendre dépressifs
ou révéler une pathologie bénigne qui
sera accentuée dans un milieu de travail ou par une
organisation pathogène.
MDT
: Si c'est renvoyé à la question des gens
qui ne sont pas comme les autres il y a un problème
plus large car ces personnes devraient être défendues
et les alliés ce devraient être naturellement
les syndicats existants qui ne devraient pas accepter ces
situations.
MDT :
Attention au contrôle social qui peut exclure du travail.
MP
: Ce n’est pas le contrôle social mais c'est
la bienveillance par rapport aux collègues.
MDT
: Il faut faire attention à ce qui se dit. Comme
par exemple signaler les gens qui mangent tout seul à
la cantine. Il faut faire attention à ne pas individualiser
les problèmes. Il faut aujourd'hui surtout parler
de l'organisation du travail. J’ai quitté Orange
car les psychiatres faisaient des formations y compris aux
MDT en insistant sur les profils particuliers et les pathologies
des personnalités qui osaient s’opposer au
consignes données. Il ne faut pas se tromper : les
alliés sont les collectifs, les DP et les organisations
syndicales. Il faut former les syndicats pour lutter contre
ces rejets des malades psychiatriques.
DH
: On ne peut pas tout demander aux syndicalistes. il faut
faire attention à les former pour les inciter à
entendre le travail quand ils n'entendent que la souffrance,
sinon on va augmenter leurs réflexes défensifs.
Dans les psychopathologies du travail « normales »,
c’est bien le travail la grille de lecture du MDT
: c’est le métier de MDT de s’en débrouiller
mais il y a des circonstances où il faut coopérer
avec le MP.
MIRT
: Je ne suis pas d'accord avec toi. Dans les psychopathologies
du travail, il y a un travail en commun à faire avec
les MP et les MDT.
DH :
C'est dans la compétence de la spécialité
de MDT de faire le diagnostic dans les psychopathologies
du travail.
MDT :
Dans la coopération MDT et MP, on essaie de faire
ce que l'on peut. Le rôle central est celui du salarié
patient. Le salarié même malade, même
atteint de psychose, peut dire ce qu'il pense de son travail
et on peut l'aider à décider. Pour les psychopathologies
du travail, Le MDT a un rôle préventif pour
le collectif tandis que le MP prend en charge le salarié
malade.
MP :
Cette personne avec une maladie psychiatrique, on doit la
protéger et ne pas l'exclure mais l'inclure dans
sa vie de travail comme les autres car elle peut s’y
épanouir. Le psychiatre ne prend pas la place du
MDT mais dans certains cas particuliers on a besoin d'être
2, 3 ou 4 (MDT, MP, MP spécialisé et MG).
Parfois c’est l’organisation du travail qui
est pathogène et tout le monde est dans le flou et
c’est cette collaboration qui permet à tous
de progresser dans la compréhension du travail pour
le bien être du patient salarié.
Discussions et conclusions, par le Dr Magdeleine
Ruhlmann, MIRT
Au terme d’une journée
où nous avions choisi de ne parler que des coopérations
du MDT avec certaines spécialités médicales,
je ne peux qu’espérer que, malgré l’heure
tardive et les frustrations, chacun se reconnaitra. Je vous
remercie pour la confiance que vous m’avez accordée
et vais essayer avec humilité de faire cette brève
synthèse.
Alain a cadré dans son introduction les conditions
nécessaires à la coopération entre
médecins spécialistes autour du salarié-patient.
Il a parlé de la place à donner au travail,
de la nécessité de la confiance et de l’importance
des écrits.
Les échanges d’aujourd’hui nous ont montré
que ces conditions étaient nécessaires mais
qu’elles n’étaient pas suffisantes. Je
vous livre ici les quelques réflexions que j’ai
faites au cours de la journée.
Nous avons rencontré
tout au long de la journée de nombreux questionnements
et observations. De manière transversale aux quatre
vignettes cliniques, même si chacun n’est pas
cité ici, voici ce que j’ai entendu, et les
quelques questions « en plus » que je me suis
posées et que je souhaite partager avec vous.
• Est-il important
et pertinent de remarquer que la question du travail semble
émerger et s’imposer chez le MG par rapport
à la souffrance, à l'humiliation et à
la servitude volontaire ? plutôt que par la question
des cancérogènes professionnels ou des TMS
?
• Il est important de savoir si on se situe dans
un rapport essentiellement de personne à personne,
par rapport à ce patient précisément,
ou si, comme pour le médecin du travail, la rencontre
passe par le cadre d’un engagement social (ou même
politique ?).
• Nous devons nous demander comment constater l’humiliation,
la réalité des relations et conditions de
travail sans avoir l’air d’avoir un positionnement
à priori ?
• Nous avons entendu à partir de la vignette
clinique de médecine générale des
lectures différentes, qui traduisent sans doute
des positionnements différents.
• Nous avons entendu combien il était nécessaire
de décrire les choses avec rigueur pour pouvoir
partager la clinique en donnant des éléments
concrets et compréhensibles.
• La discussion autour de la pathologie professionnelle
a montré l’importance de travailler «
à partir de notre vécu ».
• Alors que la discussion avec le MG a montré
combien la coopération passait par la propre pratique
de chaque médecin.
• Coopérer ce n'est pas se substituer à
l'autre, c'est partager avec l'autre et lui donner les
éléments de ce partage. La crainte d’une
« substitution », d’une « emprise
» sur l’exercice du médecin du travail
ou d’une « perte de pouvoir » sur la
prise en charge s’est fait jour avec le MP alors
que la question se posait de manière très
différente avec le MG. Ce qui est riche d’enseignement.
• Parallèlement, le débat avec le
MPP a mis en évidence autre chose : un questionnement
sur le collectif des MDT, sur l’existence ou non
de collectifs de travail. « La consultation de pathologie
professionnelle n’est pas là pour lutter
contre l’isolement des médecins du travail
» a-t-il été dit, « chacun doit
être dans son rôle ». Montrant ainsi,
s’il en était besoin ici, la nécessité
pour les MDT d'échanger aussi avec leurs pairs
pour lutter contre l’isolement et enrichir leurs
pratiques.
Il était intéressant
que le débat s’ouvre sur les coopérations
avec le MG. Ensuite avec le MPP, puis les autres spécialistes,
nous avons pu nous poser la question de l’existence
d’un langage commun et partagé. De quoi, de
qui parlons-nous quand nous parlons ensemble de «
nos » salariés-patients ? Je voulais insister
sur l’importance de la notion de santé, de
l’image et de sa construction, et en conséquence
de l’image et de la place de la prévention
dans ces échanges]
Et j’ai entendu en filigrane la question suivante,
qui me semble essentielle : cette coopération entre
médecins spécialistes, ne devient-elle nécessaire
qu’une fois qu’est présente l’atteinte
à la santé ? Que s’est-il passé
avant l’alerte ? Quel est le rôle de chacun
des spécialistes au cours ou autour d’un arrêt
de travail ? Comment une meilleure coopération aurait-elle
pu éviter l’atteinte à la santé
Il nous faut donc savoir
prendre en considération les points de vue cliniques
respectifs des différents médecins. Et si
le salarié-patient est au centre, au cœur des
échanges, chacun des médecins spécialistes
partie prenante à la discussion, pourra prendre en
compte les aspects purement médicaux mais aussi «
sociaux » de ce patient-là et traiter ce salarié-là,
sans oublier les autres salariés ni le travail.
Nous l’avons vu ensemble, il y a des préalables
à la coopération : savoir faire le point sur
son propre « travailler », sur sa propre pratique
et sur son propre engagement et savoir reconnaitre ce qui
se joue dans une relation. Savoir que cela, que certains
appellent le transfert, se joue dans toute relation et à
fortiori dans une relation médecin /médecin
ou médecin/salarié. Notre compétence
c’est aussi de savoir connaître notre propre
position, notre rôle, pour savoir échanger
avec l’autre
Il y a des impératifs que nous tous, médecins,
connaissons dans un monde où nos salariés
patients sont comme nous, médecins, confrontés
à la procédurisation, à la normalisation,
à l’évaluation quantitative, à
l’économisation où à la financiarisation.
Nous n’avons peut-être pas d’autre choix
que de nous faire confiance, de reconnaitre ce qui nous
rapproche, comme la clinique, plus que ce qui pourrait nous
éloigner. Et nous pouvons faire le choix de ne pas
entrer dans le jeu ou le risque de la rivalité, pour
le plus grand intérêt du sujet-salarié-patient,
et pour notre satisfaction éthique et notre plus
grand plaisir au travail à nous.
|
Extraits
de Textes préparatoires des colloques précédents
(les textes intégraux figurent sur le site e-Pairs)
Qu’est-
ce que l’exercice de la clinique médicale du
travail ?[1]
Elle
donne acte que l’objectif de la consultation nourrie
de « clinique médicale du travail » »
est de permettre au sujet de recouvrer son « pouvoir
d’agir ». Le médecin du travail y déploie
une écoute médicale compréhensive pour
permettre au sujet de prendre soin de à nouveau de
sa santé.
Il s’agit concrètement pour le médecin
du travail de faire raconter par le sujet comment il fait
dans le quotidien pour arriver à travailler, malgré
ce qui y fait objectivement obstacle. Il faut, pour le médecin,
oublier ses idées préconçues et faciliter
le récit en manifestant ses difficultés à
comprendre l’activité du salarié pour
ne pas coller au discours et éviter les chausse-trappes
dans le récit qui s’accrochent au relationnel
et comportemental de collègues ou de la hiérarchie.
Il
ne s’agit pas seulement de poser un certain nombre
de questions sur l’organisation du travail. Il faut
se faire raconter dans le détail une situation de
travail dans laquelle le salarié a été
mis en difficulté, les premiers incidents qui l’ont
malmené. Si la situation actuelle est très
douloureuse, proposer de raconter des situations antérieures
où le travailler ensemble permettait de construire
sa santé au travail et permet de reprendre pied dans
une activité de travail où le pouvoir d’agir
s’est construit dans la confrontation à la
résistance du réel.
Dans
la consultation de clinique médicale du travail,
notre attention se porte sur les signes évocateurs
d’un affect, témoins de quelque chose d’impensé.
Le fait de parler de son travail permet au salarié
un niveau d’élaboration plus complexe, où
sa problématique prend une nouvelle dimension, ce
qui peut lui permettre de prendre conscience des enjeux
de son activité et de ses dimensions conflictuelles.
Lors
du travail d’élaboration, l’émotion
peut être reconnue comme témoin de ce que le
salarié met de lui-même dans le travail, témoin
de sa singularité. Il y a une intelligence du corps.
Il n’y a pas de « travailler » sans engagement
du corps. C’est à ce corps là que nous
avons à faire dans nos consultations. Le symptôme
s’éprouve par le sujet comme une limitation
de sa liberté, comme une résistance à
son pouvoir d’agir, à sa capacité d’être
affecté. L’émotion ressentie, reconnue
comme tension entre ses mobiles et l’organisation
du travail offre au salarié la possibilité
d’ajuster ses choix à la réalité
de son travail, ce qui ouvre d’autres issues possibles
que la pathologie aux conflits qui le traversent. Le travail
d’élaboration peut permettre de rendre intelligibles
les orientations et les motivations des salariés,
les conflits peuvent être ramenés à
des enjeux de travail susceptibles d’être expliqués
et discutés avec autrui.
Le médecin du travail nourrit son diagnostic clinique
de ce travail spécifique. Il y adosse ses préconisations
médicales et en nourrit son action de prévention
collective primaire ou de sauvegarde.
La
clinique médicale du travail en quelques éléments
structurants [2]
Cette
clinique doit, pour remplir la mission liée à
cet exercice, avoir pour référence «
Un modèle de l’homme qui rende compte du travail
du point de vue de l’engagement actif du sujet et
de ses enjeux de santé (DAVEZIES) ». Confrontés
à cette difficulté académique, à
partir des années 70, les médecins du travail,
en référence aux sciences humaines, élaborent
en commun une nouvelle clinique : « la clinique médicale
du travail ». Les bases théoriques de cette
clinique font donc de fréquents emprunts à
l’ergonomie, à la sociologie, à la psychologie
et la psychodynamique du travail.
1. La clinique médicale du travail
considère le travailleur comme un sujet en relation
avec son environnement de travail et sa dimension collective.
Pour sortir de l’approche classique et réglementaire
qui s’intéressent à la cause des risques
mais ignore les réponses activement produites par
le travailleur considéré comme passif, les
médecins du travail se rapprochent de l’ergonomie
qui implique que « Il n’y a pas de travail d’exécution.
Tout travail implique une mobilisation de l’intelligence
» dit A. WISNER.
Le travail n’est pas solitaire. Il se déroule
dans un environnement humain collectif. Cela impose de prendre
en compte la dimension sociale de l’activité
de travail.
Ici, « le travail est l’activité coordonnée
entre les femmes et les hommes pour faire ce qui n’est
pas prévu par l’organisation du travail »
(DAVEZIES). Il y a donc un travail prescrit par l’organisation
du travail qui procède par instructions pour atteindre
une tâche à accomplir, et un travail réel
déployé par les travailleurs dans un contexte
collectif et qui engendre des échanges sur «
comment faire » et « comment faire ensemble
» afin de parvenir à un résultat faisant
l’objet d’un consensus entre eux.
2. La clinique médicale du travail
postule que la santé se structure autour du pouvoir
d’agir. Elle analyse par conséquent ce qui
s’oppose au pouvoir d’agir du sujet.
Dans
l’esprit de l’article L1111-4 du code de la
santé publique, cette clinique considère que
« la souffrance est l’amputation du pouvoir
d’agir » et « qu’être en bonne
santé c’est avoir les moyens d’un cheminement
personnel et original vers un état de bien-être
physique, mental et social ». « La santé
est un pouvoir d'action sur soi et sur le monde gagné
auprès des autres. Elle se rattache à l’activité
vitale d'un sujet, à ce qu'il réussit ou non
à mobiliser de son activité à lui dans
l'univers des activités d'autrui et, inversement,
à ce qu'il parvient ou pas à engager des activités
d'autrui dans son monde à lui ».
3. La clinique médicale du travail
considère que le sujet construit son identité
à travers des activités qui participent de
son accomplissement de soi en étroite interaction
avec les autres.
La Clinique Médicale du Travail intègre cette
dimension subjective et vécue de l’activité
de travail et explore ses relations.
La réalité mouvante impose de mobiliser d’autres
ressources que des savoirs techniques. La relation dynamique
aux objets du travail est incorporée. Des savoirs
faire acquis d’expériences antérieures
sont intégrés dans cette mémoire du
corps.
Ne pas pouvoir exprimer ces relations indique une résistance
au sens de la psychopathologie du travail.
4. La clinique médicale du travail
cherche à comprendre ce qui se joue pour le travailleur
dans ce cadre et ce qui s’oppose à son projet.
Le travailleur agit sous le regard des autres, avec eux,
dans un système de valeurs partagées, en espérant
être reconnu et en s’affrontant à la
réalité pour atteindre un résultat
qui fasse référence. C’est la résistance
à cette activité qu’oppose l’organisation
du travail et l’impossibilité d’accomplir
ce qu’on voudrait faire ou d’aboutir au résultat
qui pèse sur la santé du salarié :
«
Le réel de l’activité c’est aussi
ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas faire,
ce qu’on cherche à faire sans y parvenir –
les échecs -, ce qu’on aurait voulu ou pu faire,
ce qu’on pense ou qu’on rêve pouvoir faire
ailleurs. Il faut y ajouter – paradoxe fréquent
– ce qu’on fait pour ne pas faire ce qui est
à faire ou encore ce qu’on fait sans vouloir
le faire. Sans compter ce qui est à refaire. »
(Y. CLOT)
L’organisation est en désaccord avec le résultat
du travail que je cherche à atteindre ou supprime
mes marges de manœuvre ou ne me donne pas les moyens
nécessaires. Elle isole chaque salarié en
l’individualisant ou empêche le travail en commun
ou la construction de valeur commune sur le travail et la
façon de le faire.
L’organisation est en désaccord avec ce que
j’estime être la qualité et le résultat
de mon travail ne reconnaît pas ma valeur ou l’utilité
de mon travail. L’isolement ne permet plus la reconnaissance
symbolique de mon travail.
5. La Clinique médicale du travail
identifie et prend en compte les défenses du sujet
contre sa souffrance
La psychodynamique du travail décrit les processus
de pensée inconscients qui permettent au sujet de
mettre à distance la souffrance. Elles les nomment:
processus de défense, stratégies défensives,
idéologies défensives (déni péjoratif
de l’encadrement, faire le Mal pour le Bien…).
Ces processus inconscients comprennent les somatisations.
Le diagnostic du lien
santé-travail
Le diagnostic positif repose sur le recueil
systématique des indicateurs de santé mentale
en rapport avec le travail et peut s’appuyer sur des
examens complémentaires de spécialité.
Il prendra en compte les altérations « discrètes,
paradoxales: (démobilisation professionnelle, hyperactivité)
mais aussi les atteintes camouflées (TMS et psychosomatiques).
Le diagnostic étiologique permet de relier les atteintes
à la santé au repérage des situations
de travail pathogènes. C’est le résultat
du travail d’élaboration (« voit- on
le salarié travailler? »). Toute identification
d’une pathologie doit s’accompagner de la description
de ce qui l’influence négativement du côté
du travail. La pathologie est alors en rapport avec le travail
et reliés à des caractéristiques de
l’organisation du travail. Le diagnostic étiologique
s’élabore en référence avec la
situation des autres travailleurs. Il doit être le
plus précis possible pour préparer l’intervention.
Les
écrits du médecin du travail [3]
1-Le point de vue de la clinique
C’est à partir de l’activité clinique
que les médecins du travail instruisent le lien santé-travail
et que leurs écrits peuvent permettre la mise en visibilité
des atteintes à la santé liées au travail.
Depuis quelques années, ces écrits ont évolué
à partir de la clinique médicale du travail.
Le travail clinique des médecins du travail produit
d’autres connaissances sur le lien santé-travail
que celles qui leurs ont été enseignées
dans leur spécialité médicale. L’activité
clinique en donnant la parole aux salariés permet
une redistribution de l’expertise sur les questions
du travail, et de nouvelles modalités de production
de connaissances.
L’analyse clinique ne sépare pas les conditions
de travail des salariés de l’évolution
des rapports sociaux du travail et des organisations du
travail, ni des conflits qui les accompagnent, y compris
au sein même de la santé au travail.
2- Clinique, droit et déontologie
Dans son activité médicale, le médecin
du travail est face à un sujet qui est à la
fois salarié lié par un lien de subordination
dans le cadre du contrat de travail, mais aussi agent ou
opérateur engagé subjectivement dans une activité
de travail et qui est aussi patient invité à
ou sollicitant une consultation médicale en santé
au travail.
La
mission du médecin du travail, l’objet et le
sujet de son activité, c’est la mise en visibilité
du lien santé-travail. Les écrits du médecin
du travail prennent appui sur une démarche clinique
qui ne se substitue pas à l’action du salarié,
mais qui vise, par le travail d’élaboration
du sujet, à la reconstruction de sa capacité
à penser, débattre et agir.
Mais
ces écrits nécessitent un éclairage
spécifique du côté du droit du travail,
du code de la santé publique et de la déontologie.
Ceci nécessite de partir du travail prescrit, des
textes réglementaires, du code de déontologie
avant d’aborder la démarche clinique et les
écrits en référence aux pratiques cliniques.
[1]Extraits
du 5° colloque E-PAIRS colloque E-Pairs /a-SMT sur la
clinique médicale du travail-juin 2013- thème
3, Odile RIQUET, Dominique
HUEZ
[2]Extraits
du 5° colloque E-Pairs/a-SMT sur la clinique médicale
du travail- juin 2013 -thème 1, Alain CARRE,
Nicolas SANDRET, Huguette MARTINEZ
[3]Extrait
du colloque E-PAIRS de juin 2014 sur les écrits du
médecin du travail et le lien santé –travail-
(introduction) |
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|
Introduction par
Alain GROSSETETE
Bienvenue à ce dixième
colloque ! Il accueille cette fois des spécialistes médicaux
: rhumatologues, médecins généralistes, médecins
de pathologie professionnelle, psychiatres.
- Les questions portant sur le travail en lien avec la santé
ont pris une place considérable dans l’espace public.
Il fut un temps où ce n’était pas le cas.
Les affaires de travail défrayent l’actualité.
La « loi travail » est en discussion dans le pays,
avec ses remous ; les émissions et articles portant sur
le travail qui malmène, sont légion, et aussi, sur
un tout autre plan, les plaintes d’employeurs instruites
par le conseil de l’ordre vis-à-vis de médecins
qui témoignent du lien entre la santé et le travail,
sont régulièrement sur la place publique.
- Dans nos consultations de médecine du travail, la question
du travail traverse notre quotidien de professionnels et c’est
probablement le cas aussi des autres spécialistes : généralistes,
rhumatologistes, médecin de pathologie professionnelle,
psychiatres, pour s’en tenir à ceux qui sont présents
aujourd’hui à ce colloque.
Il était donc utile de proposer de mettre en discussion
nos éclairages respectifs sur le travail, dans ses implications
avec la santé, et de débattre de la façon
dont nous pouvions coopérer à ce sujet, dans l’intérêt
de la meilleure prise en charge possible de la santé des
salariés-patients ou des patients-salariés.
- C’est pourquoi le thème retenu du colloque de cette
année porte sur les pratiques professionnelles de médecins
du travail dans leur coopération avec des spécialistes
médicaux, pour prendre en charge du mieux possible, leurs
« patients salariés » ou leurs « salariés
patients. »
Comment les spécialistes
médicaux et médecins du travail, chacun avec sa
clinique (clinique médicale du travail, et clinique propre
à chacune des spécialités médicales
présentes ici), peuvent-ils coopérer au maintien
ou au rétablissement de la santé d’une personne
au travail ? Quelles sont les pratiques professionnelles connues
ou à explorer pour que cette coopération puisse
se déployer ?
Comment le travail du salarié ou du patient est-il pris
en compte ? Comment rendre compte de son activité de travail
? Qu’en faire ? Avec quelles règles professionnelles
?
Quelles contributions venant
du médecin du travail seraient attendues par les autres
spécialistes médicaux qui s’occupent du soin
?
Quel éclairage, du point de vue des spécialistes
médicaux, et du point de vue du médecin du travail,
la clinique médicale du travail (dont le champ se déploie
à la fois sur l’individu et le collectif) peut-elle
apporter dans la coopération pour mieux prendre en charge
un patient, tout en recevant la contribution des autres cliniques
médicales ?
Voici donc quelques questionnements
qui viennent à l’esprit, un peu « hors sol
» pour l’instant, mais qui heureusement vont pouvoir
s’appuyer sur la présentation des quatre cas cliniques
qui vont se succéder dans la journée.
De tout cela nous allons donc débattre.
Mais auparavant, et dans cette ouverture du colloque, je voudrais
mettre l’accent sur trois points essentiels de mon point
de vue. Ils rendent compte auprès des spécialistes
non médecins du travail qui sont présents à
ce colloque, que l’exercice de la médecine du travail
est particulier à plus d’un titre. Ils ont fait l’objet
de nombreux échanges entre médecins du travail,
dans les colloques précédents et dans les travaux
en groupes de pairs, et je les souligne aujourd’hui, au
motif que ces trois points pourraient bien aujourd’hui se
trouver en position-clé dans la coopération recherchée
avec les autres spécialistes médicaux.
Ces trois points concernent la
question de la confiance, puis celle de l’exploration du
travail, enfin de la place des écrits dans notre discussion
d’aujourd’hui.
- Premier point, Je voudrais
aborder la confiance dans la relation médecin/salarié/
patient : la question de la confiance se pose évidemment
dans tous les types de consultations médicales, sans laquelle
aucun travail clinique ne peut se faire.
Mais la confiance entre le salarié et son médecin
du travail, comment s’établit-elle ? Elle se déploie
dans des conditions particulières du métier de médecin
du travail pour deux raisons. Le praticien en médecine
du travail n’est pas choisi par le salarié. Et la
relation entre salarié et médecin du travail, donc
la question de sa santé au travail, est en articulation
avec le contrat de travail. Travail et santé peuvent se
regarder souvent en chien de faïence ! Or nous savons bien
que la question du déploiement de la confiance du salarié
est impactée, polluée historiquement par la question
de l’aptitude, laquelle peut être considérée
comme un réel obstacle au travail clinique du médecin
du travail entrepris avec le salarié. Beaucoup de salariés
convoqués à la visite médicale du travail
ne savent pas du tout de quoi il retourne dans la consultation,
et font preuve de retenue, ou même de méfiance.
Aussi le médecin du travail doit pouvoir expliquer à
un salarié reçu en consultation comment il peut
travailler avec lui pour soutenir sa santé, déployer
ce qu’il va lui proposer. Il est appelé à
exposer ses pratiques professionnelles en même temps avec
les collègues entre lesquels la coopération doit
s’installer.
La confiance entre médecin du travail et le salarié,
qui est adressée au spécialiste, conditionne très
largement l’établissement de cette coopération.
Le patient en est le pivot. Si la confiance fait défaut,
alors chacun n’a plus qu’à jouer « à
part » et la question est évacuée.
Donc, question : si la confiance conditionne en partie au moins,
l’existence même d’une coopération entre
spécialistes non médecins du travail et médecins
du travail, à quelle condition cette confiance peut-elle
s’établir ?
- Pour ce qui concerne la réponse
du médecin du travail, et c’est le second point,
sa réponse est dans l’investigation qu’il mène
sur le travail. Son « ticket d’entrée »
dans la coopération est qu’il instruise le mieux
possible la question du travail auprès des autres spécialistes.
C’est tout à fait fondé et attendu comme contribution
particulière de sa part. D’abord parce qu’à
ouvrir la boîte du travail, chacun risque de s’y perdre,
tellement il y a de poupées russes à ouvrir ! Les
généralistes le savent bien. Rentrer dans le travail
du patient prend du temps ! Aussi, tant mieux si l’aide
du praticien du travail lui est proposée : car le travail
c’est comme la boîte noire qui équipe chaque
avion. Le travail est spontanément opaque, il ne devient
accessible dans ses différentes dimensions que s’il
est exploré. Beaucoup de médecins du travail ont
dû peiner pour cela, et rechercher les apports de l’ergonomie
et de la psychodynamique pour essayer de comprendre ce qui se
joue pour la santé sur la scène du travail, avant
de disposer eux-mêmes d’une clinique qui est la clinique
médicale du travail.
C’est pourquoi, et je le verse au débat, Il n’y
a pas vraiment de coopération possible si le médecin
du travail n’a pas instruit au préalable, la question
du travail, d’abord pour sa réflexion à lui,
celle du salarié/patient, et celle du spécialiste.
C’est même peut-être, sa contribution la plus
importante à cette coopération.
- Cette contribution passe, le
plus souvent pensons-nous, par des « Ecrits ». Et
c’est le troisième et dernier point. Nous avons déjà
exploré la question des écrits du médecin
du travail dans un colloque précédent. Le plus souvent
il s’agit d’un courrier, remis au salarié patient,
pour qu’il puisse le transmettre ou pas. Le patient salarié
est ainsi considéré comme le pivot de la coopération.
La question qui nous serait ici commune, pourrait être :
quel est le juste nécessaire à écrire pour
coopérer ? Compte tenu de toutes les embûches, du
respect du secret médical, de la responsabilité
du médecin, etc., je ne développe pas.
Nous écrivons à des collègues spécialistes
dont ce n’est pas forcément dans leurs pratiques
de le faire, ni même d’y répondre. Notre écriture
de médecin du travail nous est propre par certains côtés
parce que notre exercice se déploie sur la longue durée.
Un écrit de médecin du travail peut donc prendre
une mise en forme de récit, rédigé à
partir du dossier médical santé travail, et portant
sur une longue histoire professionnelle du patient avec sa trajectoire,
les impasses rencontrées, l’impact sur sa santé.
Voici en somme, de quoi débattre
aujourd’hui, avec intérêt et plaisir, nous
l’attendons ainsi, sur les pratiques professionnelles de
médecins du travail en coopérations avec d’autres
spécialistes, qui vont contribuer à nous aider à
réfléchir.
De tout ce qui va se dire ici, des questions remises en forme,
des controverses sont à repérer, à étayer,
et des repères à construire pour les pratiques de
médecins du travail, qui pourront peut-être interroger
aussi, en retour, les pratiques des autres spécialistes
dans leurs approches avec nous.
1ere
PARTIE : MEDECINE DU TRAVAIL / MEDECINE GENERALE
Vignette
clinique préparée par les Dr Annie
Deveaux et Josiane Crémon, médecins du travail
Observation de Mme B
Mme
B âgée de 54 ans travaille depuis 1979 comme comptable
dans une petite société comportant d’une part
une entité comptable et 4 salariés au rez-de-chaussée
et une entité formation de 2 salariés à un
autre étage, dirigée par Mr X.
L’entité
comptable est cédée en 2002 à un grand cabinet
comptable dont le siège est situé dans une autre
ville. La petite unité sera maintenue sur le même
site avec comme responsable, Monsieur Y, un associé de
la nouvelle entreprise qui passera 2 fois par semaine environ.
Mme B a donc fait toute sa carrière dans ce cabinet comptable,
en évoluant sur le plan professionnel et en intégrant
très bien les évolutions du métier et les
évolutions technologiques comme l’informatisation
du service.
Du fait de la spécificité du travail, les horaires
hebdomadaires changent en fonction de la charge de travail. Ainsi
de janvier à avril elle travaille 40h par semaine (période
des bilans, déclarations fiscales et sociales), et le reste
de l’année elle travaille 32h par semaine.
Par ailleurs elle refuse de faire des heures supplémentaires.
Tout
au long des dernières visites elle n’exprime aucune
difficulté professionnelle malgré une charge de
travail importante. On ne note aucun retentissement ni sur sa
santé physique ni sur sa santé psychique ;
Lors de la visite systématique de juin 2009 le MT note
:
- Bon sommeil
- TA : 19/10
- Pas de problème au travail
Il oriente Mme B vers son médecin généraliste
pour prise en charge de sa TA élevée.
Lors
de la visite périodique d’octobre 2011, Mme B exprime
pour la 1ère fois des difficultés professionnelles,
elle décrit une charge de travail beaucoup plus importante,
une dégradation de l’ambiance au travail ; son responsable
lui fait des reproches répétés sur la qualité
et la quantité de travail fourni et son manque d’implication.
Elle déplore aussi une mauvaise relation avec une collègue
A l’examen clinique la TA reste encore élevée
et n’est toujours pas traitée. Le MT adresse un courrier
au médecin généraliste.
Le
28/06/2012 Mme B demande une visite de pré reprise. Elle
explique
alors qu’elle est en arrêt de travail depuis avril
pour divers troubles de santé :
- un kyste parotidien G traité par cortisone
- pour confirmation HTA et traitée par Pritor plus 1cp/j
- pour syndrome anxiodépressif se manifestant par des angoisses,
des troubles du sommeil avec réveil nocturnes, et des ruminations
sur le thème du travail, traité par Deroxat ½
cp/j.
Mme B pleure pendant la consultation, et elle explique que ses
difficultés sont apparues au changement de direction et
qu’elles se seraient détériorées fin
2011, avec l’arrivée d’une nouvelle collègue,
qui remplace une salariée qui a démissionné
(avec laquelle Mme B s’entendait bien notamment sur le plan
professionnel, elles s’épaulaient en cas de surchauffe).
Depuis
Mme B dit se sentir isolée, la nouvelle collègue
ne lui adresserait pas la parole (juste bonjour, bonsoir), de
plus cette collègue serait proche de la direction qui aurait
toute confiance en elle.
Mme B dit ne pas pouvoir s’appuyer sur le responsable car
il est très peu présent sur le site. En plus le
responsable de l’agence lui reprocherait son manque d’implication
car elle ne veut pas faire d’heures supplémentaires,
et qu’elle aurait des difficultés pour s’adapter
aux évolutions du travail, notamment à un nouveau
logiciel et à des nouvelles applications EXCEL. Elle dit
qu’elle aurait bénéficié d’une
formation moins approfondie que sa collègue. On lui reproche
un refus de sa part de s’adapter aux innovations du métier,
alors qu’elle exprime un besoin d’aide qu’elle
n’obtient pas.
Elle ressent cette situation comme une volonté de la pousser
à la démission.
Elle s’est alors rapprochée de son ancien employeur
qui lui a apporté son soutien.
Le MT rencontre l’employeur le 6/7/2012, qui nie tout conflit
avec cette salariée, mais confirme que Mme B a du mal à
s’adapter aux évolutions à l’inverse
de sa collègue. L’employeur suggère même
que si Mme B est en souffrance dans l’entreprise il faut
qu’elle cherche un autre emploi et est prêt à
l’aider. Le MT fait la proposition d’une reprise à
temps partiel thérapeutique, l’employeur est d’accord
mais septique sur l’efficacité.
Le
21/08/2012 Mme B est vue en visite de pré reprise. Elle
dit qu’elle va mieux, elle dort mieux, son moral est bon
et sa TA est à 14/8 sous traitement. Mme B ne veut plus
quitter l’entreprise. Le MT fait alors un courrier au médecin
généraliste pour lui spécifier que Mme B
peut reprendre le travail mais à temps partiel thérapeutique.
Puis le MT rédige un fiche d’aménagement poste
en prévision de la reprise.
Le
25/09/2012 la salariée demande une visite auprès
du MT car à nouveau elle ne va pas bien (la VR n’a
pas été demandée par l’employeur, reprise
effectuée le 3/9)
Sur le plan santé le syndrome anxio dépressif est
réapparu, car la situation professionnelle n’a absolument
pas changé, on lui aurait même proposé un
poste dans une petite entreprise et à ½ temps qu’elle
a refusé pour raison personnelle. Mme B ne se sent pas
capable de reprendre à temps plein, et ne veut pas être
en arrêt complet. Cette fois encore le MT adresse un courrier
au MG pour demander une prolongation du ½ temps thérapeutique
et il explique que les difficultés professionnelles persistent.
Le 28/02/2013 Mme B redemande à rencontrer le MT. Elle
est à nouveau en arrêt complet depuis le 31/2012,
car sa TA est déstabilisée avec nécessité
d’augmenter le traitement, son syndrome anxiodépressif
s’est aggravé. Elle prend un nouveau traitement :
- Pritor 1/j
- Hypérium 1/J
- Deroxat 1/j
Le MT envisage l’inaptitude mais Mme B refuse, car l’entreprise
où travaille son mari rencontre des difficultés.
Elle informe être convoquée par le Médecin
conseil le 6 mars 2013 avec qui le MT s’entretiendra le
même jour (qui a pris l’initiative ?), une prolongation
des IJ est acceptée.
Le
MT adresse un courrier au MG :
« J’ai revu le 28 février 2013, dans le cadre
d’une visite médicale de pré reprise, madame
B., comptable au cabinet XXXXX, en arrêt maladie depuis
avril 2012 pour un déséquilibre tensionnel ainsi
que des troubles anxiodépressifs, en relation avec une
souffrance psychologique due à ses conditions de travail.
Madame B. a repris le travail à mi-temps depuis le 3 septembre
2012 dans le cadre d’un dispositif de temps partiel thérapeutique.
Elle est actuellement en arrêt de travail complet depuis
la fin décembre 2012, sur votre prescription, pour les
mêmes problèmes liés à son travail
qui n’ont pas été résolus.
A la demande de Mme B., j’avais en effet rencontré
le responsable des bureaux du cabinet XXXXX en juillet dernier,
afin de m’entretenir avec lui de ses conditions de travail
et d’inciter l’employeur à trouver une solution
afin de remédier à son état de souffrance.
Madame B. présente toujours des troubles anxiodépressif
avec angoisses, ruminations en relation avec le travail, troubles
du sommeil ; elle pleure durant l’entretien en évoquant
ses conditions de travail ; je lui trouve une TA à 16/8
lors de l’examen. Elle est actuellement traitée par
vos soins avec PRITOR PLUS, HYPERIUM et DEROXAT. Compte tenu de
son état de souffrance psychologique et de la déstabilisation
de sa TA qui est sans doute en grande partie liée, je pense
que la reprise du travail de madame B. n’est actuellement
pas possible et que son arrêt de travail doit être
prolongé. Avec l’accord de madame B., j’envisage
de faire un nouveau signalement à l’employeur. ».
Il s’ensuit un échange de courrier avec l’employeur
(14/03/2013 et réponse de l’employeur le 20/04/2013).
Une nouvelle visite de pré reprise à la demande
de la salariée a lieu le 13 juin 2013. L’entretien
clinique va porter sur les projets et l’avenir professionnel
de Mme B., notamment des 3 solutions qui se présentent
à elle :
• Soit reprendre son travail en l’état avec
le risque que les troubles de l’état de santé
ne s’aggravent.
• Soit quitter l’emploi actuel, par le biais d’une
inaptitude (pas de nouvelle proposition de travail de la part
de l’employeur), solution qui est récusée
par Mme B. pour les mêmes raisons financières que
lors des entretiens précédents mais aussi pour ne
pas se sentir coupable.
• Soit reprendre le travail en tentant de faire évoluer
les conditions de travail, solution qui obtient l’accord
de Mme B. qui semble très ferme sur sa volonté de
rester dans l’entreprise.
Le
MT propose de rencontrer l’employeur avec Mme B et lui demande
de préparer cet entretien :
• faire des propositions précises à l’employeur
avec demandes d’aménagement du poste devant contribuer
à l’amélioration de ses conditions de travail.
•
Mener un travail de réflexion sur ses besoins concrets,
en termes de formation et d’organisation du travail, afin
de permettre une discussion constructive lors de notre rencontre,
au regard des différents entretiens que nous avons eu depuis
le début de son arrêt de travail.
•
Préparer ensemble cet entretien pour qu’il porte
sur des points précis et constructifs afin que cette rencontre
ne se transforme pas en règlement de comptes.
L’entretien
« tripartite » aura lieu le 25 juin 2013. Un besoin
de formation s’exprimera précisément : à
la fois formation théorique car elle aurait bénéficié
de beaucoup moins d’heures de formation que sa collègue
sur le nouveau logiciel de comptabilité et une aide pratique
et concrète. Ce sera une forme de tutorat assuré
par un stagiaire expert-comptable, présent depuis quelques
mois sur le site où travaille Mme B., de bonne compétence
technique et surtout étranger aux tensions actuelles.
Un courrier de l’employeur au MT viendra formaliser la teneur
des échanges, «…. Pour aller dans votre sens,
j’ai suggéré qu’une formation individualisée
lui soit réservée à notre bureau de la ville
de R. Puis, dans le cadre d’une reprise à plein temps,
j’ai avancé l’idée qu’elle puisse
utiliser chaque semaine des jours de congés, et, ainsi,
avoir l’assurance de reprendre un rythme de travail à
sa guise.
Pour bien faire, nous souhaitons réserver à Mme
B. le meilleur encadrement possible, ce qui ne sera pas possible
en juillet (personnel en congé ou absent pour raison chirurgicale)
ni en août, avec la fermeture du cabinet pour 3 semaines.
En conséquence nous vous proposons de démarrer cette
formation la semaine 36, soit la première semaine Comme
cela a été convenu, j’ai appelé Mme
B. en début d’après-midi pour lui soumettre
cette idée, et lui demander ce qu’elle souhaitait
comme adaptation informatique sur son poste de travail. Sa demande
porte exclusivement sur 2 connexions informatiques réseau,
ce qui sera bien entendu vérifié, si ce n’est
déjà fait. En outre, après sa formation,
je lui ai proposé de revenir travailler les après-midis
avec une amplitude horaire à sa convenance. A priori, elle
s’est montrée favorable à ce schéma
et a compris notre problématique d’organisation ».du
mois de septembre.
Le MT sera en copie du mail confirmant, fin août, à
Mme B cette organisation et sa reprise de travail début
septembre 2013.
Billet
du référent médecine du travail Dr
Gérard Lucas, médecin du travail
Questionnement sur la coopération entre les deux
professions médecine du travail et médecine générale.
Rappel : La préservation de la santé
au travail doit tenir compte de la connaissance de l'entreprise,
du travail réel et du travailler ; elle doit respecter
la santé globale du travailleur, plus accessible par le
médecin généraliste, et sa sphère
privée.
1 - Pourquoi la coopération
entre la médecine du travail et le médecin généraliste
des travailleurs :
• Parce que le médecin
du travail peut avoir besoin de tenir compte de la santé
globale du travailleur dont l'appréhension ne lui est
pas entièrement possible.
• Parce que le médecin généraliste
peut avoir besoin pour l'accompagnement de son patient de connaître
les conditions de travail concrètes qui interagissent
avec sa santé autrement que par ses dires et que par
la connaissance empirique.
• Parce que le travailleur-patient aurait besoin de la
compréhension mutualisée de ces deux interlocuteurs
pour la cohérence de leur accompagnement dans les prescriptions
ou les préconisations d'aménagement de poste ergonomique
ou organisationnel…, a fortiori pour des décisions
d'inaptitude à la demande du salarié.
2 - Risques du manque de coopération
Incongruences des décisions
d'accompagnement par exemple :
• Refus d'une ITT par
un généraliste chez un travailleur qui présente
une atteinte invalidante qui risque de s'aggraver au travail
ou de détériorer le lien à l'environnement
de travail du salarié. (un épisode infectieux,
métabolique, une TMS, une phase dépressive...)
• Pas d'investigation par le médecin du travail
du lien santé au travail d'un salarié dont l'absence
d'aménagement du poste est une entrave à la préservation
de sa santé. (charges physiques, nuisances ou organisation
du travail à RPS…)
• Salariés démunis de réponse cohérente
; position de consommateurs de prescriptions ou d'avis à
court terme, pas forcément synergiques, parfois contradictoires.
Heureusement la plupart des salariés ont un bon sens
et une stratégie solide. Mais des situations de passivité
ne permettent pas la reconquête d'un pouvoir d'agir personnellement
et collectivement. Un salarié peut aussi être dans
la manipulation de la non coopération pour des bénéfices
secondaires en maintenant à la fois l'invisibilité
du travail.
3 - Quelles sont les éléments
attendus de cette coopération ?
• Le médecin du
travail attend la prise en compte par le médecin généraliste
des conditions de travail réelles de l'entreprise du
salarié. Il peut avoir besoin de comprendre l'effet des
choix thérapeutiques sur le travailler du salarié.
• Le médecin traitant peut avoir besoin d'avoir
une confirmation objective du positionnement d'un salarié
dans une entreprise, de la réalité des contraintes
de travail, des potentialités d'insertion, de réinsertion,
de modifications et/ou d'aménagements de postes compatible
avec la préservation et/ou la construction de la santé
de son patient.
4 - Comment ? Quelle formalisation
de ces échanges coopératifs ?
• Établir les
conditions d'une relation de confiance entre le salarié
et les médecins du travail et généraliste.
Dans le colloque singulier avec le patient ou le salarié,
la suggestion d'une coopération confiante est capitale,
(au-delà des rivalités professionnelles !).
• Les échanges écrits sont certainement
indispensables dès qu'il y a enjeu. La pratique de la
lettre au confrère remise ouverte à l'intéressé
travailleur, parce qu'elle lui est opposable, est-elle toujours
possible ?
• Les échanges téléphoniques ou courriellés
entre confrères doivent être demandés et
annoncés.
• Les écrits du médecin du travail doivent
éviter le « jugement » du sujet ou de l'environnement
encadrement de travail. La description et la catégorisation
des éléments du travail qui font difficulté
à la santé devraient être précises
et dépourvus de jugement.
Médecin
généraliste Dr Patrick Dubreil,
région nantaise
1er temps : cas clinique
Il y a beaucoup de non-dit de
la part de la patiente et un jeu de pingpong entre le médecin
du travail (MDT), le médecin généraliste
(MG) et l’employeur. Simone Weil nous dit « le fait
capital n'est pas la souffrance c'est l'humiliation ».
Cette personne a de l'expérience quand l’entreprise
est rachetée. Je note :
- la perte du collectif de travail,
- le fait qu’elle ait moins de formation que sa collègue,
- le retard dans la mise en route du traitement et la rechute
lors du mi-temps thérapeutique
- 6 ans entre les premiers signes et la mise en place d’une
solution au niveau du poste de travail.
Concernant son refus de l'inaptitude, c’est peut-être
qu’elle ne se sent pas inapte et qu’il y a la peur
de la précarité (notion de subordination). On sent
une patiente coriace qui s'accroche à son travail.
La question que je me pose en tant que généraliste
: pourquoi la démission de sa collègue ? Quelle
aide représentait-elle pour madame B ? Quel était
son travail avant ? Qu'est ce qui fait que le travail ait à
ce point changé pour qu'elle soit malade à cause
de son travail ? Pourquoi est-elle passée au travers des
mailles du filet de la prévention ?
2ème temps : réflexion
sur les coopérations
Quand je pose la question suivante à mes patients : «
quand avez-vous vu le MDT ? », ils me répondent :
« jamais ou il y a longtemps. ». Le poids de la démographie
médicale en santé au travail en est certainement
responsable mais le fait est que le salarié se confie plus
souvent au médecin traitant qu'à son médecin
du travail car il l'a choisi.
Quand je leur demande « avez-vous parlé de vos difficultés
au travail à votre MDT ? », la réponse est
«non il m'a pris la tension et fait une analyse d'urine.
». Certains ajoutent « On parle du travail parfois.
». Je constate que certains médecins du travail font
des dépistages de santé publique comme les tests
hémocult : est-ce que les missions du MDT ont changé
?
Dans les cas grave, je communique avec le MDT par téléphone
: j’ai plusieurs exemples une fois pour une femme enceinte
exposée aux solvants, une autre fois pour un cas de violence
au travail chez une salariée dont le mari était
l'employeur ou encore pour un cas de souffrance au travail chez
une salariée d'un service de santé au travail victime
de l'organisation du travail.
Table
ronde et débat :
Questions :
1. Comment le médecin
du travail peut-il faire connaitre au généraliste
le positionnement d'un salarié dans l’entreprise,
la réalité des contraintes de travail, les potentialités
d'insertion, réinsertion, modifications, aménagements
de postes compatible avec la préservation et/ou la construction
de la santé de son patient ?
2. Quelle coopération pour comprendre l'effet des choix
thérapeutiques sur le travailler du salarié ?
3. Quelle formalisation de ces échanges coopératifs
?
4. Quelles conditions d'une relation de confiance entre le salarié
et les médecins du travail et généraliste
?
5. Quels échanges écrits ? La place de la lettre
au confrère remise à l'intéressé
travailleur ? Quelles conditions éthiques pour cela ?
Débat :
MDT :
Il s’agit certainement d’une posture défensive
pour les MDT qui n'étudient pas les conditions de travail.
Certains MG pensent que les MDT peuvent transformer la situation
de travail ce qui n'est pas possible. Il est souvent difficile
de rentrer dans le travail car on peut être instrumentalisé
par le salarié ou par l'employeur. Par exemple : je me
souviens d’un salarié qui avait été
changé de poste pour un problème de compétences
mais le salarié n’avait pas été informé
de la cause de son changement de poste et était en souffrance.
Ce n’est pas au MDT de donner la raison du changement de
poste et ce n’est pas non plus au MG de le dire au salarié,
c’est de la responsabilité de l’employeur.
Le MDT se centre sur le travail et non sur la partie intime du
salarié mais souvent celle-ci peut émerger du fait
de l'émotion. Quand le MDT interroge le MG c’est
pour savoir s’il y a uniquement un problème de santé
au travail ou s’il existe un autre problème.
MG :
Je suis venu car en pratique cette coopération m'intéresse
car vos positionnements sont différents des miens. Chacun
doit contribuer en fonction de son lieu d'exercice. Comment puis-je
faire ? Comment puis-je contribuer ? C'est moins évident
pour les autres spécialistes. On commence à s'y
intéresser. Quand le patient parle de la souffrance et
quand j'évoque qu'il pourrait y avoir un lien avec le travail,
il a l'air étonné. Je lui conseille de prendre rendez-vous
avec son MDT et éventuellement je lui fais un courrier.
Tout passe par le patient. Je pense que le salarié est
en difficulté pour prendre le contact avec le MDT. En lui
donnant des pistes, on l'aide à retrouver son pouvoir d'agir.
Le MG tient compte des difficultés de tous ordres pour
rechercher les causes de la souffrance même si l'on ne le
fait pas toujours. Le MDT reste centré sur le travail et
on peut coopérer pour améliorer les choses. J’ai
constaté qu’après une souffrance au travail,
le salarié ne redeviendra jamais comme avant : il y aura
une perte du plaisir au travail.
DH :
Dans la question des pathologies familiales et des pathologies
des enfants, est-ce que la souffrance au travail des parents pourrait
être une clé de lecture des difficultés de
la famille ? La souffrance a souvent un caractère multifactoriel.
MG :
L'instruction du lien santé travail peut aider à
comprendre. Mais quelles sont les bases de la collaboration et
comment on fait ?
MDT :
Il est difficile de lever les défenses du travailleur.
La coopération entre les 2 professions peut aider à
lever les défenses du salarié-patient
MDT :
Dans certains cas, les employeurs ne proposent rien en termes
d’aménagement du poste de travail quand il y a des
difficultés avec des risques d’inaptitude. Dans le
cas clinique présenté, il y a des propositions.
Dans la fonction publique, tout bouge et on ne sait pas pourquoi
: Danièle LINHART, sociologue directrice de recherche au
CNRS, pense que c'est pour casser les collectifs de travail et
garder les salariés plus adaptables.
MDT
: De plus en plus, beaucoup de salariés assez jeunes n'ont
pas de médecin généraliste. Les MDT sont
soumis à des effectifs non négligeables. Les moyens
à utiliser pour la coopération sont le téléphone
en présence du salarié qui me semble assez porteur.
Je subvertis la fiche d'aptitude avec des conseils écrits
avec l'accord du salarié. Même si les moyens sont
dégradés, on peut agir. Avec la souffrance psychique,
on peut échanger plus facilement avec les MG et même
avec les psychiatres.
MDT
: Quelquefois le MG rédige des certificats de contre-indication
que ne respecte pas le MDT. Cela pollue la confiance entre le
MDT et le salarié qui ordonne au MDT d’exécuter
l'avis du MG. Quand les recommandations du MG ne sont pas applicables
par le MDT, il y a ainsi une perte de confiance car le salarié
dit au MDT « vous êtes aux ordres du patron ».
Je constate que parfois, il y a un empiétement du rôle
du MG sur celui du MDT : le MG peut banaliser certaines contraintes
que ne pourra pas banaliser le MDT.
DH
: La question est que la grille de lecture des contraintes par
le MDT n'est pas la même que celle du MG.
MDT
: Ces coopérations ont un intérêt car le MDT
est confronté à une difficulté d'échanges
avec les MG par courrier car ils n’ont le plus souvent pas
de réponse. J'ai une bonne connaissance du travail mais
je n'ai pas de réponse. Il faut développer cette
relation de confiance. En PACA, l'ordre a mis en place un vadémécum
pour faire connaître le métier de médecin
du travail aux autres spécialités médicales.
MDT
: Je n'ai jamais reçu de lettre de médecin généraliste.
Je donnais une lettre au salarié ouverte mais c'est le
salarié qui faisait le messager ou alors le MG demandait
qu'on l'appelle en présence du salarié pour discuter
à trois. Le MG est choisi par le salarié, le MDT
doit écrire car il n’est pas choisi.
MDT
: La visite de pré reprise est un très bon outil
de coopération entre le MDT et le MG. Le salarié
peut montrer au MG sa conclusion écrite que nous allons
envoyer à l'employeur
MDT
: C’est la confiance qui construit la coopération.
La question de la santé n'est pas non plus une valeur commune.
Le salarié doit récupérer son pouvoir d’agir
: c'est surtout de la santé du patient dont dépend
sa capacité à se prendre en charge ou pas : est-ce
que je dois faire des démarches pour lui ou est-ce qu'il
doit les faire lui-même ? La vignette clinique, c'est l'isolement.
Il faut aider les salariés à sortir de l'isolement
MG
: Je rencontre beaucoup de souffrance en lien avec le travail
nécessitant des consultations longues. Le MG est au paiement
à l'acte mais je prends le temps d'écouter et d'examiner
les patients. La première consultation est importante en
fait. Je pense que c'est le travail qui est malade. Il faut prendre
du temps pour savoir ce qui a fait basculer dans la maladie. Il
faut parfois savoir aussi démédicaliser et rechercher
de l'aide auprès des collègues, des syndicats et
des DP dans un deuxième temps. Je me tourne aussi vers
le médecin inspecteur régional du travail.
2ème
PARTIE Médecine du travail / Consultation de pathologie
professionnelle
Vignette
clinique préparée par les Dr Thérèse
Buret et Alain Randon, médecins du travail
Une maladie professionnelle
par exposition aux solvants
Je reçois madame
L, 30 ans, pour la première fois le 22 janvier 2006 en
visite d’embauche en tant qu’intérimaire affectée
dans l’entreprise D où elle occupe un poste au tri
des invendus depuis 3 mois. En février 2007, elle est recrutée
en CDD par l’entreprise D, puis en août 2007, elle
obtient un CDI. Le poste où elle est affectée dès
février est à l’atelier « Décors
», sur une cabine de peinture de technologie DBM.
Je la revois le 31 juillet 2008 en visite périodique. Dans
ses antécédents professionnels, on retrouve un apprentissage
dans la coiffure de 1992 à1994, puis divers emplois sans
exposition à de risques chimiques particuliers : manutentionnaire,
agent de production, aide à domicile comme garde-malade.
Avant d’intégrer l’entreprise D, elle venait
de subir un licenciement économique en tant qu’employée
dans un magasin de vêtements de 2001 à 2006.
Madame
L est née le 11/08/1976, elle élève seule
son fils né le 14/01/2003. Elle n’a pas d'antécédents
médicaux particuliers.
Concernant son poste de travail, dans son dossier médical
je notais le 31 juillet 2008 :
- préparation des peintures
- installation des pièces à peindre
- mise en carton des pièces peintes
En
fait, la préparation des peintures se fait dans un coin
de l’atelier du local « Décors », mal
ventilé, mal aéré, sans aspiration. Comme
EPI elle n’a que des gants en PVA pour cette opération.
Ensuite, elle installe les objets à peindre (barrettes,
pinces à cheveux…) sur des broches spéciales
qu’elle fixe dans la cabine de peinture. Une fois tout installé,
le programme de mise en peinture automatique peut être lancé.
Les pièces peintes sont ensuite déposées
sur des portants et mises à sécher. Tout se fait
dans le même espace, l’installation des objets à
peindre sur les broches se fait à côté des
supports où sèchent les pièces venant d’être
peintes.
L’analyse des FDS des produits utilisés, en particulier
des peintures, montre qu’elles contiennent du toluène,
du xylène, des éthers de glycol dont l’EGEE,
du méthyl-éthyl-cétone, des résines
époxy et des isocyanates. (Des études d’atmosphère
réalisées ultérieurement montreront que l’exposition
la plus forte aux solvants a lieu dans le local de préparation
des peintures et auprès des « séchoirs »
de pièces.)
Concernant
la clinique, je note dans le dossier :
- Neuro : RAS
- Pulmonaire : aucune plainte, pas de signes fonctionnels dus
à la peinture. (J’avais déjà dû
écarter de ce poste des salariés ayant présenté
des réactions asthmatiformes et attiré l’attention
de l’employeur sur les mauvaises conditions de ventilation
du local)
- Bonne hygiène de vie (alcool=0 tabac=0)
Je
lui prescris un bilan sanguin qu’elle effectue peu de temps
après.
Ce premier bilan du 27 septembre 2008 révèle un
taux de Gamma GT à 135 U/L avec des taux d’ASAT et
d’ALAT normaux. Je fais donc réaliser un deuxième
bilan, en période de non exposition, la machine à
peinture étant arrêtée. Ce bilan montre des
Gamma GT toujours élevées à 126 U/L.
Je
décide donc de l’adresser en consultation de pathologie
professionnelle.
- Je rédige à cet effet un courrier argumenté
sur l’exposition de madame L (FDS, étude de poste)
à l’attention de mes confrères du service,
avec comme question : pensez-vous que cette augmentation des Gamma
GT puisse être liée à son exposition aux solvants
?
-Je reçois madame L pour lui expliquer la démarche
et l’informer sur le déroulement de principe d’une
consultation de pathologie professionnelle, sur le délai
d’attente, sur l’étape préalable du
questionnaire détaillé qu’elle est susceptible
de recevoir par courrier, ou qui lui sera proposé de remplir
sur place, sur l’importance de la collecte de renseignements
autour du travail. Tout ça lui parait un peu compliqué,
mais elle comprend bien que c’est dans son intérêt.
Elle sait qu’il faudra avertir l’employeur, elle est
prête à coopérer. Je lui précise qu’en
cas de besoin elle peut toujours me joindre.
Deux mois plus tard je reçois le compte rendu de la consultation
du 15 décembre 2008 où Il est précisé
:
«
En juillet 2007, Mme L aurait ressenti des maux des maux de têtes
qui évolueraient essentiellement par périodes et
seraient prédominants surtout le soir. Elle aurait ressenti
également des troubles de l’humeur à type
d’irritabilité, et ses proches auraient constaté
ce changement de comportement. Elle manifesterait une asthénie
importante qu’elle constaterait de plus en plus de manière
prégnante et ne semblerait pas rythmée par le travail.
Depuis 2007, elle ressent avoir de plus en plus de troubles de
la mémoire, surtout antérograde. Elle cite notamment
en exemple l’impossibilité de pouvoir retenir la
moitié d’une liste de courses comportant à
peu près 10 objets. De surcroit elle aurait remarqué
récemment une intolérance aux odeurs chimiques de
type eau de javel et ne peut plus actuellement utiliser des produits
chlorés de ce type comme produits ménagers compte
tenu de la gêne qu’elle ressent.
Au total, le Dr B conclu :
« Mme L présente un très probable syndrome
psycho-organique lié aux solvants, débutant, dans
la mesure où on retrouve une symptomatologie associant
une asthénie avec des difficultés de mémoire,
et des troubles de l’humeur de type irritabilité
sans modification importante du caractère, en alternance
avec une tendance au repli sur soi, et ces manifestations ne sont
pas rythmées par le travail, comme il est souvent constaté
dans les syndromes psycho-organiques. Associé à
cette symptomatologie débutante, existerait un syndrome
d’intolérance aux odeurs chimiques essentiellement
marqué par l’intolérance aux odeurs chlorées.
Cette symptomatologie clinique est associée à une
augmentation anormale des taux de Gamma GT traduisant très
probablement l’induction enzymatique chronique réalisée
par une forte exposition professionnelle à des solvants
inhalés. En l’absence d’induction enzymatique
médicamenteuse, il est très probable que cette induction
enzymatique soit d’origine professionnelle. »
Le
10 février 2009 je revois Mme L. Je reprends avec elle
sa symptomatologie, et elle m’explique qu’elle n’avait
pas jugé important de m’en parler car, pour elle,
cela n’avait rien à voir avec le travail, ni avec
les solvants qu’elle manipulait. Je dois alors admettre
que je ne l’avais pas interrogée de façon
approfondie sur le sujet. Je ne recherchais pas cette pathologie
à l’époque, je me focalisais plutôt
sur les problèmes respiratoires et allergiques. En effet,
en 2006, j’avais dû déclarer une maladie professionnelle
aux solvants, pour un syndrome ébrieux aigu, survenu chez
une salariée de la même entreprise qui était
restée toute une journée à travailler juste
à côté d’un grand nombre de portants
avec des pièces en train de sécher, sans aucune
ventilation.
Mme
L est assez inquiète et en accord avec elle, je demande
un poste sans exposition aux solvants. Elle sera aussitôt
mutée au poste de préparatrice de commandes.
Il faut cependant noter que Mme L, instruite des effets de la
peinture sur la santé, a relaté ses problèmes
au sein de l’entreprise, expliquant qu’une déclaration
de MP était envisagée par le médecin du travail.
(Entre parenthèses, ce n’est qu’en 2010, que
le PDG a enfin consenti à faire des travaux d’aspiration
et de ventilation dans l’atelier décor, après
plusieurs échanges oraux et écrits entre nous, accompagnés
d’une étude d’atmosphère réalisée
par le pôle toxicologique du service de santé au
travail.)
Le
24 mars 2009, le Pr H voyait Mme L en consultation, après
un bilan Le 24 mars 2009, le Pr H voyait Mme L en consultation,
après un bilan neuropsychologique pratiqué le 11
mars 2009, en vue d’une déclaration en MP, alors
qu’elle n’était plus vraiment exposée
aux solvants depuis octobre 2008.
Le Pr H concluait : « Depuis le mois d’octobre, Mme
L a été soustraite de cette exposition. Sa fatigue
qui était permanente s’est maintenant améliorée…
elle se couche à 22H alors qu’elle était contrainte
auparavant de se coucher à 20H30… il existe un déficit
de la mémoire immédiate et de la mémoire
de travail probablement en rapport avec quelques difficultés
attentionnelles. Ces troubles isolés sont maintenant devenus
tout à fait limites pour affirmer un syndrome psycho organique.
»
Malgré
la régression de la symptomatologie, le 20 juillet 2009
j’ai tout de même fait un certificat de MP pour avoir
une trace dans le dossier et pour marquer le coup vis à
vis de l’entreprise. Cette maladie a été refusée
le 16 février 2010 par la Sécurité Sociale.
Le
10 mai 2010, je revois Mme L en visite de reprise, après
un accident de travail, une tendinite droite de Quervain en tirant
sur un carton. Ses douleurs sont encore importantes, elle ne peut
pas reprendre, mais elle accepte que je l’adresse à
nouveau en neurologie pour faire le bilan de sa pathologie liée
aux solvants.
Le 16 juin 2010, elle reprend le travail sur un poste aménagé
sans manutention lourde.
Je
reçois le compte rendu du Pr H fin juin, il précise
: « La fatigue a disparu, elle signale encore de petites
difficultés mnésiques. Le déficit de la mémoire
à court terme verbal reste inférieur aux normes
mais s’améliore. La mémoire épisodique
est satisfaisante et les ressources attentionnelles sont aussi
plus performantes. » Le 6 septembre 2010, son poignet présente
encore quelques douleurs séquellaires, mais elle n’a
pas de problème au travail, elle est contente d’avoir
été écartée des postes exposés
aux solvants.
Le 9 février 2012, je la revois en visite de reprise après
un arrêt de travail d'un mois pour dépression, suite
à une grosse surcharge de travail. Elle me signale qu’elle
est très inquiète car elle est convoquée
le 14 février suite «aux faits qui lui sont reprochés».
Elle ne sait pas à quel sujet…Je n’ai plus
de nouvelles alors qu’elle m’avait dit qu’elle
me tiendrait au courant. Je l’ai appelée quelques
mois plus tard pour avoir de ses nouvelles et suis tombée
sur son répondeur. Elle m’a à son tour laissé
un message pour me dire qu’elle allait beaucoup mieux depuis
qu’elle avait quitté l’entreprise et que pour
elle la page était tournée. Je n’ai pas pu,
ni eu l’occasion de voir avec elle les liens entre ses pathologies
successives et le travail
A
posteriori, je me suis demandé si je n’étais
pas passée à côté de quelque chose,
alors que j’étais focalisée sur sa pathologie
liée aux solvants.
Billet
du référent médecine du travail,
Mireille Chevalier, médecin du travail
C’est le plus souvent à
la demande du médecin du travail, que le salarié
va en consultation de pathologie professionnelle. Le médecin
du travail peut avoir besoin de l’appui du consultant pour
arriver à finaliser un diagnostic difficile, pour conforter
son point de vue clinique ou pour avoir un avis complémentaire
et argumenté sur une décision d’aptitude difficile
à prendre.
Le médecin du travail
doit rechercher l’adhésion du salarié, et
doit donc exposer clairement à ce dernier les raisons qui
nécessitent le recours à la consultation de pathologie
professionnelle. C’est de cette façon que le salarié
pourra aborder de façon constructive la relation avec le
consultant et apporter toute sa connaissance de son travail, de
sa pathologie et tous les éléments de son ressenti.
Le rendez-vous de consultation
de pathologie professionnelle passe par un écrit motivé
de la part du médecin du travail pour expliquer la problématique
et ce qu’il attend de l’aide de son confrère.
Il va donc s’attacher à résumer l’histoire
de la problématique, la symptomatologie, les résultats
des examens déjà pratiqués et les actions
déjà entreprises.
Mais cet écrit doit permettre
également de faire comprendre au consultant les enjeux
que vit le salarié dans son travail et qui constituent
des éléments de compréhension indispensables
pour l’analyse du lien santé travail.
Ce courrier peut également
servir de point d’étape pour le salarié, avant
d’aborder le point de vue d’un autre professionnel.
Ce dernier aura en effet besoin des informations venant du médecin
du travail comme du salarié pour appréhender le
travail, son contexte, son organisation, et qui font toute la
différence avec le travail théorique.
Cette coopération entre
professionnels de santé au travail doit pouvoir se construire
et s’améliorer dans l’intérêt
du patient salarié.
Consultante
de pathologie professionnelle Dr Mireille Matrat
maître de conférences et consultante à la
consultation de pathologie professionnelle du CHI de Créteil
Le texte de l’intervention et des apports
lors des débats sont en attente de validation par son auteure
Pourquoi solliciter une consultation de pathologie
professionnelle ?
Pour quel apport ?
Cette consultation fonctionne en collaboration avec le médecin
du travail
Table
ronde et débat :
Questions :
1 Comment favoriser les échanges
entre médecins ?
2 De quoi peut avoir besoin le consultant ?
3 Qu’attend le médecin du travail de l’aide
du consultant ?
4 Comment garder le salarié au centre des échanges
en toute confiance et avec sa participation active ?
5 Jusqu’où peuvent se faire les transmissions du
médecin du travail en respectant le secret professionnel
?
6 Jusqu’où peut aller le consultant sans usurper
le rôle du médecin du travail ?
7 Quels apports mutuels pour les deux spécialistes ?
Débat :
DH
: Au cœur des pratiques médicales, il y a des pratiques
cliniques avec la centralité du travail et la centralité
du sujet au travail. Quel est le moteur de la coopération
entre les 2 spécialités MDT et spécialiste
de la consultation de pathologie professionnelle (MPP) ?
MDT
: La relation MDT et MPP est inversée. Parfois, le salarié
est adressé à la consultation de pathologie professionnelle
par son MG et le MPP adresse le salarié au MDT avec le
compte rendu de la consultation. Cela m’est arrivé
dans un cas de souffrance au travail, c’est ce qui a permis
au salarié de quitter l'entreprise.
MPP
: Le 1/3 des consultations est demandé par les MDT et le
reste par les MG ou les médecins spécialistes de
l'hôpital. Le MPP oriente ensuite toujours le salarié
vers le MDT. Il y a alors une coopération entre les 2 praticiens.
MDT
: C'est un des rares cas ou le MDT est prescripteur d'une consultation
ce qui n’est pas toujours le cas pour les collaborations
avec autres spécialistes. La caractéristique du
MPP c’est qu’il verra une ou deux fois le salarié.
Le risque pour le MPP est de faire une recherche de diagnostic
qui ne serait pas documentée par l’analyse du MDT.
Le pivot dans cette consultation, c'est le patient, c’est
ce qu'il a pu comprendre quand il vient à la consultation.
Le travail clinique des deux praticiens, le MPP et le MDT, est
essentiel et le patient est au milieu de tout ça et s’il
n’est que passif, s’il n'est que le témoin
d'un échange de courrier entre deux médecins et
s’il n'a rien élaboré de ce qui lui arrive
au motif qu’il présente les symptômes d’une
intoxication, il ne pourra pas restituer sa compréhension
du problème de travail au spécialiste. C'est le
salarié qui peut aider ou pas le MPP en expliquant son
histoire pour permettre à ce praticien de faire sa propre
analyse.
DH
: Dans ces coopérations, ce médecin consultant est
médecin sapiteur ou médecin Co décideur ?
J’ai entendu qu’il y avait des décisions collectives.
MDT
et MPP : quand la question est par rapport au diagnostic, on instruit
et on donne une réponse collégiale. La consultation
est souvent demandée pour faire une déclaration
de maladie professionnelle (MP) ou d'inaptitude sans être
toujours explicitée au salarié.
MDT
: J'entends le MPP qui se substituerait au MDT ? J’ai entendu
dire que certains MDT seraient embarrassés à l’idée
socialement de prononcer certaines décisions alors qu’ils
connaissent la réponse.
MPP
: Je le vois plutôt pour conforter l'avis du MDT. Il n'est
pas question de faire à la place du MDT.
MDT
: Quand je demande une consultation de pathologie professionnelle,
c'est pour avoir un avis d'un expert pour étayer un diagnostic
ou un aménagement de poste. La déclaration de maladie
professionnelle est légitime et donne une visibilité
sociale. Il y a des circonstances où il est préférable
que ce soit à un médecin externe de faire la déclaration
de MP. La question que je me pose : est-ce qu'on victimise la
personne quand on fait une déclaration de MP ? Est-ce que
c'est un obstacle à la compréhension de sa situation
par le salarié et un obstacle pour son parcours professionnel
? Est-ce que c’est mettre une étiquette sur une personne
quand on fait cette déclaration ?
MDT et MPP
(consultation de souffrance au travail du CHU de Tours) : J’entends
que le MPP se substituerait au MDT. La question que je pose c’est
: est-ce que ça voudrait dire que le MDT ne pourrait pas
s’autoriser à faire de déclaration de MP ou
quelque part il faut qu’il envoie son salarié à
la consultation de pathologie professionnelle pour s’autoriser
cela ? J’ai parfois l’impression que c’est ça.
MDT
: Je ne suis pas sûr qu’il se substitue au MDT. Je
ne me dédouane pas mais si je fais cette demande c’est
que j’ai besoin d’un avis complémentaire pour
étayer une inaptitude ou pour faire une déclaration
de maladie professionnelle.
MDT
: On est là pour juger de la problématique de la
personne par rapport au poste de travail. On ne va pas le mettre
inapte parce qu’il y a de la pression dans l’entreprise.
Dans le cas d’un asthme professionnel, parfois il n’y
a pas d’alternative et le salarié ne veut pas quitter
son poste et quand on a des difficultés à trouver
des solutions d’aménagement, on envoie à la
consultation de pathologie professionnelle pour étayer
et trouver des arguments supplémentaires.
DH :
Le MDT prend l’avis éclairé du sapiteur qui
donne un écrit. Le MDT, il sait ce qu'il va faire. Il peut
demander l'avis de l'expert pour une couverture juridique.
MDT
: Cette question pose la question du collectif du travail des
MDT, de la pratique de pairs et de l'isolement des MDT. Il faut
surtout partager avec les pairs pour s'aider quand on rencontre
des difficultés pour traiter un cas difficile.
DH
: Est-ce que dans un cas difficile, tu as envoyé un salarié
à un collègue MDT de ton propre service pour avis
?
MDT
: Oui quelquefois. Je connais bien mes entreprises et je connais
certains aspects du poste car je vais souvent dans l’entreprise
mais les postes de travail évoluent parfois, les collectifs
de travail changent. Ce que je fais souvent c’est que j'appelle
le MPP devant le salarié et nous avons des échanges
très riches. De même j’écris souvent
au médecin conseil de la CPAM qui est le grand absent de
cette journée car c’est avec lui que j’ai le
plus d’échanges.
MPP
: On ne va pas dans l'entreprise et on ne connaît pas le
poste. On répond beaucoup au téléphone et
aux mails des confrères.
MIRT
: un MDT a besoin d’échanger avec quelqu'un d'autre
mais l'idée de DH d'adresser un salarié par un écrit
à un autre MDT : ce n'est pas prévu par la règlementation
car on a un MDT par salarié. Par contre la coopération
entre pairs est essentielle.
DH
: Un confrère peut envoyer un salarié pour avis
à un autre MDT mais pas pour prendre une décision
à sa place et cela est autorisé par la réglementation.
Le confrère MDT doit répondre par écrit au
médecin du travail adressant qui prendra la décision.
MG :
Par rapport au cas clinique, est-ce qu'il s'agit d'une maladie
d'un tableau ? Si j’envoie au MPP c’est pour savoir
quels sont les risques à long terme ? Y a-t-il un risque
de cancer ? Car c’est le MG qui assure le suivi post professionnel
quand les salariés partent à la retraite.
MDT :
Le MDT ne voit plus le salarié quand il quitte le travail
et c'est le MG qui va alors faire ce suivi. Avant de classer le
dossier de médecine du travail aux archives, les MDT devraient
parcourir attentivement le dossier médical de leurs salariés
qui vont partir à la retraite pour faire le point sur leurs
expositions professionnelles et faire un courrier, remis au salarié,
pour son MG pour son suivi post professionnel. Ce n’est
pas prévu par la réglementation mais on a le droit
d’inventer des pratiques dans l’intérêt
de la santé des salariés. Il y a un devoir de coopération
par le biais des salariés avec le MG et c’est de
notre responsabilité de médecin.
MDT :
Je suis frappé de l’interprétation du cas
clinique qui me semble exemplaire. On peut avoir une encéphalopathie
liée à l’exposition aux solvants et qui disparait
après le retrait de l’exposition, la déclaration
de maladie professionnelle est justifiée. La question de
l’IPP de 25 % pour déclarer une maladie professionnelle
est une monstruosité. La question du tableau c’est
aussi une limite. La question à se poser c’est que
les règles administratives, les repères qui sont
figés prennent parfois le dessus sur la clinique médicale
du travail.
DH
: Il y a à la fois des règles de métier à
développer chez les MPP et chez les MDT. Et la question
aussi c’est comment je peux coopérer avec les médecins
conseils car il y a souvent des alternatives par rapport aux déclarations.
La consultation de pathologie professionnelle est un lieu de conseils
et d’informations de sachant. La question à se poser
pour les médecins qui envoient les salariés à
cette consultation c’est quelles sont les connaissances
dont j’aurai besoin et pourquoi ?
On doit placer le salarié au centre car il s’agit
d’une consultation médicale : dans cette vignette
clinique, on a des vraies questions en toxicologie, mais il y
a aussi un problème de désorganisation de travail
; on peut alors se tromper dans le diagnostic. Quand on rentre
dans une médecine ultra spécialisée et que
le salarié n’est plus au centre cela peut arriver.
3eme
PARTIE : MEDECINE DU TRAVAIL / RHUMATOLOGIE
Vignette
clinique préparée par les Dr Odette
Tencer et Alain Grossetête, médecins du travail
Viviane,
47 ans, a été embauchée à 17 ans après
un CAP de commis vendeuse en quincaillerie, comme magasinière
et cariste dans l’établissement actuel d’un
gros dépôt régional de colis. Le travail au
magasin est très physique : les livraisons se font chaque
matin, les colis arrivent en vrac ou sur palette. Chaque gros
carton est à ouvrir pour faire la préparation de
commandes des succursales. La préparation se fait sur des
tables, mais du fait du volume des livraisons, il faut mettre
un maximum de colis sur des racks, déplacer les colis à
la main ou les palettes avant de parvenir au carton dont il faut
prélever des boîtes pour composer la commande. Et
l’encombrement est tel que l’emploi du chariot élévateur
est limité au déchargement des poids lourds. Les
tire-palettes ne disposent pas toujours de la place suffisante
pour pouvoir être utilisés. Elle a trois enfants
entre 1991 et 2000, le dernier avec césarienne. Viviane
présente un premier arrêt en 2001 pour altercation
avec son chef, un autre de deux mois pour une entorse cervicale
en 2005 avec signes de NCB droite lors d’un AVP et en 2007,
un arrêt de 4 mois pour une déchirure musculaire
à la cuisse D ; enfin un épisode de dépression
professionnelle, sur fond d’altercation avec le chef magasinier,
avec arrêt de 2 mois en 2009.
En
décembre 2012 Viviane est en arrêt pour douleur de
l’épaule G non calmée par les anti-inflammatoires.
Elle présente une HTA avec un début de traitement.
A partir de janvier 2013 elle commence une très longue
période d’arrêt.
Le 26 avril 2013 elle est vue en visite de reprise de travail
après 4 mois d’arrêt pour une tendinopathie
de la coiffe des rotateurs de l’épaule G. Elle apporte
au médecin du travail tous les documents médicaux
en sa possession. Malgré la kiné et 2 infiltrations
au niveau de la face externe de l’épaule, elle conserve
une douleur à ce niveau. Son généraliste
devant la persistance de celle-ci et d’une gêne à
l’élévation de sa main G, l’adresse
au rhumatologue en avril 2013. La patiente a apporté au
médecin du travail le double du courrier que le rhumatologue
a destiné au généraliste.
Il indique que l’examen des radiographies objective, outre
une tendinite calcifiante, l’existence d’une lésion
du sous-scapulaire, à l’origine des douleurs en antépulsion
et abduction de l’épaule.
Le courrier du rhumatologue au généraliste se poursuit
ainsi : « il se pose le problème de la conduite à
tenir, je pense que l’on peut proposer une reprise à
mi-temps thérapeutique. Mais j’aimerais que la patiente
puisse être vue par un chirurgien spécialiste de
l’épaule pour être sûr que la reprise
du travail ne soit pas préjudiciable à la guérison
de la rupture de la coiffe qu’elle présente. C’est
pourquoi je lui demande de vous consulter pour prévoir
un tel rendez-vous chez le chirurgien spécialiste de l’épaule
». Elle est déclarée à sa visite de
reprise du travail inapte temporairement en date du 26 avril 2013
et sera revue après avis spécialisé.
Le
courrier du 17 juin 2013 du chirurgien au rhumatologue indique
que l’IRM montre « une tendinopathie de la coiffe
des rotateurs G sans rupture, avec un bec acromial agressif et
une arthropathie acromio-claviculaire ». Une acromioplastie
et résection minime de la clavicule sous arthroscopie est
décidée en Août. « 6 mois d’arrêt
de travail post-opératoire sont à prévoir
suivis d’une consolidation avec séquelle »
poursuit le courrier du chirurgien. Une RQTH est demandée
et la reconnaissance au titre de la MP n°57 A est refusée
puis l’avis du C2RMP demandé est négatif dans
sa conclusion rendue le 2 mai 2014.
Le chirurgien écrit le 5 novembre au rhumatologue : «
je revois la patiente à trois mois d’une réparation
des tendons de la coiffe des rotateurs de l’épaule
G sous arthroscopie. L’évolution est favorable avec
récupération progressive de ses amplitudes articulaires
avec peu de douleurs. Elle poursuit ses exercices d’auto-mobilisation
jusqu’à récupération complète
des amplitudes articulaires.
Elle souffre des mêmes symptômes au niveau de son
épaule D, pour laquelle j’engage des examens à
l’issue desquels je la reverrai. Je prolonge son arrêt
pour l’épaule G jusqu’au 28 février
2014. »
Puis le chirurgien adresse un courrier le 27 janvier au généraliste
: l’IRM confirme à l’épaule D, une rupture
transfixiante du tendon sus-épineux associée à
un conflit sous-acromial et à une arthrose acromio-claviculaire.
Le 5 février 2014 une déclaration 57A pour tendinite
de l’épaule droite est faite par le généraliste.
Le 7 mars 2014, est réalisée à D une réparation
des tendons sus et sous-épineux avec acromioplastie et
résection du bord externe de la clavicule, ténotomie
juxta-glénoïdienne du biceps sans ténodèse.
Dans le compte rendu opératoire, le chirurgien prévoit
un arrêt de travail entre 3 et 6 mois « selon l’activité
professionnelle ». Il mentionne enfin qu’« une
consolidation avec séquelles est prévue à
un an post-opératoire. En cas de séquelles ne permettant
pas la reprise de l’activité professionnelle antérieure,
une orientation et adaptation professionnelle doit être
envisagée avec le médecin du travail dès
le sixième mois post-opératoire ».
Un
courrier du chirurgien au médecin traitant est adressé
le 10 juin : « l’évolution est progressivement
favorable avec récupération des amplitudes articulaires
et de moins en moins de douleurs. » (Votre patiente) «
pourra reprendre une activité professionnelle à
mi-temps thérapeutique sans activité manuelle bras
en l’air à partir du 1/10/2014 et ce jusqu’à
la date anniversaire de son intervention. »
Le
7 août le C2RMP émet un avis défavorable à
la reconnaissance de la prise en charge au titre de la MP son
épaule D.
Le 24 septembre 2014 sur demande du médecin conseil, Viviane
passe sa visite de pré-reprise à la demande du médecin
conseil. Elle conserve des douleurs et relève encore du
soin.
L’arrêt se prolongeant, le médecin-conseil
fixe une reprise au 15/02/2015. La pré-reprise est organisée
1 ou 2 jours avant avec le médecin du travail qui se montre
sceptique sur sa capacité à reprendre le travail
et l’indique dans un courrier au Médecin conseil.
Celui-ci fixe alors une nouvelle date de consolidation au 15 mars.
A la visite de reprise du travail, VIVIANE apporte un courrier
du chirurgien daté du 3 mars. Il fait état d’un
bon résultat aux deux épaules. Il précise
même au médecin du travail que sa patiente lui «
a décrit en détail son activité professionnelle
» et qu’il n’émet « aucune contre-indication
à la reprise de son métier ». La consolidation
est prononcée le 15 mars.
Entre
temps, VIVIANE change de médecin du travail. Celui-ci entre
en contact avec la salariée le 1/4/2015 et organise une
visite du poste le 11/04/2015 car il ne connaît pas l’entreprise.
Le médecin du travail reçoit alors Viviane. Elle
a 46 ans, est obèse et en paraît au moins 10 de plus.
Elle indique sa lassitude au nouveau médecin du travail
et dit qu’elle est usée. Toute sa carrière
s’est déroulée dans cette entreprise. Ses
épaules n’ont pas été reconnues en
MP et pourtant dit-elle, ce n’est pas dans sa cuisine qu’elle
les a abîmées ! Néanmoins, elle n’a
pas le choix : elle veut retravailler et retrouver son poste.
La visite du poste avec le nouveau médecin du travail permet
à Viviane de le vérifier : la reprise au poste de
travail paraît tout à fait possible sans aucune restriction
car l’organisation du travail a totalement changé
en deux ans depuis son arrêt en décembre 2012. VIVIANE
découvre les nouveaux locaux. Le magasin est vaste et organisé
en lignes de préparation. Il y a de la manutention entre
table de préparation et convoyeur mais Il n’y a plus
aucune situation handicapante identifiée. Un avis d’aptitude
au poste est prononcé.
Pourtant elle sera licenciée dès son retour en mars
2015.
[1]L’entreprise
a été rachetée fin 2013 par un grand groupe
Billet
du référent Médecine du travail : Dr
Alain Grossetête, médecin du travail
Voici un commentaire sur la
vignette présentée.
Il s’agit de la description
d’un drame qui se déploie en 3 ans. Il y a une atteinte
au travail, un long épisode de soin et une guérison.
Mais elle perd son emploi à sa reprise de travail. Il est
possible d’analyser la perte d’emploi de VIVIANE en
lien avec la longueur de son arrêt de travail, comme étant
un cas très fréquent. Que s’est-il passé
? Pendant 20 ans VIVIANE « passe la VM » périodique
et vraisemblablement n’émet aucune plainte auprès
du médecin du travail. Elle est interrogée lors
de sa VRT. Pourquoi n’y a-t-il rien pendant ces 20 ans dans
le DMST ? La réponse est probablement que Viviane ne se
plaignait de rien. Elle « faisait aller ». Elle déplace
jusqu’à son arrêt environ 1,8T au quotidien.
Elle dépanne ses collègues femmes et les protège
vis-à-vis du chef qui lui parle mal et le harcèle,
en lui tenant tête. Elle se rebiffe contre ce qu’elle
présente comme un magasin rangé tout n’importe
comment, et le conflit sur la façon de faire le travail,
faute d’aboutir, devient un conflit interpersonnel avec
son chef qui parvient à la fragiliser et à la déstabiliser.
Pendant son arrêt elle a été vue 5 fois par
un médecin du travail, soit en pré-reprise à
l’initiative du MC, soit en VRT. Mais en même temps
peut-on dire que son arrêt de travail a été
mis à profit pour préparer son retour ? Il n’y
a pas eu d’accompagnement. Ce retour, le croit-elle possible
? On peut en douter.
Viviane durant son arrêt de plus de 2ans, apparaît
totalement en rupture avec son ancien travail. Elle n’y
croit plus Elle sait simplement que son entreprise a déménagé
et découvre les lieux au jour de sa visite de poste quelques
jours après sa visite de reprise du travail à l’issue
de laquelle elle est déclarée apte.
Rhumatologue
: Pr Y MAUGARS, CHU de Nantes
Il n'y a pas eu de prise en charge
optimale de cette salariée avec un très long arrêt.
Et si on ajoute les relations conflictuelles avec son chef, on
obtient une chronicisation de ce tableau clinique.
Cette vignette fait appel à des concepts rhumatologiques
anciens. La tendinite calcifiante n'existe pas, une tendinite
ne se calcifie pas : c'est en fait un rhumatisme à apatite
dont les localisations au niveau de l’épaule sont
fréquentes (prévalence de 3 à 5% chez la
femme), et sans rapport direct avec l’activité physique
(pas plus de calcifications chez les travailleurs manuels ou les
sportifs avec prédominance féminine, pas plus de
calcifications du côté dominant, début des
symptômes chez des sujets jeunes). Le caractère familial
et donc génétique est important. Ces calcifications
grossissent progressivement jusqu’à devenir symptomatiques
(taille « critique » > 15 mm), soit de manière
mécanique comme un conflit sous-acromial chronique classique,
soit de manière inflammatoire comme un rhumatisme microcristallin,
avec des accès extrêmement aigus comme l’épaule
aigue hyperalgique, avec résorption possible de la calcification
à ce moment-là.
Il y a de plus une arthrose acromio claviculaire. Il est parfois
difficile dans la chronicité de faire la part des choses
entre la responsabilité de la coiffe et celle de l’acromio-claviculaire.
Celle-ci ne doit pas être opérée. Par contre
l’évolution favorable à terme plaide en faveur
d’une pathologie microcristalline de la coiffe.
Pour le traitement du rhumatisme à apatite on peut proposer,
si la douleur résiste aux traitements habituels, de retirer
la calcification par grattage et lavage par ponction-aspiration
radioguidée ou sous arthroscopie. La récupération
sera souvent excellente comme pour la patiente, car il n’y
a que peu de rupture de coiffe associée.
Une réflexion par rapport au cas clinique dans ses aspects
bio-psycho-sociaux : Il s’agit d’une observation riche
sur le plan psycho-social. Ce que l’on attend des médecins
du travail, comme des spécialistes, c'est une compétence
spécifique sur laquelle le patient pourra se reposer en
toute confiance.
Table
ronde et débats
Question.
1. Comment le médecin
du travail pourrait-il prendre appui avec la clinique médicale
du travail dans sa coopération avec un spécialiste
engagé dans la question du soin ?
2. Comment le médecin du travail peut-il se placer dans
une posture de soin, « se mettre dans le soin »
avec un rhumatologue ? (au sens de sa contribution à
la guérison du salarié-patient, en l’aidant
à préparer son retour au travail)
3. Comment construire une posture de médecin du travail
vis-à-vis d’une posture de spécialiste «
traitant », dont l’effort est tourné vers
le soin ? Comment se faire accepter, en étant contributif
?
4. Qu’est-ce qui pourrait émerger d’une coopération
où le travail serait traité pour ce qu’il
contribue à la construction de la santé ?
5. Quels risques pour la coopération avec le rhumatologue
quand le travail n’est pas exploré ?
Débat :
MDT :
Est-ce que le refus de la reconnaissance de la maladie professionnelle
a été contesté ? Réflexion intéressante
du confrère rhumatologue (PYM). Ce rhumatisme n'est-il
pas aggravé par les conditions de travail difficiles ?
PYM : Dans la genèse
de la calcification, il n'y a pas de rôle de l'activité
mécanique. Par contre le travail mécanique augmente
les douleurs.
MDT :
Je fais le parallèle avec l'amiante et le tabac. Il n’y
a pas de reconnaissance de la MP si le salarié fume. Pourrait-on
être moins tranché dans les conclusions ?
MIRT
: Si on coopère avec le rhumatologue sur la pathogénie,
il faut que chacun soit dans sa spécialité. Si vous
teniez ce même discours sur la pathogénie devant
le médecin conseil, il pourrait vous suivre et ne pas reconnaître
la maladie professionnelle, alors que le salarié, «
sait » que sa pathologie est due au travail, et son médecin
du travail avec lui.
DH
: la détection clinique des travailleurs sentinelles, les
plus fragiles, permet au médecin du travail d'intervenir
pour faire de la veille pour les collectifs de travail. C'est
un débat sans fin sur les maladies professionnelles et
les VLE, qui devraient protéger tous les salariés
et non pas seulement 95 % d’entre eux. Pour la prévention
collective il faut privilégier les salariés sentinelles.
PYM
: 30 à 35 % de déchirures tendineuses se produisent
sans douleurs dans la population standard : c’est un aspect
dégénératif. Attention aux images ! Pour
les tendons, des gènes ont été identifiés
et on pourra bientôt, de façon prédictive,
indiquer au patient s’il présentera un risque plus
élevé de lésions tendineuses.
PYM
: Si la douleur persiste et tend à la chronicité,
il faut que tous les spécialistes travaillent ensemble.
Par exemple les sciatiques sont un gros problème avec des
mauvaises prises en charge. A Nantes depuis 6 mois, on les prend
en charge précocement : dès qu'une sciatique dure
plus de 3 à 4 semaines, le salarié est orienté
vers l'hôpital de jour et c'est le MG qui est au centre
du système. Il y a un staff pluridisciplinaire comprenant
également le médecin du travail (en fait c’est
le MPP). Le travail est donc également pris en compte.
MG :
Dans mon expérience ce qui me frappe, c’est le coût.
Je prends l’exemple d’un chauffeur poids lourds pour
qui j'ai fait un diagnostic de maladie professionnelle avec une
consultation de rhumatologue et une IRM ce qui représente
un coût considérable. Il faut freiner l’inflation
d’examens et peut être faut-il redonner la parole
au salarié, reconnaître ce que dit le patient. Ce
qui manque dans cette vignette clinique c'est la parole de Viviane.
Viviane est muette !
PYM
: Les rhumatologues ont été jugés en concurrence
avec les radiologues quand ils se sont approprié l'échographie,
qui est un aussi bon examen que l'IRM en terme de diagnostic.
Mais je suis d'accord qu'il faut aller vers la simplification
et pas dans l'inflation d'imagerie.
MDT
: J'ai pratiqué avec les 2 rédactions successives
du tableau 57 : on est obligé de faire l’IRM sinon
la maladie professionnelle n’est pas reconnue et on est
obligé de quantifier le temps passé les bras en
l’air alors que l’on ne tient pas compte de l'intensification
du travail.
MDT :
Dans l'investigation de la vignette clinique, il manque des éléments
sur le travail. J'ai déclaré beaucoup de maladies
professionnelles et parfois il faut y aller doucement sinon on
est marqué au fer rouge. Aujourd’hui, on est débordé
et on voit parfois les salariés tous les 4 ans donc on
perd beaucoup d'informations sur le travail du fait de ces délais.
L'essentiel du problème c'est le travail en tension et
non pas seulement les contraintes du travail en elles-mêmes.
Vous, rhumatologues, vous voyez les gens en bout de course.
PYM
: On connaît ces problèmes de démographie
des médecins du travail mais il faut aussi faire ce que
vous faites : des aménagements de poste. Dès qu'il
y a une tendinite, il faudrait pouvoir travailler en équipe
pluridisciplinaire. Cette coopération est compliquée
mais serait plus efficace.
MDT :
J’ai une clientèle très diversifiée
dans ma région de Dijon. Il y a des généralistes
proches mais les spécialistes sont à 20 km. L'accès
au spécialiste passe par le MG mais j’essaie «
d'être dans la boucle ». On est parfois informé
de l'arrêt du salarié et je lui propose alors de
venir me voir même s’il est en arrêt. Ce n’est
pas une obligation mais cela permet de faire de la prévention
de la désinsertion professionnelle et c’est ce que
l’on nous demande de faire aussi.
MDT :
Dans l'équipe pluridisciplinaire de ma ville, j'ai l'impression
qu'on est autour d'un dossier et qu'il manque la parole du salarié
pour entendre ce qu'il a dire de son travail, sinon on va dans
l’impasse si on ne traite que le dossier et l'imagerie :
il faut que ce soit le salarié qui soit au centre mais
pas le dossier.
MDT
: Dans la vignette clinique présentée il n'y figure
pratiquement pas l'exploration du travail. La grille de lecture
de la clinique de Viviane à partir de son travail n’est
pas facile à reconstituer. Je pense que si on veut construire
de nouvelles pratiques, le MDT a quelque chose à dire à
partir des hypothèses qu’il soumet entre l’atteinte
et le lien avec le travail. La pathologie décrite a pu
être peut être bien supportée ou mal supportée
par le patient. D’autre part, rien n’est mentionné
sur l’état de son collectif de travail : L’a-t-il
aidé, ou enfoncé ? on ne sait pas non plus s'il
y a des DP, et un CHSCT après le rachat par un grand groupe.
Mais très probablement, On est sur un constat d’individualisation
du travail. Le collectif est absent.
MDT
: Il ne faut pas oublier les « fondamentaux » de nos
pratiques de médecin du travail. Le MDT est un médecin
de prévention. Quand il y a une pathologie professionnelle
qui apparait dans une entreprise, il faut que tout soit mis en
œuvre pour qu’il n’y en ait pas une autre, et
cela nécessite un travail collectif au niveau de l’entreprise
avec la participation de l’employeur, des DP et du CHSCT.
MDT
: Les actions pluridisciplinaires n'ont pas été
décrites dans la vignette clinique. Qu’est-ce qui
a été préconisé : un arrêt long
avec avis du chirurgien favorable à la reprise du travail.
Il semble que les discussions médicales sont restées
cantonnées au strict domaine du soin. Le médecin
conseil le médecin du travail ont-ils pu délibérer
avec l’équipe chargée du soin ? Peut-être
qu'on aurait dû être plus prudent et ne pas la faire
retourner au travail contre sa volonté. Est-ce qu'on peut
faire le bien des gens malgré eux ?
DH :
Le salarié doit être consentant et participer activement
à sa reprise du travail.
MDT
: Aujourd'hui, on note la primauté de la technique de l’imagerie
sur la clinique : je suis intervenu avec un ancien MIRT sur une
maladie professionnelle non reconnue car c'était une capsulite
rétractile qui semblait très liée au travail
: il y avait une amélioration pendant les repos. L'étude
du poste de travail a été faite et des photos ont
montré que les gestes étaient réellement
d’amplitude et angulation plus importantes que ce qui avait
été estimé. Aujourd’hui, on a des dérives
du côté de la technicité et notamment de l’imagerie
qui aboutissent à nier le réel de l’activité
et ses conséquences en termes d’atteinte due au travail.
PYM
: Il est évident qu'il faut du bon sens et ne pas lire
un compte-rendu d'imagerie comme une référence,
qui doit rester clinique. L’imagerie mal interprétée
est source de nombreuses erreurs. Il faut connaître les
images habituelles anormales, très fréquentes, et
le plus souvent asymptomatiques.
MDT
: Qu’est-ce que le rhumatologue que vous êtes a besoin
de savoir du MDT pour traiter correctement le patient ?
PYM :
le constat que je peux faire est le suivant : le faible taux de
questions posées sur le travail dans les dossiers de consultation.
Il faudra s’efforcer de peut-être plus sensibiliser
les étudiants sur la question du travail.
MDT
: Une posture de clinicien du MDT peut-elle vous aider dans votre
rôle de spécialiste traitant ?
PYM
: Ce qui est important c'est la sensibilisation par rapport à
nous et c'est aussi la sensibilisation de nos jeunes confrères.
Il faut surtout que chacun fasse son travail et que l'on communique
à partir de nos expériences et savoirs de spécialistes.
MIRT
: Est-ce que vous identifiez votre rôle d'expert scientifique
dans la responsabilité qui est la vôtre, de la mise
en œuvre de ces connaissances.
PYM
: Certains médecins se considèrent comme omnipotents
: quelques gynécologues qui deviennent les médecins
généralistes de la femme ménopausée,
ou des MG qui traitent tout eux-mêmes en n'envoyant aucun
patient au spécialiste. Chacun doit rester dans sa compétence
et solliciter celles des autres spécialités.
Commentaire
distancié du référent Médecine du
travail : Dr Alain Grossetête, médecin
du travail
Comment s’organise la
relation entre les praticiens dans le respect du secret médical
? Que transmettre ? Quels sont les appuis de la déontologie
et des règles professionnelles pour cela ?
La relation avec ce spécialiste
passe généralement par l’écrit, comme
avec les autres spécialistes. En pratique, le médecin
du travail n’est que très rarement à l’origine
de la consultation du rhumatologue. De son côté le
rhumatologue n’a guère l’opportunité
d’écrire en premier au médecin du travail.
Aussi le médecin du travail souhaitant contacter le rhumatologue
intervient en réalité dans une relation déjà
constituée auparavant entre le généraliste
et le spécialiste, dans une relation de soin. Il est possible,
de ce fait, qu’il s’y joigne en position d’intrusion
et parfois de méfiance. Pour en sortir, il lui faut tenter
de porter le point de vue de clinicien du travail dans une histoire
du salarié-patient, la part du travail ne pouvant être
réduite à la seule dimension de « lésion
». Il peut donner son analyse portant sur le « travailler
» du salarié-patient : les conditions et l’organisation
du travail, mais aussi le plaisir au travail, l’ennui, la
peur, ce qui compose l’investissement et l’engagement
dans le travail, l’état du collectif de travail ;
comment l’atteinte de la santé vient percuter la
trajectoire du salarié-patient (que la cause de l’atteinte
soit le travail ou non, ou les deux) et son pouvoir d’agir.
Mais également ce qui peut constituer une énigme,
quelque chose qui serait repéré comme une part non
élucidée, dans l’essai à partir de
la clinique médicale du travail recueillie du salarié-patient.
La mise en récit d’une
histoire clinique constitue un temps d’élaboration
pour clinicien et patient-salarié ; elle peut s’avérer
une contribution importante de la part du médecin du travail
vis à vis des autres spécialistes. Cet écrit
peut être rédigé à partir du DMST (dossier
médical santé-travail), le patient étant
le pivot de la transmission des écrits. Restituer par son
intermédiaire aux autres spécialistes le «
travailler » du salarié-patient, avec des écrits
pour en rendre compte, est important également pour lui.
La période de l’arrêt maladie, considérée
comme un temps précieux de récupération du
pouvoir d’agir du patient, est un temps propice autant pour
l’échange avec les autres spécialistes sur
le patient, que pour le patient lui-même, sa capacité
à élaborer.
A partir de là, il reste
certainement des questions à explorer. Comment en prenant
appui sur la clinique médicale du travail, le médecin
du travail peut-il engager sa coopération avec un spécialiste
engagé dans la question du soin ? Comment le médecin
du travail peut-il se placer lui-même vis-à-vis d’une
posture de soin, « se mettre dans le soin » avec un
rhumatologue ? (au sens de sa contribution à la guérison
du salarié-patient, en l’aidant à préparer
son retour au travail) ou, dit autrement, comment remettre le
salarié dans la boucle du soin, dès son arrêt
maladie ?
Quelques repères professionnels
accessibles à la dispute, mais issus de cette troisième
partie :
1-Sur la relation entre le
médecin du travail, le salarié, et le rhumatologue
:
Placer la relation avec le
médecin traitant, en position clé dans l’échange
entre les praticiens et le salarié.
- 1.1. Donner à voir
au rhumatologue une pratique de clinique médicale du
travail, et des règles professionnelles de médecin
du travail pouvant assurer la « confiance » entre
le médecin du travail et le salarié, ce dernier
étant le pivot de la relation avec les deux médecins.
Rechercher et mériter la confiance du salarié
en le plaçant au cœur des échanges entre
praticiens, à la fois porteur et destinataire des courriers.
- 1.2. Les écrits du
médecin du travail sont remis au salarié à
l’intention du rhumatologue.
2- Sur l’apport au
rhumatologue : La place centrale de l’instruction du travailler
individuel et collectif pour coopérer avec un rhumatogue
:
Comment amener la question du
travail dans le recours à la consultation du rhumatologue,
via en général le médecin traitant qui a
orienté le patient vers lui.
Le médecin du travail
doit donner les éléments et les descriptions de
travail pour faciliter l’apport du rhumatologue dans la
mise en évidence du lien santé-travail :
- L’histoire de l’engagement
et du vécu du salarié dans son activité
de travail au long d’une histoire professionnelle et de
ses impasses.
- L’analyse du processus
délétère ou non de l’organisation
ou des conditions de travail pour la santé physique ou
psychique du salarié et du collectif de travail.
4eme
PARTIE : MEDECINE DU TRAVAIL / PSYCHIATRIE
Vignette
clinique préparée par les Dr Christian
Massardier et Elisabeth Trescol, médecins du travail
Une collaboration difficile
avec un médecin psychiatre
L’histoire
commence par une rixe. Une nuit, dans une entreprise industrielle
de métallurgie, employant environ 250 salariés,
deux salariés en viennent aux mains. Conflit entre un cariste
et un pilote d’équipement, conflit entre deux délégués
appartenant à deux centrales syndicales différentes.
Le
licenciement des deux salariés concernés (tous deux
élus DP) demandé immédiatement par l’employeur
est refusé par l’inspecteur du travail. Les deux
salariés sont sanctionnés : passage en horaires
de journée donc avec une perte de salaire. Le cariste reprend
le travail après 3 jours d’arrêt en AT pour
traumatisme facial avec épistaxis. Le pilote d’équipement
est arrêté 1 an complètement puis ensuite
un an à temps partiel thérapeutique.
Ce
sont les difficultés de réintégration de
Monsieur A pilote d’équipement qui vont être
à l’origine d’échanges ou plutôt
de tentatives d’échanges avec le psychiatre traitant.
Une première visite de pré reprise est organisée
4 mois après l’événement, à
la demande du médecin conseil qui souhaite savoir si un
licenciement est envisagé, et estime que la prolongation
en accident de travail n’est plus justifiée.
Monsieur A se présente à cette visite avec une ordonnance
témoignant d’une prise en charge médicamenteuse
et psychothérapeutique par un psychiatre. Il dit avoir
refusé l’hospitalisation proposée par le psychiatre
(car il dit que sa femme et ses 3 enfants ne peuvent pas rester
seuls). Il dit avoir refusé l’IRM prescrite car il
ne supporte aucune injection. Il dit vouloir reprendre le travail
pour assurer sa fonction de délégué du personnel
car il dit être
le seul à s’occuper correctement des salariés.
L’état psychologique ne paraît pas stabilisé
et le médecin du travail demande au médecin conseil
de différer la reprise qui paraît peu envisageable
dans un avenir proche.
Une
seconde visite de pré reprise est programmée sur
les conseils de l’assistante sociale de la CPAM. Le salarié
se présente avec un courrier du médecin psychiatre
qui sollicite « vu l’état clinique, la personnalité
et le contexte professionnel, un changement de poste au sein de
l’entreprise de façon à minimiser le stress
ressenti (bruit, rendement, relationnel...) le traitement étant
RISPERDALORO, SERESTA, DEROXAT ». A noter que le salarié
signale alors au médecin du travail que pour être
en pleine possession de ses moyens il s’est abstenu de prendre
son traitement le jour de la visite.
Le
médecin du travail écrit alors au médecin
traitant et au médecin psychiatre une lettre remise au
salarié dans laquelle :
- Il expose les appréhensions du salarié : être
perturbé par l’ambiance sonore de l’atelier
d’usinage, ne pas tenir les cadences exigées par
l’employeur, être trop sollicité par ses collègues
en raison de son statut de délégué.
- Il insiste sur la nécessité d’une bonne
observance thérapeutique
- Il conseille une demande de reconnaissance de travailleur handicapé,
bien que Monsieur A n’y soit pas favorable.
- Il émet des réserves sur la demande du salarié
d’être muté sur un poste d’expédition,
car cela nécessiterait une formation à la conduite
du chariot élévateur, ce qui dans l’état
actuel de la situation ne paraît pas adapté.
Pour terminer, il propose d’étudier avec l’employeur
une piste de reclassement au sein du secteur de l’usinage
en tenant compte de sa contre - indication à l’exposition
au bruit.
Le
salarié est revu à nouveau en pré reprise
avec une lettre de son psychiatre :
« Vous allez recevoir Monsieur A. Son état
psychique est stabilisé depuis plusieurs semaines sous
traitement (RISPERDAL, DEROXAT, SERESTA, STILNOX). Après
un an sans activité professionnelle, il m’apparaît
indispensable et même thérapeutique qu’il reprenne
une activité professionnelle. Toutefois, vu la durée
conséquente de son arrêt de travail, ainsi que des
conditions de travail semble-t-il délicates dans son entreprise,
je souhaite que cette reprise se fasse à temps partiel
thérapeutique, et si possible, sur un poste différent
de celui qui était le sien (agent de contrôle qualité,
agent de maintenance, entretien des machines…) ».
La
reprise est réalisée à l’issue de l’arrêt
de travail actuel soit 15 jours plus tard sur un poste aménagé.
Monsieur A est affecté sur un poste de tri de pièces,
dans le secteur usinage mais dans un local fermé donc sans
exposition au bruit. Les horaires sont de 8h à 11h45 en
poste fixe. Monsieur A se dit content de reprendre.
Il est revu 3 mois plus tard et prolongé à mi -
temps thérapeutique. Le traitement par RISPERDAL a été
diminué. Son travail se passe bien mais Monsieur A se plaint
de devoir travailler une semaine sur deux sur le même poste
que son agresseur, qui travaille en horaire alterné 2 X
8. Le médecin du travail lui répond qu’à
sa connaissance, il ne semble pas y avoir eu d’agresseur
identifié mais une rixe entre deux personnes. Les 2 salariés
concernés ayant conservé leur emploi, il insiste
sur la nécessaire cohabitation au sein de la même
entreprise.
La
reprise à temps complet est demandée à l’issue
des 6 mois de mi-temps thérapeutique.
Lors de cette visite de reprise pour passage au temps complet,
Monsieur A se présente avec un discours revendicatif et
agressif. Il exige de réintégrer un poste de week-end
et à terme son poste de nuit, ignorant totalement la mesure
disciplinaire dont il a été l’objet. Son discours
est très procédurier car dit- il : « il connaît
ses droits ». Par ailleurs, si
la reprise à temps partiel s’est déroulée
sans difficulté majeure, l’employeur se plaint de
grosses difficultés de cadrage par rapport au respect des
règles de fonctionnement de l’entreprise, ce qui
nécessite de sa part la présence d’un encadrement
hiérarchique conséquent lorsque Monsieur A est à
son poste. Le médecin du travail demande de différer
la reprise à temps plein en sollicitant un avis du médecin
psychiatre.
Lettre
du médecin du travail au psychiatre et au médecin
traitant (remise au salarié) :
« La réintégration de Monsieur A à
temps partiel thérapeutique s’est relativement bien
passée sur un poste aménagé de type contrôle
des pièces, en horaire fixe le matin. L’employeur
manifeste son inquiétude par rapport à quelques
difficultés d’ordre relationnel. Mr A aurait du mal
à respecter le cadre prescrit et entretiendrait des relations
tendues avec certains collègues de travail. J’ai
rappelé à Monsieur A l’importance du respect
des relations internes au collectif de travail, car dans l’entreprise
l’objectif prioritaire est d’assurer la production.
Je constate un décalage important entre le discours de
monsieur A et celui de sa hiérarchie sur les difficultés
rencontrées.
Le passage à temps complet, s’il était confirmé,
entraînerait des modifications du poste actuel avec une
plus grande polyvalence donc un poste moins protégé.
Il resterait sur un poste fixe, en horaire du matin (6h à
14h) car l’employeur ne souhaite pas l’affecter sur
d’autres plages horaires (en particulier sur des horaires
de nuit ou de week-end) car il a besoin d’être bien
encadré.
Je sollicite votre avis pour savoir si, de votre point de vue,
la pathologie de Monsieur A est suffisamment équilibrée
avec le traitement actuel, indépendamment de savoir s’il
prend régulièrement son traitement. Je suis relativement
inquiète pour l’avenir professionnel de votre patient,
compte tenu de la déstabilisation actuellement rapportée
par l’employeur.
En
raison de la nécessité d’aménager son
poste de travail il me paraît nécessaire de demander
une RTH.
Dans l’immédiat je lui délivre un avis négatif
pour la reprise à temps plein. Je lui demande de vous revoir
et je vous remercie de tout renseignement que vous jugerez utile
de me communiquer pour le suivi de votre patient. »
Sans
réponse du médecin psychiatre 2 mois après
le courrier, le médecin du travail lui adresse une lettre
pour l’informer :
« A la date du … j’ai remis à votre patient
Monsieur A un courrier à votre intention. Dans le contexte
d’une réintégration difficile, je me permets
de porter à votre connaissance cet état de fait.
Je vous remercie de tout renseignement que vous jugerez utile
de me communiquer…. ».
Puis il téléphone au psychiatre et tombe sur un
répondeur qui lui communique une adresse de messagerie
sur laquelle il adresse un mail : « j’ai cherché
à vous contacter pour échanger éventuellement
sur les difficultés suscitées par la perspective
de reprise à temps complet de votre patient Monsieur A….
je souhaiterai un avis de votre part. »
Deux tentatives d’échanges à l’issue
du courrier remis au salarié, qui ne seront suivies d’aucun
échange.
Le
médecin conseil décide la consolidation à
2 ans de l’AT. Une expertise accorde à Monsieur A
une IPP de 15% pour décompensation d’un état
antérieur.
Le médecin du travail écrit au médecin conseil
pour signaler les difficultés d’adaptation en lien
avec les effets secondaires du traitement : fatigabilité
importante, sudation importante avec intolérance à
la chaleur (surtout en ce début de période estivale),
difficultés d’aménager le poste à temps
complet et la nécessité d’un encadrement de
proximité. Le médecin du travail émet des
doutes sur la faisabilité d’une réintégration
à temps complet.
Pour le médecin conseil, avec qui un échange téléphonique
a lieu, la rente de 15% doit pouvoir autoriser une diminution
du temps de travail avec baisse de salaire.
Monsieur
A reprend le travail à temps complet dès la fin
de l’été, soit après les grosses chaleurs.
Mais il est inquiet car très fatigué, fatigue qu’il
attribue au traitement. Il conserve le même poste et ses
horaires restent en journée de 7H30 à 16 H avec
une pause de 45’.
Le médecin du travail continue à se poser la question
de l’observance thérapeutique car très rapidement,
soit un mois après la reprise à temps complet, l’employeur
sollicite une visite en raison de graves problèmes relationnels
au sein de l’équipe. Une des collègues de
Monsieur A s’est plainte d’un comportement agressif
à son encontre et elle est en arrêt de travail. La
DRH se dit contrainte de convoquer quotidiennement Monsieur A
et elle n’en peut plus. Le chef d’atelier est exaspéré
par la situation. Tous manifestent leur peur d’un nouvel
événement.
Lors
de la consultation demandée par l’employeur, Monsieur
A tient des propos délirants sur les causes des difficultés
rencontrées, propos qui sortent du registre du travail
: « le mari de sa collègue serait un grand trafiquant
de drogue, Monsieur A habitant la même cité qu’elle,
c’est lui qui aurait dû alerter la police des polices
pour le faire incarcérer, et pour se venger cette dame
serait de mèche avec son employeur pour le faire craquer,
elle mettrait de la musique exprès , ….. »
Le
médecin décide de demander un avis d’aptitude
professionnelle auprès du psychiatre en charge de la consultation
dans le service de pathologie professionnelle. Il écrit
à nouveau au médecin traitant et au psychiatre pour
les informer de sa demande. Le délai est de 3 mois. En
attendant, le médecin du travail évoque les propos
décalés dans le courrier remis au salarié,
la question de l’observance thérapeutique et de sa
tolérance et le risque de perte d’emploi à
terme si l’état de monsieur A n’est pas stabilisé.
Il téléphone au médecin traitant pour solliciter
une prescription d’arrêt car une inaptitude temporaire
lui paraît indispensable dans l’immédiat compte
tenu de la situation. Le médecin évoque la possibilité
que son patient soit victime de harcèlement mais accepte
cependant de lui prescrire un arrêt de un mois.
Lors
de sa reprise un mois plus tard, le psychiatre a modifié
le traitement : arrêt de DEROXAT responsable de l’hypersudation
; prescription de RISPERDALORO, ATARAX et STILNOX, mais sans aucun
courrier pour le médecin du travail.
L’avis du médecin du travail lors de cette visite
de reprise est le suivant :
« Apte à la reprise, dans l’attente de l’avis
spécialisé demandé au service de pathologie
professionnelle, prévu à la date du … (soit
2 mois plus tard). »
Le courrier pour la consultation spécialisée est
adressé directement au psychiatre de la consultation du
service hospitalier de pathologie professionnelle, avec copie
remise au salarié.
La réponse se fera attendre plus d’un mois en raison
de gros problèmes de secrétariat du service. Après
plusieurs relances, le médecin du travail la reçoit
trop tard. Monsieur A, qui est resté au travail contrairement
à l’avis spécialisé repris ci-dessous,
est alors sous le coup d’une mise à pied avant licenciement
; il ne sera jamais revu par le service sauf pour réclamer
son dossier médical.
Le
courrier du psychiatre est très détaillé
et après avoir repris les éléments incohérents
du discours de Monsieur A, dixit « récit très
flou et à l’image de la désorganisation psychique
du patient lors de l’entretien » il conclut :
« Au terme de cette consultation, le vécu paranoïde
essentiellement interprétatif et intuitif à thématique
persécutoire et mégalomaniaque envahit tout le champ
de pensée et m’incite à ré-adresser
le patient rapidement auprès de son psychiatre, annonce
que le patient accueillera avec beaucoup d’opposition prétextant
qu’il est guéri.
Pour répondre à vos interrogations, vous comprendrez
qu’il m’est impossible de me prononcer sur une quelconque
aptitude à son poste de travail, la priorité étant
avant tout les soins spécialisés afin d’équilibrer
la thérapeutique et affiner le diagnostic clinique. »
En
résumé :
Dans cette vignette clinique, le médecin psychiatre souhaite
la réintégration de son patient avec un objectif
thérapeutique. Le médecin du travail poursuit le
même objectif mais il est le témoin d’un état
psychique mal stabilisé, responsable de difficultés
de réintégration du salarié qui lui font
craindre la désinsertion professionnelle.
La préoccupation du médecin du travail est plus
globale car il doit aussi tenir compte du collectif de travail
qui de toute évidence est en souffrance.
Aurait-il été possible d’échanger directement
avec le psychiatre sur les difficultés suscitées
par son patient au sein de l’entreprise ?
Dans
d’autres situations fréquemment rencontrées,
la sollicitation du médecin psychiatre est essentiellement
à visée d’expertise :
- Evaluer la gravité d’une atteinte psychique
- Evaluer un risque suicidaire
- Evaluer le besoin d’une prise en charge médicamenteuse
- …..
Le médecin a souvent besoin d‘arguments pour prendre
une décision d’aptitude ou d’inaptitude ; l’inaptitude,
apparaît souvent comme la seule solution pour protéger
la santé d’un salarié en difficulté
dans son travail.
Billet
du référent médecine du travail :
Dr Dominique Huez, médecin
du travail
Faciliter la coopération
du médecin du travail avec le psychiatre en tenant la question
du travail
Le médecin du travail
a besoin du psychiatre pour recueillir un avis diagnostic quand
il est dans l’embarras :
- Pour accompagner la construction
ou la préservation de la santé au travail d’un
salarié.
- Ou pour mieux cerner ce qu’il considère comme
une psychopathologie du travail.
- Ou pour communiquer au psychiatre son avis éclairé
dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique,
parce qu’il le juge alors nécessaire.
- Ou pour assoir ou faire partager, ou parfois faire endosser
(!), au psychiatre une décision de médecin du
travail.
La construction et la préservation
de la « confiance » entre le médecin du travail
et le salarié est nécessaire et centrale pour faciliter
la coopération avec le psychiatre. Pour permettre au psychiatre
de se repérer dans l’action de sauvegarde de la santé
du médecin du travail, ce dernier devrait lui rendre visible
et intelligible ses propositions de préconisations sur
le travail, comment il pense intervenir, qu’il s’agisse
d’une intervention individuelle ou collective.
La place de l’écrit
médical comme support à cette coopération
diagnostique est essentielle. Pas facile avec une spécialité
médicale qui répugne à enfermer une prise
en charge clinique dans un écrit diagnostic ! Quel juste
nécessaire écrire ou dire dans l’intérêt
de la santé du patient et dans le respect de l’observance
du secret médical s’imposant aux deux praticiens
?
Prendre en compte la centralité
du travail est essentiel, même pour les malades psychiatriques
!
Il ne peut y avoir de contribution du médecin du travail
pour cette coopération s’il n’a pas instruit
préalablement la question du travail, l’engagement
du salarié dans celui-ci, approché un peu les affects
malmenés qui y émergent comme la peur et la honte,
et évoqué des processus défensifs psychiques
professionnels qui se donnent à voir derrière l’incompréhension
d’une situation.
Cela pourrait peut-être
permettre de mieux prendre en compte la contradiction face à
laquelle se trouve le médecin du travail : concilier la
préservation de la santé du collectif de travail,
tout en tentant de préserver la santé au travail
du malade psychiatrique.
Pour mettre en débat mieux
coopérer entre le MDT et le MP :
- Ce pourrait être, pour le MDT, de s’interroger sur
ce que peut apporter le MP au MDT plutôt que sur ce que
le MDT attend du MP.
- Ce pourrait être de donner à voir à la lumière
de la clinique médicale du travail des éléments
de compréhension des difficultés du salarié
dans son travail.
- Ce pourrait être de faire apparaitre que le MDT n’arrive
pas malgré tous ses efforts à se représenter
le travailler du patient.
- Ce pourrait être d’essayer de comprendre comment
le salarié construit ou précarise à sa façon
sa santé au travail même parfois avec des pathologies
psychiatriques invalidantes non professionnelle non pas sur la
scène de l’économie du désir mais sur
celle de l’économie du travailler.
Quand il y a un constat réciproque
que le MDT et le MP demeurent en difficulté pour la prise
en charge de leurs salariés patients, ils pourraient organiser
les modalités d’un travail inter compréhensif
entre eux en remettant le patient dans la boucle de cette élaboration.
Psychiatre
Jean-Jacques Chavagnat, CH Henri Laborit, Poitiers
Je ferai un commentaire plus
dans la forme de la vignette clinique que dans le fond pour donner
quelques pistes de réflexions : je voudrais insister sur
cette spécificité que peut être l’abord
psychique qui doit être fait dans chaque spécialité.
Il y a toujours des éléments de comportement à
prendre en compte dans toutes les situations.
Mon compagnonnage avec le service
de médecine du travail a débuté dans les
années 1999 par une mission dans le cadre de la prévention
du suicide et la promotion de la santé mentale au travail.
La collaboration avec le monde du travail était évidente
autour de formations qui m’a permis de rencontrer de nouveaux
collègues non seulement des MDT mais également d’autres
professions (psychologues, assistantes sociales, infirmiers, assistantes...).
C’est une première approche importante pour modifier
les représentations. Des formations ont été
organisées : il y avait au départ d’un côté
le formateur et de l’autre côté le formé
mais en fait ce fut plutôt un apprentissage car tous avaient
beaucoup de choses à apprendre des uns et des autres. Des
réunions départementales de MDT et des réunions
régionales en collaboration avec le médecin inspecteur
régional du travail ont été organisées
pour réfléchir aux différentes actions à
mener autour de la souffrance au travail. Ces groupes de MDT ont
mis en place des actions comme par exemple une plaquette «
un collègue ou une collègue va mal ». Cela
permet au MDT d’acquérir ou de découvrir qu’il
a des tas de possibilités, qu’il peut et sait faire
des choses, il lui faut un peu plus d’assurance, et il peut
mettre en place des processus avec le CHSCT et d’autres
préventeurs pour permettre cette bienveillance des uns
et des autres pour amener les travailleurs vers la santé
au travail qui est capable de faire une prise en charge et une
détection importante sut le plan psychologique. Sur le
plan régional, un guide, téléchargeable sur
le site du ministère du travail, a été écrit
sur les conduites à tenir en cas de survenue d'un évènement
traumatique au travail avec la place du MDT dans les actions à
mener quand un tel évènement potentiellement traumatique
quel qu’il soit se produit. Tous les 2 ans un colloque est
organisé en collaboration avec les médecins du travail
de la Société de Santé au Travail de Poitou
Charentes. C’est un lieu d’échanges de connaissances
et d’échanges au sens large sur les pratiques pour
la prise en charge, l’accompagnement et le traitement des
patients.
Je travaille également
sur 2 autres axes important : le psycho-traumatisme et la prise
de toxiques en milieu de travail, notamment l'alcool.
En alcoologie, des réunions à thème et des
échanges autour de cas cliniques sont organisées.
Je suis par ailleurs responsable de la CUMP régionale et
de la consultation en psycho traumatologie et je suis aussi responsable
du centre de soins, d'accompagnement et de prévention en
psychologie de mon département. Des formations sur la psycho
traumatologie avec les Services de Santé au Travail sont
mises en places pour permettre notamment aux MDT d’acquérir
et de s’approprier ces connaissances et de vérifier
qu’ils sont capables de prendre en charge certaines situations
au départ sans le psychiatre.
L’une des finalités de ces formations est de permettre
aux SST et notamment aux MDT de s’approprier ces connaissances,
de gérer certaines situations et de dépister les
personnes à risques. Pourquoi ? Cela améliore l'orientation
plus précoce du patient vers les structures hospitalières
avec une meilleure préparation du patient pour la prise
en charge ultérieure commune entre le MDT et médecin
psychiatres (MP). On a un langage commun mais chacun doit rester
dans son rôle. Une autre synergie très proche existe
avec la consultation de pathologie professionnelle en lien avec
notre consultation de psychiatrie et de santé au travail.
Je trouve également beaucoup d’intérêt
à participer aux réunions de la société
de psychodynamique pour des études de dossiers ou sur des
thèmes précis.
Comment ça marche entre
un MP et un MDT ou un médecin de prévention ? Il
faut prendre conscience des représentations de chacun.
Quand on interroge nos collègues, on peut être assez
surpris : « c’est quoi un MDT ? » « A
quoi ça sert le MDT » « C’est quoi un
MP ? » « A quoi ça sert le MP »?
Pour moi c’est : à quoi ça sert le MP et le
MDT pour le patient travailleur d’abord, qu’est-ce
qu’il peut en faire ?
Puis par l'intérêt l'un pour l'autre : les gens que
nous voyons travaillent la plupart du temps : la connaissance
du parcours et de la personne est indispensable. Il faut donc
l’interroger sur son travail, l’interroger sur la
façon dont il travaille et sur ses relations avec l’organisation
actuelle de son travail pour les connaitre.
Quelle complémentarité
existe-t-il entre nous ? Quelle synergie peut-on développer
? A savoir un avis spécialisé. Un avis sans le mettre
en perspective et sans avoir échangé est d’un
intérêt limité. Pour mettre tout ceci en œuvre,
quelle communication entre nous ? Comment sortir de nos inhibitions
ou de nos projections? Il ne faut pas hésiter à
se parler et à se rencontrer pour que chacun ne reste pas
dans son discours. C’est possible et c’est souvent
souhaitable pour nous et pour le patient travailleur qui passe
une grande partie de son temps au travail. Il y a le courrier
donné au patient. C'est l’occasion de préciser
sa pensée à d’autres et avec le patient et
c’est important d’essayer, quand c’est possible,
d'avoir un véritable échange avec le salarié-patient
pour lui permettre d’être un des acteurs et peut être
même à certains moment l’acteur principal.
On travaille avec lui. il faut clarifier la demande du MDT au
MP et vice versa. L’avantage que j’y vois c’est
d’éviter de lui donner l’impression qu’il
est balloté d’un praticien à un autre et que
chacun est dans son discours et a du mal à pouvoir échanger.
Le psychiatre donne un avis technique
comme un autre spécialiste mais l'avis du psychiatre est
désincarné s'il reste psychopathologique. Quand
on est en lien avec un patient dans sa vie, il faut faire transpirer
les éléments de sa vraie vie, de sa vie de travailleur,
d’amoureux et de père... Le MP ne doit pas tout raconter
de la vie du patient mais il doit donner des éléments
significatifs qui vont aider le MDT dans sa compréhension
du comportement du salarié patient et permettra au MDT
une meilleure approche et vice versa le MDT doit donner des éléments
du travail, du collectif et de l'organisation du travail et du
fonctionnement de l’entreprise au MP. Le psychiatre n'intervient
pas directement sur la détermination de l'aptitude, c’est
propre au MDT qui a la connaissance du patient travailleur, de
ses conditions de travail, du collectif, du contexte social, du
fonctionnement de la hiérarchie, des possibilités
de l’entreprise… et il a toutes les compétences
pour cela.
Je pense qu’il faut intégrer
d’autres collègues dans cette coopération
: le MG mais aussi le médecin conseil de la CPAM et d'autres
spécialistes en fonction des pathologies chroniques associées
: neurologues, gastro entérologues, rhumatologues, cancérologues
spécialistes de médecine physique dans les problèmes
de lombalgies chroniques en lien avec l’école du
dos.
Il y a toujours des répercussions psychiques dans les pathologies
organiques chroniques. On est dans des processus d’accompagnement
sur le long terme.
J’interviens aussi comme
psychiatre spécialisé uniquement pour réfléchir
sur la souffrance au travail, le patient ayant un autre MP : moi,
j’essaie de réfléchir avec le salarié,
en lien avec le MDT, sur les raisons de sa souffrance au travail
pour comprendre ce qui se passe au travail et pour avancer d’un
même pas : c’est alors l’organisation du travail
qui va être interrogée. Ce psychiatre spécialisé
centré sur le travail est le trait d’union entre
tous les médecins qui gravitent autour du patient (MP traitant,
MG, MDT). Parfois, il peut expliquer la souffrance au travail
en faisant la part entre les problèmes d’organisation
du travail qui sont une de nos préoccupations et une pathologie
psychologique du patient qui peut être complexe.
Tous les échanges d’informations cliniques, d’informations
sur le poste de travail et de confrontations sur le travail permettront
d’envisager avec le patient les meilleures pistes pour lui.
En conclusion, il faut oser communiquer
: les échanges sont nécessaires, nous avons tous
des morceaux de vérité et c'est ensemble que nous
referons le puzzle.
Table
ronde et débat
Questions
Pour en débattre ici,
mieux coopérer entre médecin du travail et psychiatre,
ce pourrait être peut-être pour le médecin
du travail :
1. De s’interroger sur
ce « que peut apporter au psychiatre le médecin
du travail », plutôt que « ce que le médecin
du travail attend du psychiatre ».
2. De donner à voir à la lumière de la
clinique médicale du travail, des éléments
de compréhension des difficultés du salarié
dans son travail.
3. Ou bien de faire apparaître que le médecin du
travail n’arrive pas malgré tous ses efforts à
se représenter le « travailler » du patient
?
4. D’essayer de comprendre comment le salarié construit
ou précarise à sa façon sa santé
au travail, même parfois malgré une pathologie
invalidante non professionnelle, non pas sur la scène
de « l’économie du désir »,
mais celle de « l’économie du travailler
».
5. De pouvoir faire constat réciproque que médecin
du travail et psychiatre demeurent en difficulté pour
la prise en charge de leur salarié-patient.
6. Et donc d’organiser les modalités d’un
travail inter-compréhensif entre ces deux médecins,
en remettant le patient dans la boucle de cette élaboration
?
Débat
MP
: Par rapport au cas clinique, l’histoire commence par la
rixe : après coup, il apparait que le responsable doit
être celui qui a décompensé. Pour le psychiatre,
il est difficile d'écrire le diagnostic comme « syndrome
de persécution » ; je ne peux mettre que des banalités
dans l'écrit. J'interviens pour donner un avis au médecin
du travail et pour lui faire une réponse.
Le champ de la psychiatrie est traversé aujourd’hui
par un scientisme important et il y a un conflit entre les professionnels
du point de vue de la clinique. Dans ce cas, il est intéressant
de voir la personnalité du patient et la façon dont
le patient vit son travail. Il est intéressant aussi de
s'intéresser aux évènements déclenchants.
DH
: Dans les formes paranoïdes de décompensation, la
question pour les MDT du côté de la clinique médicale
est : Est-ce que je peux contribuer à apporter des éléments
sur l’économie du travailler ; mais qu’elles
en sont alors les limites quand le patient est dans un délire
paranoïaque ?
Mais aussi, à quel moment le MDT doit-il renoncer à
dire au psychiatre ce qu’il observerait du point de vue
de la clinique du travail ? Quand le MDT ne comprend rien au travail
et au travailler d’un salarié, quand il ne peut se
représenter le travail du salarié car il est subverti
par la pathologie, c’est le moment où le MDT doit
renoncer à contribuer envers le psychiatre du côté
de la clinique médicale du travail. C'est très rare
dans les faits.
Mais parfois même pour les personnes très handicapées
par leur pathologie et qui ont besoin d’une prise en charge
psychiatrique, le MDT doit malgré tout instruire la question
de l'engagement dans le travail par la clinique médicale
du travail ; et c’est important aussi quand ce n’est
pas le travail qui est la cause de sa psychopathologie. Il ne
faut pas renoncer à déployer une clinique médicale
du travail même pour ces malades graves.
Autrefois, on arrivait à conserver au travail des patients
lourdement handicapés psychiquement ce qui n’est
plus possible aujourd’hui du point de vue des entreprises.
Si on n’arrive pas à donner ces clés de compréhension
du côté du travail au psychiatre pour aider le salarié,
comment tient-on ces règles professionnelles là
entre MDT et MP pour n'agir que dans l'intérêt de
la santé du patient salarié ?
Ce qui pose une autre question : on a des confrères qui
peuvent être à des moments de leur vie, ou sachant
ou experts. On a besoin de clarifier cela dans nos coopérations,
car on ne peut pas impunément glisser de l’un à
l’autre pour le même travailleur.
Quand on est médecin du travail, on ne peut pas être
expert.
MDT :
Ce que j'ai souvent rencontré au travail, ce sont des salariés
atteints de bipolarité qui sont utilisés par l’entreprise
dans des situations compliquées quand ils sont hypomaniaques
mais qui sont jetés quand ils sont en période maniaque.
Je rappellerai l’'importance du collectif pour alerter le
MDT quand un membre de l'équipe décompense et je
voudrai avoir l’avis du psychiatre sur les risques de décompensation
par le travail des maladies bipolaires et dans certaines alcoolisations,
car j’ai trouvé un lien.
MP :
Pour le travailleur avec un trouble psychiatrique sévère,
il vaut mieux être schizophrène que paranoïaque
car on a des traitements qui fonctionnent assez bien. Le MP que
je suis a une vision importante du travail car je m’occupe
d’un ESAT où il y a beaucoup de salariés présentant
des troubles psychiatriques qui y travaillent et la collaboration
avec mon collègue MDT est facile.
Que dire et écrire quand on a affaire à un salarié
paranoïaque ou quand on a affaire à un délire
paranoïaque : il y a des mots qui sont difficiles à
écrire ou difficiles à expliquer au patient. Il
faut le dire d'une autre manière. On peut faire douter
le patient avec le traitement mais le patient va garder son noyau
paranoïaque et le rendre plus sociable pour qu’il continuer
à travailler. Là il faut collaborer avec le lieu
de travail et voir si on peut mettre le salarié dans un
endroit sur un poste de travail où il ne sera pas perturbateur.
Pour la bi polarité : c'est une maladie fréquente
avec de multiples formes cliniques. On a intérêt
à être tous un petit peu hypomaniaques. Il faut prendre
cette maladie au sérieux et la traiter. Le MDT a un rôle
important d'information de l'ensemble de la collectivité
de travail. Dans l’entreprise, est-ce que c’est pertinent
ou pas de donner de l'information sur la maladie ? Parfois c’est
le salarié qui explique sa maladie. Mais il faut être
très prudent. On n’a pas le droit de donner le diagnostic
mais on peut expliquer les troubles : c'est une question de cas
par cas. Je crois beaucoup à l’importance du collectif
et à l'accompagnement par le collectif du collègue
malade vers le MDT. Développer la préoccupation
de l'autre dans l'entreprise me paraît fondamental afin
de limiter les conséquences pour le salarié par
une prise en charge rapide par le SST.
En quoi le travail peut révéler une maladie bipolaire
? Le travail est dans une certaine mesure une contrainte soit
externe soit interne. Toute tension au travail est un facteur
de déstabilisation qui peut favoriser une décompensation
d’une maladie dont le diagnostic n'a jamais été
posé. On doit être attentif à tout ça.
Le travail peut être un facteur favorisant mais peut être
aussi un facteur protecteur car le travail permet de vivre et
d'être heureux de travailler. Certains patients font le
souhait de continuer à travailler, on doit les aider à
reprendre le travail mais dans des conditions adaptées.
MDT
: Il y a des choses qui me dérangent comme parler de la
maladie ou donner de l'information sur les maladies de certains
salariés dans l’entreprise. Aujourd'hui, la personne
différente est complétement rejetée et les
organisations de travail éliminent les plus fragiles. Les
MDT sont complètement désarmés quand les
gens parlent de leurs problèmes de santé entre eux
et que ces informations remontent à la hiérarchie
et sont utilisées contre eux ce qui fait que ces personnes
sont rejetées parce qu'elles ont parlé de leur pathologie.
J’ai des exemples de personnes qui aujourd'hui sont payées
chez elles alors qu’elles sont malades de ne pas travailler.
Le MDT doit informer les salariés des enjeux graves de
santé pour eux s’ils parlent de leurs problèmes
de santé au travail.
MP
: Je suis d’accord car aujourd’hui il y a des effondrements
de la tolérance pour des raisons multiples. Il faut rechercher
des alliés : pour moi c’est le SST, le collectif
de travaille CHSCT, les DP.
MIRT :
On est dans un milieu où le comportement pathologique est
rejeté chez les salariés mais, d’un autre
côté, certains comportements pathologiques sont plutôt
encouragés pour la hiérarchie dans certaines entreprises.
Qu'est ce qui dérange la personne ? Qu'est ce qui dérange
le collectif et qu’est-ce qu’il est légitime
de décrire et qu’est-ce qu’il est légitime
de prendre en considération ? (je vous conseille de lire
« la perversion ordinaire » de JP Lebrun qui traite
de ce problème). Le MDT et le MP doivent échanger.
MP :
Si on parle de paranoïa, il faut différencier les
traits paranoïaques, la personnalité paranoïaque,
le délire paranoïaque. Il faut définir le délire
paranoïaque : c’est une pathologie difficile à
traiter et qui a difficilement sa place quand elle est floride
dans l'entreprise. Mais les personnalités paranoïaques
peuvent être mises en avant, pour au moins un temps, dans
les comportements de manipulation de la part de certains vis-à-vis
des autres.
Les gens qui ne sont pas comme les autres, par exemple les salariés
dépressifs ou atteints d’une de ses multiples formes
cliniques (maladie dépressive caractérisée,
désespoirs, anxiété…) sont rejetés.
On ne peut pas passer sous silence les représentations
de certains qui interprètent mal les comportements des
salariés dépressifs en les assimilant à des
personnes fainéantes : ces malades sont souvent mis de
côté ou maltraités. Pour les salariés
qu'on veut licencier, mais qui ne sont pas dépressifs et
qui sont comme les autres, on va les maltraiter pour faire en
sorte qu'ils ne deviennent pas comme les autres en ne leur donnant
pas de travail. Et alors que certains salariés n'avaient
pas d'antécédent psychiatrique, cette situation
peut les rendre dépressifs ou révéler une
pathologie bénigne qui sera accentuée dans un milieu
de travail ou par une organisation pathogène.
MDT
: Si c'est renvoyé à la question des gens qui ne
sont pas comme les autres il y a un problème plus large
car ces personnes devraient être défendues et les
alliés ce devraient être naturellement les syndicats
existants qui ne devraient pas accepter ces situations.
MDT :
Attention au contrôle social qui peut exclure du travail.
MP
: Ce n’est pas le contrôle social mais c'est la bienveillance
par rapport aux collègues.
MDT
: Il faut faire attention à ce qui se dit. Comme par exemple
signaler les gens qui mangent tout seul à la cantine. Il
faut faire attention à ne pas individualiser les problèmes.
Il faut aujourd'hui surtout parler de l'organisation du travail.
J’ai quitté Orange car les psychiatres faisaient
des formations y compris aux MDT en insistant sur les profils
particuliers et les pathologies des personnalités qui osaient
s’opposer au consignes données. Il ne faut pas se
tromper : les alliés sont les collectifs, les DP et les
organisations syndicales. Il faut former les syndicats pour lutter
contre ces rejets des malades psychiatriques.
DH
: On ne peut pas tout demander aux syndicalistes. il faut faire
attention à les former pour les inciter à entendre
le travail quand ils n'entendent que la souffrance, sinon on va
augmenter leurs réflexes défensifs. Dans les psychopathologies
du travail « normales », c’est bien le travail
la grille de lecture du MDT : c’est le métier de
MDT de s’en débrouiller mais il y a des circonstances
où il faut coopérer avec le MP.
MIRT
: Je ne suis pas d'accord avec toi. Dans les psychopathologies
du travail, il y a un travail en commun à faire avec les
MP et les MDT.
DH :
C'est dans la compétence de la spécialité
de MDT de faire le diagnostic dans les psychopathologies du travail.
MDT :
Dans la coopération MDT et MP, on essaie de faire ce que
l'on peut. Le rôle central est celui du salarié patient.
Le salarié même malade, même atteint de psychose,
peut dire ce qu'il pense de son travail et on peut l'aider à
décider. Pour les psychopathologies du travail, Le MDT
a un rôle préventif pour le collectif tandis que
le MP prend en charge le salarié malade.
MP :
Cette personne avec une maladie psychiatrique, on doit la protéger
et ne pas l'exclure mais l'inclure dans sa vie de travail comme
les autres car elle peut s’y épanouir. Le psychiatre
ne prend pas la place du MDT mais dans certains cas particuliers
on a besoin d'être 2, 3 ou 4 (MDT, MP, MP spécialisé
et MG). Parfois c’est l’organisation du travail qui
est pathogène et tout le monde est dans le flou et c’est
cette collaboration qui permet à tous de progresser dans
la compréhension du travail pour le bien être du
patient salarié.
Discussions
et conclusions, par le Dr Magdeleine Ruhlmann, MIRT
Au terme d’une journée
où nous avions choisi de ne parler que des coopérations
du MDT avec certaines spécialités médicales,
je ne peux qu’espérer que, malgré l’heure
tardive et les frustrations, chacun se reconnaitra. Je vous remercie
pour la confiance que vous m’avez accordée et vais
essayer avec humilité de faire cette brève synthèse.
Alain a cadré dans son introduction les conditions nécessaires
à la coopération entre médecins spécialistes
autour du salarié-patient. Il a parlé de la place
à donner au travail, de la nécessité de la
confiance et de l’importance des écrits.
Les échanges d’aujourd’hui nous ont montré
que ces conditions étaient nécessaires mais qu’elles
n’étaient pas suffisantes. Je vous livre ici les
quelques réflexions que j’ai faites au cours de la
journée.
Nous avons rencontré tout
au long de la journée de nombreux questionnements et observations.
De manière transversale aux quatre vignettes cliniques,
même si chacun n’est pas cité ici, voici ce
que j’ai entendu, et les quelques questions « en plus
» que je me suis posées et que je souhaite partager
avec vous.
• Est-il important et
pertinent de remarquer que la question du travail semble émerger
et s’imposer chez le MG par rapport à la souffrance,
à l'humiliation et à la servitude volontaire ?
plutôt que par la question des cancérogènes
professionnels ou des TMS ?
• Il est important de savoir si on se situe dans un rapport
essentiellement de personne à personne, par rapport à
ce patient précisément, ou si, comme pour le médecin
du travail, la rencontre passe par le cadre d’un engagement
social (ou même politique ?).
• Nous devons nous demander comment constater l’humiliation,
la réalité des relations et conditions de travail
sans avoir l’air d’avoir un positionnement à
priori ?
• Nous avons entendu à partir de la vignette clinique
de médecine générale des lectures différentes,
qui traduisent sans doute des positionnements différents.
• Nous avons entendu combien il était nécessaire
de décrire les choses avec rigueur pour pouvoir partager
la clinique en donnant des éléments concrets et
compréhensibles.
• La discussion autour de la pathologie professionnelle
a montré l’importance de travailler « à
partir de notre vécu ».
• Alors que la discussion avec le MG a montré combien
la coopération passait par la propre pratique de chaque
médecin.
• Coopérer ce n'est pas se substituer à
l'autre, c'est partager avec l'autre et lui donner les éléments
de ce partage. La crainte d’une « substitution »,
d’une « emprise » sur l’exercice du
médecin du travail ou d’une « perte de pouvoir
» sur la prise en charge s’est fait jour avec le
MP alors que la question se posait de manière très
différente avec le MG. Ce qui est riche d’enseignement.
• Parallèlement, le débat avec le MPP a
mis en évidence autre chose : un questionnement sur le
collectif des MDT, sur l’existence ou non de collectifs
de travail. « La consultation de pathologie professionnelle
n’est pas là pour lutter contre l’isolement
des médecins du travail » a-t-il été
dit, « chacun doit être dans son rôle ».
Montrant ainsi, s’il en était besoin ici, la nécessité
pour les MDT d'échanger aussi avec leurs pairs pour lutter
contre l’isolement et enrichir leurs pratiques.
Il était intéressant
que le débat s’ouvre sur les coopérations
avec le MG. Ensuite avec le MPP, puis les autres spécialistes,
nous avons pu nous poser la question de l’existence d’un
langage commun et partagé. De quoi, de qui parlons-nous
quand nous parlons ensemble de « nos » salariés-patients
? Je voulais insister sur l’importance de la notion de santé,
de l’image et de sa construction, et en conséquence
de l’image et de la place de la prévention dans ces
échanges]
Et j’ai entendu en filigrane la question suivante, qui me
semble essentielle : cette coopération entre médecins
spécialistes, ne devient-elle nécessaire qu’une
fois qu’est présente l’atteinte à la
santé ? Que s’est-il passé avant l’alerte
? Quel est le rôle de chacun des spécialistes au
cours ou autour d’un arrêt de travail ? Comment une
meilleure coopération aurait-elle pu éviter l’atteinte
à la santé
Il nous faut donc savoir prendre
en considération les points de vue cliniques respectifs
des différents médecins. Et si le salarié-patient
est au centre, au cœur des échanges, chacun des médecins
spécialistes partie prenante à la discussion, pourra
prendre en compte les aspects purement médicaux mais aussi
« sociaux » de ce patient-là et traiter ce
salarié-là, sans oublier les autres salariés
ni le travail.
Nous l’avons vu ensemble, il y a des préalables à
la coopération : savoir faire le point sur son propre «
travailler », sur sa propre pratique et sur son propre engagement
et savoir reconnaitre ce qui se joue dans une relation. Savoir
que cela, que certains appellent le transfert, se joue dans toute
relation et à fortiori dans une relation médecin
/médecin ou médecin/salarié. Notre compétence
c’est aussi de savoir connaître notre propre position,
notre rôle, pour savoir échanger avec l’autre
Il y a des impératifs que nous tous, médecins, connaissons
dans un monde où nos salariés patients sont comme
nous, médecins, confrontés à la procédurisation,
à la normalisation, à l’évaluation
quantitative, à l’économisation où
à la financiarisation. Nous n’avons peut-être
pas d’autre choix que de nous faire confiance, de reconnaitre
ce qui nous rapproche, comme la clinique, plus que ce qui pourrait
nous éloigner. Et nous pouvons faire le choix de ne pas
entrer dans le jeu ou le risque de la rivalité, pour le
plus grand intérêt du sujet-salarié-patient,
et pour notre satisfaction éthique et notre plus grand
plaisir au travail à nous.
Le
compte-rendu en Version Imprimable en PDF
Publication Papier des Actes du Colloques ”
à venir courant Octobre 2016.
|
Extraits
de Textes préparatoires des colloques précédents
(les textes intégraux figurent sur le site e-Pairs)
Qu’est- ce
que l’exercice de la clinique médicale du travail
?[1]
Elle
donne acte que l’objectif de la consultation nourrie de
« clinique médicale du travail » » est
de permettre au sujet de recouvrer son « pouvoir d’agir
». Le médecin du travail y déploie une écoute
médicale compréhensive pour permettre au sujet de
prendre soin de à nouveau de sa santé.
Il s’agit concrètement pour le médecin du
travail de faire raconter par le sujet comment il fait dans le
quotidien pour arriver à travailler, malgré ce qui
y fait objectivement obstacle. Il faut, pour le médecin,
oublier ses idées préconçues et faciliter
le récit en manifestant ses difficultés à
comprendre l’activité du salarié pour ne pas
coller au discours et éviter les chausse-trappes dans le
récit qui s’accrochent au relationnel et comportemental
de collègues ou de la hiérarchie.
Il
ne s’agit pas seulement de poser un certain nombre de questions
sur l’organisation du travail. Il faut se faire raconter
dans le détail une situation de travail dans laquelle le
salarié a été mis en difficulté, les
premiers incidents qui l’ont malmené. Si la situation
actuelle est très douloureuse, proposer de raconter des
situations antérieures où le travailler ensemble
permettait de construire sa santé au travail et permet
de reprendre pied dans une activité de travail où
le pouvoir d’agir s’est construit dans la confrontation
à la résistance du réel.
Dans
la consultation de clinique médicale du travail, notre
attention se porte sur les signes évocateurs d’un
affect, témoins de quelque chose d’impensé.
Le fait de parler de son travail permet au salarié un niveau
d’élaboration plus complexe, où sa problématique
prend une nouvelle dimension, ce qui peut lui permettre de prendre
conscience des enjeux de son activité et de ses dimensions
conflictuelles.
Lors
du travail d’élaboration, l’émotion
peut être reconnue comme témoin de ce que le salarié
met de lui-même dans le travail, témoin de sa singularité.
Il y a une intelligence du corps. Il n’y a pas de «
travailler » sans engagement du corps. C’est à
ce corps là que nous avons à faire dans nos consultations.
Le symptôme s’éprouve par le sujet comme une
limitation de sa liberté, comme une résistance à
son pouvoir d’agir, à sa capacité d’être
affecté. L’émotion ressentie, reconnue comme
tension entre ses mobiles et l’organisation du travail offre
au salarié la possibilité d’ajuster ses choix
à la réalité de son travail, ce qui ouvre
d’autres issues possibles que la pathologie aux conflits
qui le traversent. Le travail d’élaboration peut
permettre de rendre intelligibles les orientations et les motivations
des salariés, les conflits peuvent être ramenés
à des enjeux de travail susceptibles d’être
expliqués et discutés avec autrui.
Le médecin du travail nourrit son diagnostic clinique de
ce travail spécifique. Il y adosse ses préconisations
médicales et en nourrit son action de prévention
collective primaire ou de sauvegarde.
La
clinique médicale du travail en quelques éléments
structurants [2]
Cette
clinique doit, pour remplir la mission liée à cet
exercice, avoir pour référence « Un modèle
de l’homme qui rende compte du travail du point de vue de
l’engagement actif du sujet et de ses enjeux de santé
(DAVEZIES) ». Confrontés à cette difficulté
académique, à partir des années 70, les médecins
du travail, en référence aux sciences humaines,
élaborent en commun une nouvelle clinique : « la
clinique médicale du travail ». Les bases théoriques
de cette clinique font donc de fréquents emprunts à
l’ergonomie, à la sociologie, à la psychologie
et la psychodynamique du travail.
1. La clinique médicale du travail
considère le travailleur comme un sujet en relation avec
son environnement de travail et sa dimension collective.
Pour sortir de l’approche classique et réglementaire
qui s’intéressent à la cause des risques mais
ignore les réponses activement produites par le travailleur
considéré comme passif, les médecins du travail
se rapprochent de l’ergonomie qui implique que « Il
n’y a pas de travail d’exécution. Tout travail
implique une mobilisation de l’intelligence » dit
A. WISNER.
Le travail n’est pas solitaire. Il se déroule dans
un environnement humain collectif. Cela impose de prendre en compte
la dimension sociale de l’activité de travail.
Ici, « le travail est l’activité coordonnée
entre les femmes et les hommes pour faire ce qui n’est pas
prévu par l’organisation du travail » (DAVEZIES).
Il y a donc un travail prescrit par l’organisation du travail
qui procède par instructions pour atteindre une tâche
à accomplir, et un travail réel déployé
par les travailleurs dans un contexte collectif et qui engendre
des échanges sur « comment faire » et «
comment faire ensemble » afin de parvenir à un résultat
faisant l’objet d’un consensus entre eux.
2. La clinique médicale du travail
postule que la santé se structure autour du pouvoir d’agir.
Elle analyse par conséquent ce qui s’oppose au pouvoir
d’agir du sujet.
Dans
l’esprit de l’article L1111-4 du code de la santé
publique, cette clinique considère que « la souffrance
est l’amputation du pouvoir d’agir » et «
qu’être en bonne santé c’est avoir les
moyens d’un cheminement personnel et original vers un état
de bien-être physique, mental et social ». «
La santé est un pouvoir d'action sur soi et sur le monde
gagné auprès des autres. Elle se rattache à
l’activité vitale d'un sujet, à ce qu'il réussit
ou non à mobiliser de son activité à lui
dans l'univers des activités d'autrui et, inversement,
à ce qu'il parvient ou pas à engager des activités
d'autrui dans son monde à lui ».
3. La clinique médicale du travail
considère que le sujet construit son identité à
travers des activités qui participent de son accomplissement
de soi en étroite interaction avec les autres.
La Clinique Médicale du Travail intègre cette dimension
subjective et vécue de l’activité de travail
et explore ses relations.
La réalité mouvante impose de mobiliser d’autres
ressources que des savoirs techniques. La relation dynamique aux
objets du travail est incorporée. Des savoirs faire acquis
d’expériences antérieures sont intégrés
dans cette mémoire du corps.
Ne pas pouvoir exprimer ces relations indique une résistance
au sens de la psychopathologie du travail.
4. La clinique médicale du travail
cherche à comprendre ce qui se joue pour le travailleur
dans ce cadre et ce qui s’oppose à son projet.
Le travailleur agit sous le regard des autres, avec eux, dans
un système de valeurs partagées, en espérant
être reconnu et en s’affrontant à la réalité
pour atteindre un résultat qui fasse référence.
C’est la résistance à cette activité
qu’oppose l’organisation du travail et l’impossibilité
d’accomplir ce qu’on voudrait faire ou d’aboutir
au résultat qui pèse sur la santé du salarié
:
«
Le réel de l’activité c’est aussi ce
qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas faire, ce qu’on
cherche à faire sans y parvenir – les échecs
-, ce qu’on aurait voulu ou pu faire, ce qu’on pense
ou qu’on rêve pouvoir faire ailleurs. Il faut y ajouter
– paradoxe fréquent – ce qu’on fait pour
ne pas faire ce qui est à faire ou encore ce qu’on
fait sans vouloir le faire. Sans compter ce qui est à refaire.
» (Y. CLOT)
L’organisation est en désaccord avec le résultat
du travail que je cherche à atteindre ou supprime mes marges
de manœuvre ou ne me donne pas les moyens nécessaires.
Elle isole chaque salarié en l’individualisant ou
empêche le travail en commun ou la construction de valeur
commune sur le travail et la façon de le faire.
L’organisation est en désaccord avec ce que j’estime
être la qualité et le résultat de mon travail
ne reconnaît pas ma valeur ou l’utilité de
mon travail. L’isolement ne permet plus la reconnaissance
symbolique de mon travail.
5. La Clinique médicale du travail
identifie et prend en compte les défenses du sujet contre
sa souffrance
La psychodynamique du travail décrit les processus de pensée
inconscients qui permettent au sujet de mettre à distance
la souffrance. Elles les nomment: processus de défense,
stratégies défensives, idéologies défensives
(déni péjoratif de l’encadrement, faire le
Mal pour le Bien…).
Ces processus inconscients comprennent les somatisations.
Le diagnostic du lien santé-travail
Le diagnostic positif repose sur le recueil systématique
des indicateurs de santé mentale en rapport avec le travail
et peut s’appuyer sur des examens complémentaires
de spécialité. Il prendra en compte les altérations
« discrètes, paradoxales: (démobilisation
professionnelle, hyperactivité) mais aussi les atteintes
camouflées (TMS et psychosomatiques).
Le diagnostic étiologique permet de relier les atteintes
à la santé au repérage des situations de
travail pathogènes. C’est le résultat du travail
d’élaboration (« voit- on le salarié
travailler? »). Toute identification d’une pathologie
doit s’accompagner de la description de ce qui l’influence
négativement du côté du travail. La pathologie
est alors en rapport avec le travail et reliés à
des caractéristiques de l’organisation du travail.
Le diagnostic étiologique s’élabore en référence
avec la situation des autres travailleurs. Il doit être
le plus précis possible pour préparer l’intervention.
Les
écrits du médecin du travail [3]
1-Le point de vue de la clinique
C’est à partir de l’activité clinique
que les médecins du travail instruisent le lien santé-travail
et que leurs écrits peuvent permettre la mise en visibilité
des atteintes à la santé liées au travail.
Depuis quelques années, ces écrits ont évolué
à partir de la clinique médicale du travail.
Le travail clinique des médecins du travail produit d’autres
connaissances sur le lien santé-travail que celles qui
leurs ont été enseignées dans leur spécialité
médicale. L’activité clinique en donnant la
parole aux salariés permet une redistribution de l’expertise
sur les questions du travail, et de nouvelles modalités
de production de connaissances.
L’analyse clinique ne sépare pas les conditions de
travail des salariés de l’évolution des rapports
sociaux du travail et des organisations du travail, ni des conflits
qui les accompagnent, y compris au sein même de la santé
au travail.
2- Clinique, droit et déontologie
Dans son activité médicale, le médecin du
travail est face à un sujet qui est à la fois salarié
lié par un lien de subordination dans le cadre du contrat
de travail, mais aussi agent ou opérateur engagé
subjectivement dans une activité de travail et qui est
aussi patient invité à ou sollicitant une consultation
médicale en santé au travail.
La
mission du médecin du travail, l’objet et le sujet
de son activité, c’est la mise en visibilité
du lien santé-travail. Les écrits du médecin
du travail prennent appui sur une démarche clinique qui
ne se substitue pas à l’action du salarié,
mais qui vise, par le travail d’élaboration du sujet,
à la reconstruction de sa capacité à penser,
débattre et agir.
Mais
ces écrits nécessitent un éclairage spécifique
du côté du droit du travail, du code de la santé
publique et de la déontologie. Ceci nécessite de
partir du travail prescrit, des textes réglementaires,
du code de déontologie avant d’aborder la démarche
clinique et les écrits en référence aux pratiques
cliniques.
[1]Extraits
du 5° colloque E-PAIRS colloque E-Pairs /a-SMT sur la clinique
médicale du travail-juin 2013- thème 3,
Odile RIQUET, Dominique HUEZ
[2]Extraits
du 5° colloque E-Pairs/a-SMT sur la clinique médicale
du travail- juin 2013 -thème 1, Alain CARRE, Nicolas
SANDRET, Huguette MARTINEZ
[3]Extrait
du colloque E-PAIRS de juin 2014 sur les écrits du médecin
du travail et le lien santé –travail- (introduction) |
Supports
aux interventions des Médecins du travail référents
I- Développer la coopération
entre médecins du travail et médecins généralistes
II- La coopération du
médecin du travail et du médecin de pathologie
professionnelle.
IV-Faciliter la coopération
du médecin du travail avec le psychiatre en tenant la
question du travail
I- Développer la coopération
entre médecins du travail et médecins généralistes
Gérard Lucas, médecin du travail
état des lieux. La prise en charge de la santé
au travail des salariés est très variable. Une
attribution des prestations aux travailleurs est tacite entre
les médecins généralistes qui prescrivent
les soins et les arrêts de travail et les médecins
du travail qui préconisent des adaptations des ou aux
postes de travail. Mais cette répartition n’assure
pas toujours la complémentarité utile à
la préservation de la santé, à l’insertion
au travail et l’interpellation du travail. Les échanges
entre les deux professions sont relativement rares, et souvent
trop limités pour accompagner l’appropriation d’une
compréhension par le salarié en difficulté
qui lui permette un pouvoir d’agir. Ce sont plus des fonctionnements
parallèles que coopératifs. Et la coopération
s’impose de plus en plus face aux contrôles restrictifs
du système d’assurance maladie sur les parcours
de soins et les arrêts de travail, face aux nouvelles
exigences et à l’intensification du travail, face
aux attentes dans la société.
Des exemples de coopérations existent. Il reste à
les formaliser, les construire et les développer.
a- Besoins et atouts de la coopération
entre médecins généralistes et médecins
du travail
Entre le travail réel et le vécu
du travail du salarié d’une part, les conditions
de travail et la connaissance de l’entreprise d’autre
part, les deux professions sont des repères essentiels
pour la préservation de la santé au travail. La
santé globale du travailleur et de sa sphère privée
sont plus accessible au généraliste, et le médecin
du travail est le mieux à même d’approcher
les liens santé travail dans un environnement déterminé.
Par leur formation et leur spécialité, les deux
professions ont la compétence pour catégoriser
les atteintes à la santé par leurs connaissances
théoriques et les accès aux résultats des
techniques spécialisées, et dans leur posture
d’écoute clinique, les deux professions sont à
même d’entendre en empathie le vécu du travail
du salarié. Mais les atouts et les limites des deux métiers
ne sont pas les mêmes : le médecin du travail peut
avoir besoin de tenir compte de la santé globale du travailleur
dont l'appréhension ne lui est pas entièrement
possible. le médecin généraliste peut avoir
besoin pour l'accompagnement de son patient de connaître
les conditions de travail concrètes qui interagissent
avec sa santé autrement que par ses dires et que par
la connaissance empirique. le travailleur-patient a besoin de
la compréhension mutualisée de ces deux interlocuteurs
pour la cohérence de leur accompagnement dans les prescriptions
ou les préconisations d'aménagement de poste ergonomique
ou organisationnel…, a fortiori pour des décisions
d'inaptitude à la demande du salarié.
b- Les manques de coopération
préjudiciables au travailleur-patient.
Les incongruences des décisions d’accompagnement
ne sont pas toujours discutées. Exemples :
• Non délivrance d’unarrêt
de travail par un généraliste chez un travailleur
qui présente une atteinte invalidante qui risque de s'aggraver
au travail ou de détériorer le lien à l'environnement
de travail du salarié pour des affections aussi diverses
qu’un épisode infectieux ou métabolique,
un Trouble Musculo Squelettique, une phase dépressive
ou tout autre décompensation psychique.
• Pas d'investigation par le médecin
du travail du lien santé au travail d'un salarié
dont l'absence d'aménagement du poste est une entrave
à la préservation de sa santé, par des
charges physiques, des nuisances ou une organisation du travail
à Risque Psycho Social impactant ce salarié ou
d’autres.
• Les salariés, face à
l’ambiguïté ou l’ambivalence des réponses
incohérentes ou incomplètes des médecins,
ne sont pas toujours en mesure de choisir. Ils peuvent être
en position de consommateurs de prescriptions ou d'avis à
court terme, pas forcément synergiques, parfois contradictoires.
Heureusement la plupart des salariés ont un bon sens
et une stratégie solide. Mais des situations de passivité
ne permettent pas la reconquête d'un pouvoir d'agir personnellement
et collectivement. Un salarié peut aussi être dans
la manipulation de la non coopération pour des bénéfices
secondaires de l'invisibilité de son travail.
c- Attentes de la coopération
entre les deux métiers.
Si le travailleur-patient est devenu enfin
selon la loi et l’éthique le décideur de
son parcours de santé, c’est avec l’éclairage
des professionnels qu’il peut prétendre à
un consentement éclairé et prendre toute sa place
d’acteur. Mais pour cette éclairage, il est en
droit d’attendre un éclairage mutuel des deux professions
de santé.
Le médecin du travail attend la prise en compte par le
médecin généraliste des conditions de travail
réelles de l'entreprise du salarié. Il peut avoir
besoin de comprendre l'effet des choix thérapeutiques
sur le travailler du salarié.
Le médecin traitant peut avoir besoin d'une confirmation
objective du positionnement d'un salarié dans une entreprise,
de la réalité des contraintes de travail, des
potentialités d'insertion, de réinsertion, de
modifications et/ou d'aménagements de postes compatible
avec la préservation et/ou la construction de la santé
de son patient.
d- Pour coopérer, le médecin
généraliste et le médecin du travail doivent
construire la confiance.
La confiance du salarié et la confiance
entre eux.
Chacune des deux professions doit aussi donner à voir
de ses règles de métiers, de sa pratique, de ses
possibilités et de ses limites dans les institutions
et l’environnement de l’entreprise et de la société.
Les contraintes de moyens notamment doivent être opposables
sans être une résignation à l’abandon
de la prise en charge.
Le médecin généraliste doit afficher ses
conditions d’exercice et rappeler par exemple les exigences
normatives portées par les organismes de sécurité
sociales et les médecins conseils.
Le médecin du travail se doit de rappeler sa subordination
organisationnelle, les limites de mobilisation des conditions
de travail. Il doit veiller aussi à l’accessibilité
de ses coordonnées par le salarié et le médecin
généraliste, pas toujours évidentes.
Les deux ont à prendre en compte les limites de la reconnaissance
des prises en charge des pathologies professionnelles et des
atteintes à la santé dans nos institutions sans
renoncer à explorer et dire la santé au travail.
Les deux ont à affirmer leur espace d’indépendance
et de possibilités d’initiatives.
Dans le colloque singulier avec le patient ou le salarié,
la suggestion d'une coopération confiante est capitale,
au-delà des rivalités professionnelles
e- Comment ? Quelle formalisation de
ces échanges coopératifs ?
• Les échanges écrits
sont certainement indispensables dès qu'il y a enjeu.
La pratique de la lettre au confrère remise ouverte à
l'intéressé travailleur, parce qu'elle lui est
opposable, est-elle toujours possible ?
• Les échanges téléphoniques
ou courriellés entre confrères doivent être
demandés et annoncés.
Les écrits du médecin du travail doivent éviter
le « jugement » du sujet ou de l'environnement ou
l’encadrement de travail. La description et la catégorisation
des éléments du travail qui font difficulté
à la santé devraient être précises
et dépourvus de jugement.
Les écrits du médecin généralistes
doivent tenir la santé de son patient en respectant l’approche
du travail réel..
Un objectif à rechercher : la compréhension et
le pouvoir d’agir du patient travailleur.
Deux écueils à éviter : le déni
ou la non prise en compte de la place du travail dans l’atteinte
à la santé du patient. L’exclusivité
de l’interprétation du travail dans une génèse
complexe individuelle et d’itinéraire environnemental.
Ses pratiques d’échanges sont
à déployer, à discuter, pour élaborer
des repères de coopération dans nos deux métiers.
II- La coopération
du médecin du travail et du médecin de pathologie
professionnelle.
Mireille Chevalier, médecin du travail
Table ronde médecine du travail / consultation
pathologie professionnelle
C’est
le plus souvent à la demande du médecin du travail,
que le salarié va en consultation de pathologie professionnelle.
Le médecin du travail peut avoir besoin de l’appui
du consultant pour arriver à finaliser un diagnostic
difficile, pour conforter son point de vue clinique ou pour
avoir un avis complémentaire et argumenté sur
une décision d’aptitude difficile à prendre.
Le
médecin du travail doit rechercher l’adhésion
du salarié, et doit donc exposer clairement à
ce dernier les raisons qui nécessitent le recours à
la consultation de pathologie professionnelle. C’est de
cette façon que le salarié pourra aborder de façon
constructive la relation avec le consultant, et apporter toute
sa connaissance de son travail, de sa pathologie et tous les
éléments de son ressenti.
Le
rendez-vous de consultation de pathologie professionnel passe
par un écrit motivé de la part du médecin
du travail pour expliquer la problématique et ce qu’il
attend de l’aide de son confrère. Il va donc s’attacher
à résumer l’histoire de la problématique,
la symptomatologie, les résultats des examens déjà
pratiqués et les actions déjà entreprises.
Mais cet écrit doit permettre également de faire
comprendre au consultant les enjeux que vit le salarié
dans son travail et qui constituent des éléments
de compréhension indispensables pour l’analyse
du lien santé travail. Ce courrier peut également
servir de point d’étape pour le salarié,
avant d’aborder le point de vue d’un autre professionnel.
Ce
dernier aura en effet besoin des informations venant du médecin
du travail comme du salarié pour appréhender le
travail, son contexte, son organisation, et qui font toute la
différence avec le travail théorique.
Cette
coopération entre professionnels de santé au travail
doit pouvoir se construire et s’améliorer dans
l’intérêt du patient salarié. De nombreuses
questions se posent : comment favoriser les échanges,
de quoi peut avoir besoin le consultant, comment garder le salarié
au centre des échanges en toute confiance et avec sa
participation active, jusqu’où peuvent se faire
les transmissions du médecin du travail en respectant
le secret professionnel, jusqu’où peut aller le
consultant sans usurper le rôle du médecin du travail…
1. Les préalables à la coopération
du médecin du travail avec le consultant de patho pro
1.1. Quel rôle attendre du consultant
patho pro:
Le consultant peut être sollicité
en appui au médecin du travail au service de la santé
du salarié avec sa participation ou son consentement
éclairé. Le médecin du travail peut alors
avoir besoin du soutien du consultant pour faire comprendre
un point de vue au salarié. Par exemple, pour s’assurer
que le boulanger allergique à la farine a bien compris
tous les enjeux de la pathologie afin de prendre une décision
d’aménagement de poste ou de départ dans
l’entreprise. Dans un autre cas, ce soutien peut être
recherché pour conforter le salarié dans le diagnostic
d’une maladie professionnelle. Alors que l’activité
contraignante ou pathogène a bien été identifiée
par le médecin du travail et le salarié dans un
travail participatif d’anamnèse, le salarié
peut s’avérer inquiet devant le diagnostic médical.
Dans tous ces cas, le consultant est plutôt sollicité
pour lui permettre d’avoir un deuxième avis a but
de confirmation.
Le consultant peut également apporter son savoir pour
aider le médecin du travail. Parfois, le médecin
du travail se sent incompétent pour trancher ou répondre
à une question du salarié concernant une pathologie
particulière. Il a besoin de l’avis du consultant
en tant que sapiteur pour pouvoir reprendre le dialogue avec
le salarié aec les éléments de savoir qui
lui manquaient. Ce peut-être par exemple un problème
de suspicion d’allergie à un certain produit ou
de toxicité pour un produit qu’il ne connaît
pas complètement. La demande peut également être
un avis concernant une image ambiguë au scanner vis à
vis d’une notion d’exposition à l’amiante.
Le médecin du travail et le salarié ont alors
besoin de l’avis d’un consultant « expert
» qui pourra trancher sur la présence ou non d’une
plaque pleurale par exemple. Le médecin pourra ensuite
mener avec le salarié les démarches de déclaration
de maladie professionnelle et de réparation auprès
du FIVA.
Enfin le médecin peur faire appel au consultant de patho
pro en tant qu’expert, pour trancher sur une décision
d’aptitude. Lorsque le médecin du travail hésite
sur la décision d’aptitude ou d’inaptitude
qu’il doit formuler, il va solliciter l’ «
expertise » du consultant. La décision finale sera
bien entendue prise ultérieurement avec le salarié,
en s’appuyant sur l’avis du consultant.
1.2. Comprendre et connaitre les connaissances
du consultant sur la clinique médicale du travail
Lorsque le médecin du travail fait
appel à un consultant de pathologie professionnelle,
il doit avant tout, pouvoir repérer le positionnement
de ce dernier concernant la clinique médicale du travail.
Un rejet de cette dernière par le professionnel, limiterait
fortement la coopération et gênerait une demande
motivée par le besoin d’appui du médecin
du travail. Cela nécessiterait alors que le médecin
du travail fasse un effort supplémentaire d’explication
de sa clinique médicale lorsqu’il adresse un salarié.
Sinon, l’apport du consultant de pathologie professionnelle
risque de se limiter à l’apport d’un sachant
dans le travail d’élaboration et de compréhension
du médecin du travail avec le salarié.
Au contraire, un consultant de pathologie professionnelle qui
s’attache à construire avec son patient le lien
santé travail et qui maîtrise la clinique médicale
du travail va pouvoir très facilement s’intégrer
dans un travail collectif médecin du travail-salarié-consultant.
1.3. La construction et la préservation
de la « confiance » entre le médecin du travail
et le salarié
Le médecin du travail va d’abord
rechercher l’adhésion et la compréhension
du salarié pour le recours à une consultation
de pathologie professionnelle. Le salarié doit bien entendu
être consentant pour aller en consultation de pathologie
professionnelle et accepter les contraintes de disponibilité.
Mais il doit surtout être volontaire et bien tout comprendre
les enjeux de cette consultation. Le médecin du travail
doit accepter de livrer au salarié le fond de sa pensée
et surtout ses doutes et ses interrogations. L’intéressé
doit comprendre pourquoi il voit un autre spécialiste.
Le salarié doit comprendre et admettre que le médecin
du travail lui propose de voir un consultant de pathologie professionnelle
pour que lui, salarié, soit conforté par un deuxième
avis de spécialiste. Il aura alors le sentiment que son
médecin prend bien en compte ses interrogations et ses
angoisses, et prend la peine de le rassurer.
De même, le médecin du travail doit pouvoir expliquer
au salarié qu’il a besoin d’un avis de spécialiste
plus compétent pour affiner son diagnostic ou ses connaissances
sur une pathologie avant de prendre une décision.
Enfin, le recours au consultant comme « expert »
dans une problématique d’aptitude doit être
parfaitement compris par le salarié qui risque de croire
que cet avis s’impose comme dans une expertise classique.
Le médecin du travail devra bien expliquer que l’avis
du « sachant » sera revu avec le salarié,
discuté à la lumière de la réalité
du travail et des besoins du salarié, pour une décision
nécessitant le consentement éclairé de
ce dernier.
La confiance avec le salarié passe par
la connaissance des écrits adressés au consultant
de pathologie professionnelle. Le courrier remis au salarié
à destination du professionnel qu’il va consulter
ou envoyé au consultant avec copie au salarié
prouve à ce dernier la volonté du médecin
du travail de l’associer à la démarche,
en toute transparence. C’est le moyen de montrer au salarié
que les médecins veulent construire avec lui les moyens
de prévenir sa santé au travail et non contre
ou malgré lui.
2. La place centrale de l’instruction
du travailler individuel et collectif pour coopérer avec
un consultant en patho pro
2.1. Qu’est-ce que le médecin
du travail attend du consultant
Il est important que le consultant de pathologie
professionnelle comprenne que le médecin du travail attend
un travail de collaboration autour de la problématique
du patient et non un avis de sachant qui doit être suivi
sans autre considération. Le médecin du travail
sait qu’il est le mieux placé pour connaître
le travail réel du salarié et pour appréhender
le lien santé travail. Le médecin fait donc appel
au consultant pour lui apporter un avis qui va conforter ou
aider dans son diagnostic de ce lien santé travail, et
c’est ce qu’il doit faire comprendre au consultant
auquel il fait appel.
2.2. Comment apporter la question du travail
dans le recours à la consultation de pathologie professionnelle
La question est bien de savoir comment donner
au professionnel sollicité toutes les clés de
compréhension autour du travail. Les éléments
du poste, les gestes, les actions et les modes d’utilisation
des outils et des produits sont des données qui sont
facilement acceptées par le consultant et dont il est
même demandeur. Il n’hésitera pas à
demander des précisions au salarié s’il
l’estime nécessaire. Les données de la clinique
médicale du travail concernant la partie du « vécu
réel » du salarié et des pratiques éloignées
du process et du prescrit sont plus difficiles à aborder
et nécessitent de s’être assuré de
la disponibilité d’écoute et de compréhension
de la part du consultant.
2.3. Donner à voir une pratique de clinique
médicale du travail pour faciliter l’approche du
consultant en faveur du salarié :
Il s’agit bien de donner à voir
l’histoire de l’engagement et du vécu du
salarié dans son activité de travail au long d’une
histoire professionnelle, et donc toute l’intimité
du salarié dans son activité de travail. A travers
son parcours, ce qu’il vit et ce qu’il cherche dans
le travail actuel, ses relations avec ses pairs, il engage son
corps et sa santé dans le travail. Cet aspect est donc
indispensable à connaître pour appréhender
pleinement le rôle du travail dans un processus pathologique.
Si le consultant est réceptif et rentre dans cette démarche
de compréhension commune de l’activité de
travail, son rôle va être conséquent puisqu’il
pourra ajouter un regard et un questionnement neuf au récit
du salarié et du médecin du travail.
Le médecin du travail devra apporter
également l’analyse du processus délétère
ou non de l’organisation ou des conditions de travail
pour la santé physique ou psychique du salarié
et du collectif de travail. Il s’efforcera de donner un
éclairage précis sur le management et l’organisation
de l’entreprise. C’est cette démarche qui
va permettre aux deux médecins et au salarié de
pouvoir faire apparaître la part de responsabilité
du travail dans l’apparition ou l’aggravation de
la pathologie du salarié. La compréhension et
l’analyse avec le salarié d’une organisation
de travail délétère, mettant les travailleurs
dans un état de concurrence, de conflits éthiques
et d’empêchement d’agir permettra aux médecins
et surtout au salarié de voir les conséquences
sur le comportement du collectif de travail et sur sa propre
santé.
2.4. Le médecin du travail doit donner
les éléments et les descriptions de travail pour
faciliter l’apport du consultant de pathologie professionnelle
dans la mise en évidence du lien santé-travail
(maladie professionnelle…)
Les écrits du médecin du travail visant à
faire partager au consultant les données de cette clinique
médicale du travail, vont permettre la mise en évidence
de l’origine du travail dans la symptomatologie développée
par le patient salarié. Ce dernier pourra comprendre
pourquoi il voit une aggravation de sa maladie auto-immune alors
qu’il était persuadé qu’il «
gérait » bien les agressions et le « stress
» au travail. Le consultant pourra l’aider à
faire le lien entre des pratiques particulièrement exposantes
aux poussières, nécessitées par l’obligation
de tenir des délais et la productivité, et les
troubles respiratoires qu’il ressent.
2.5. Le médecin du travail doit participer
à la recherche de solutions pour le salarié :
amélioration du poste de travail, suppression du risque
pathogène ou protection efficace contre ce risque.
Mais le consultant va avoir besoin du médecin du travail
pour rechercher avec le salarié les pistes acceptables
pour protéger le travailleur ou éliminer le risque.
Il ne va pas pouvoir se contenter des solutions théoriques,
mais il devra compter avec le point de vue du salarié
et les éléments de la réalité du
travail qui lui ont été fournis. Ainsi le médecin
du travail devra participer pleinement à la prise en
compte de toutes les pistes, avec leurs acceptations de la part
du salarié et les stratégies à développer
pour les faire aboutir dans l’entreprise. Il est le seul
à pouvoir tenir cet aspect du problème, et doit
donc les apporter à la discussion avec le consultant
de pathologie professionnelle.
3. La coopération du médecin
du travail avec un médecin de pathologie professionnelle
; les règles professionnelles interrogées
3.1. Le médecin du travail, comme nous
l’avons vu en première partie, peut avoir besoin
du diagnostic du consultant pour différentes raisons
:
Affirmer un diagnostic de pathologie professionnelle,
car il a souvent besoin des connaissances ou des examens complémentaires
facilement accessibles au consultant pour affirmer un diagnostic
radiologique de silicose par exemple, de syndrome neurologique
des solvants, ou d’allergie spécifique.
Evaluer la gravité ou les conséquences
d’une pathologie. Il fait alors appel au consultant pour
évaluer de façon plus précise les conséquences
et la gravité d’une pathologie professionnelle
ou non, et appréhender de façon précise
les répercussions sur les capacités de travail
du salarié, voire anticiper les conséquences sur
la reprise du travail.
Préciser la toxicité d’un
produit, la morbidité d’un process, par exemple.
Le médecin du travail a parfois besoin de connaissances
pointues du consultant en matière de toxicologie, afin
de comprendre ou de rechercher les symptômes développés
par le travailleur suite à une intoxication aigue ou
chronique. De même certaines techniques de production
peuvent libérer des produits dont il ne maîtrise
pas forcément tous les composants et toutes les conséquences.
Le consultant peut être d’une aide précieuse
dans ces cas difficiles qui nécessitent des connaissances
particulières et des moyens de recherche dont ne le médecin
du travail ne dispose pas toujours.
4. La coopération du médecin
du travail avec un médecin de pathologie professionnelle
; les règles professionnelles interrogées
4.1. Le médecin du travail, comme nous
l’avons vu en première partie, peut avoir besoin
du diagnostic du consultant pour différentes raisons
:
Affirmer un diagnostic de pathologie professionnelle,
car il a souvent besoin des connaissances ou des examens complémentaires
facilement accessibles au consultant pour affirmer un diagnostic
radiologique de silicose par exemple, de syndrome neurologique
des solvants, ou d’allergie spécifique.
Evaluer la gravité ou les conséquences
d’une pathologie. Il fait alors appel au consultant pour
évaluer de façon plus précise les conséquences
et la gravité d’une pathologie professionnelle
ou non, et appréhender de façon précise
les répercussions sur les capacités de travail
du salarié, voire anticiper les conséquences sur
la reprise du travail.
Préciser la toxicité d’un
produit, la morbidité d’un process, par exemple.
Le médecin du travail a parfois besoin de connaissances
pointues du consultant en matière de toxicologie, afin
de comprendre ou de rechercher les symptômes développés
par le travailleur suite à une intoxication aigue ou
chronique. De même certaines techniques de production
peuvent libérer des produits dont il ne maîtrise
pas forcément tous les composants et toutes les conséquences.
Le consultant peut être d’une aide précieuse
dans ces cas difficiles qui nécessitent des connaissances
particulières et des moyens de recherche dont ne le médecin
du travail ne dispose pas toujours.
Le médecin du travail a, dans certaines
circonstances, besoin de l’avis écrit du consultant
de pathologie professionnelle :
Cet écrit peut assoir ou faire partager
une décision de médecin du travail. Ce dernier
peut ainsi dans certaines circonstances, lors d’alertes
ou d’avis concernant la prévention collective,
s’appuyer directement sur le rapport du consultant de
pathologie professionnelle pour donner du poids à son
argumentation et pousser l’entreprise à agir.
Il peut constituer un élément
du dossier médical du salarié, confortant sa décision
d’aptitude/inaptitude au poste, dans des cas difficiles,
alors que le médecin du travail craint une contestation
de la part de l’employeur.
Il peut aider à convaincre le salarié
du bien-fondé de la décision du médecin
du travail dans le cadre de la recherche de son consentement
éclairé. Le travailleur sera plus facilement convaincu
et rassuré par un avis motivé d’un autre
professionnel de santé au travail, allant dans le même
sens. Cela peut concerner une décision d’inaptitude,
de demande de reclassement de poste, ou une incitation auprès
du salarié pour qu’il fasse une démarche
de reconnaissance de travailleur handicapé, de reclassement
professionnel ou autre.
5. Comment améliorer la coopération
entre médecin du travail et le consultant de pathologie
professionnelle :
Pour toutes les raisons que nous avons développées
plus haut, même si les relations entre les deux professionnels
sont satisfaisantes à premier abord, il est toujours
utile et intéressant d’améliorer le travail
coopératif entre médecin du travail et consultant
de pathologie professionnel. Pour cela, on peut étudier
plusieurs pistes :
5.1. Pouvoir échanger avec le consultant
de pathologie professionnelle pour lui apporter des éléments
du travail connus par le médecin du travail, dans les
cas difficiles
Les échanges entre professionnels restent
des moyens incontournables de collaboration. Ils relèvent
de la déontologie et s’avèrent toujours
productifs car susceptibles de lever des ambiguïtés,
voire des incompréhensions. Ces échanges nécessitent
de prendre le temps d’écrire, de téléphoner,
de préciser sa pensée et ses attentes. Autant
un premier écrit explicatif va toujours de soi, autant
les échanges pour demande de précision, débat
en cas de désaccord, ou autre, sont parfois plus difficiles,
ils nécessitent d’établir un véritable
climat de confiance entre les médecins et avec le salarié.
5.2. Mettre le salarié au cœur
des échanges entre praticiens.
Car à tout moment de ces échanges,
le travailleur doit rester informé et actif, donc donner
son accord et son avis. Il en va du respect de la déontologie,
mais surtout de l’intérêt du travail car
le but est bien de redonner du pouvoir de décision et
d’agir au salarié en termes de sa santé
au travail.
Cela nécessite une attention particulière pour
le médecin du travail parfois surchargé qui pourrait
avoir tendance à régler ses dossiers en oubliant
d’impliquer complètement le salarié qu’il
n’a pas toujours les moyens de contacter facilement.
5.3. Etre bien clair sur qui fait quoi dans
les investigations ou les démarches :
Certains médecins du travail pourraient
reprocher au consultant de pathologie professionnelle de prendre
sa place, en prenant la responsabilité de la prescription
d’examens complémentaires à plus ou moins
long terme dans les suites de la pathologie ou pour la mise
en place d’un suivi post professionnel par exemple. Les
mêmes questions se posent pour les déclarations
de MP ou MCP, la nécessité d’un suivi particulier
ou la relation avec le médecin traitant.
Mais tout cela nécessite un échange et une conduite
à tenir claire à mettre en place entre les deux
praticiens. Les pratiques doivent être discutées
et expliquées, puisque les points de vue divergent entre
les médecins du travail eux-mêmes. On sait bien
par exemple que tous les médecins du travail ne s’accordent
pas sur la nécessité de faire eux-mêmes
les certificats de maladie professionnelle, le consultant ne
peut donc pas deviner les pratiques de chaque médecin
du travail.
C’est donc dans l’échange et la mise au point
que l’on évitera les malentendus, les doublons
ou les ratés qui peuvent être préjudiciables
au salarié et qui sont toujours nuisibles à la
collaboration et au travail collectif.
5.4. Ne pas hésiter à faire un retour
avec le consultant à la fin de la prise en charge du
salarié
La collaboration entre médecins passe également
par l’échange critique des difficultés rencontrées
lors de l’accompagnement de tel ou tel salarié.
C’est ainsi que les médecins pourront rechercher
ensemble les améliorations pour une meilleure prise en
charge ultérieure. Cela passe souvent par de petits détails
pratiques, la prise en compte des emplois du temps ou des contraintes
de chacun.
Il faut pour cela également que chaque médecin
puisse accepter la critique ou entendre les besoins de l’autre.
Il est intéressant que le médecin du travail fasse
l’effort de donner des nouvelles ou des informations sur
les suites de tel ou tel dossier, afin que le consultant se
sente concerné mais surtout qu’il puisse avoir
un retour du terrain qui puisse lui permettre d’améliorer
sa pratique.
IV-Faciliter la coopération
du médecin du travail avec le psychiatre en tenant la
question du travail
Dominique Huez, médecin du travail
Le médecin du travail a besoin de coopérer avec
un psychiatre pour recueillir un avis diagnostic quand il est
dans l’embarras pour accompagner la construction ou la
préservation de la santé au travail d’un
salarié. Mais aussi pour mieux cerner ce qu’il
considère comme une psychopathologie du travail, ou pour
assoir ou discuter avec le psychiatre une décision de
médecin du travail ; ou pour communiquer au psychiatre
son avis éclairé dans le cadre d’une prise
en charge thérapeutique parce qu’il le juge alors
nécessaire.
1- Règles de métier en médecine
du travail, construction de la confiance avec le salarié
Permettre au psychiatre de comprendre le « métier
» du médecin du travail.
Le travail est la grille de compréhension
du médecin du travail. Il agit exclusivement du point
de vue de la construction ou de la préservation de la
santé au travail du sujet. Il peut contribuer à
remettre le travail réel et le « travailler ensemble
» en débat au centre du projet d’amélioration
de l’organisation du travail. Il donne à comprendre
de mécanismes délétères précis
du côté du travail pour en prévenir les
causes. Il permet ainsi à l’employeur de mieux
répondre à son obligation de sécurité
de résultat. Le médecin du travail n’est
pas en charge ni comptable, des contraintes économiques,
contrairement à l’ensemble des acteurs de l’entreprise.
- Les Préconisations médicales
sont émises dans l’intérêt exclusif
de la santé du salarié. La fiche de suivi médical
peut faire état du lien entre le changement d’organisation
et l’altération de la santé du salarié.
La Préconisation médicale, véritable ordonnance
médicale, y est rédigée exclusivement pour
la santé du salarié. Elle lui permet une sauvegarde
de sa santé individuelle et d’être acteur
de la transformation de son travail, en remettant le travail
réel au centre de son action et la possibilité
d’une mise en délibération collective des
difficultés de ce travail. Cette pratique s’oppose
à la sélection médicale de la main d’œuvre.
- La Veille médicale collective
collige les données anonymes des suivis cliniques
individuels. Elle a pour projet de préserver la santé
altérée avant l’atteinte pathologique, de
comprendre certains aspects délétères du
travail. Pour les sujets fragilisés, elle peut permettre
à l’organisation du travail d’évoluer
en un sens plus respectueux de la santé des femmes et
des hommes. Cette veille médicale permet de rendre compte
à la communauté de travail, direction, représentants
du personnel, collectifs de travail, du risque de certaines
organisations du travail et des rapports sociaux qui s’y
nouent.
- Le devoir d’alerte du médecin
du travail est la cristallisation de la veille médicale.
L’alerte médicale a pour objet de prévenir
les situations de travail qui font grande difficulté,
dispute ou empêchement. Elle est nécessaire du
fait de la gravité d’une situation individuelle
emblématique, elle concerne aussi les situations de collectifs
de travail que le médecin du travail considère
comme graves. Ce qui est visé est la reconnaissance de
ces situations concrètes de travail pour mettre en débat
les questions d’organisation du travail et pour faciliter
leur transformation dans un sens favorable à la santé.
Le médecin du travail devrait ainsi rendre visible et
intelligible au psychiatre ses préconisations et actions
sur le travail, comment il pense intervenir, qu’il s’agisse
d’une intervention individuelle ou collective, pour lui
permettre de se repérer dans l’action de préservation
ou de sauvegarde de la santé exercée par le médecin
du travail comme l’exige sa « mission » régalienne.
La construction de la « confiance » entre le
médecin du travail et le salarié est essentielle
pour faciliter la coopération avec le psychiatre.
L’information de chaque travailleur concernant
le lien éventuel entre les risques du travail et leurs
effets négatifs sur sa santé relève du
droit du patient garanti par le Code de la santé publique
et traduit également dans le Code du travail. C’est
une obligation déontologique pour chaque médecin
du travail, le salarié-patient étant bien au centre
de la relation médicale.
Il ne peut y avoir de développement d’une pratique
clinique en médecine du travail dont le déploiement
d’une clinique médicale du travail sans l’instauration
de la « confiance » avec le salarié-patient.
C’est par son intermédiaire que sont communiquées
entre médecins les informations concernant sa santé
au travail. Evidemment les règles de la préservation
du secret médical l’exigent, mais c’est leurs
conséquences déontologiques qui sont essentielles
car c’est sa santé qui est bien l’objet de
cette coopération. Cette modalité de transmission
lui symbolise et prouve que c’est bien lui qui est au
centre des relations de coopération entre les deux spécialistes
médicaux.
La place de l’écrit médical comme support
à la coopération professionnelle est essentielle.
Quel juste nécessaire écrire
dans l’intérêt de la santé du patient
et dans le respect de l’observance du secret médical
s’imposant aux deux praticiens ? Pas facile avec la psychiatrie,
spécialité médicale qui répugne
à enfermer une prise en charge clinique dans un écrit
diagnostic ! Et pourtant le médecin du travail ne doit
pas hésiter à passer à l’écrit.
C’est l’intérêt pour la santé
du destinataire de l’écrit médical qui en
détermine la forme dans l’instruction du lien santé-travail.
C’est l’exercice de l’écrit médical
dans la pluralité de ses formes et objets qui permet
de le déployer « quand nécessaire »,
dans les relations de coopération avec un psychiatre,
qui seront alors enrichies par ce que le médecin du travail
lui donnera à voir et comprendre.
Rédiger un « Ecrit médical » qui supporte
le diagnostic du lien santé-travail, selon les connaissances,
compétences et règles professionnelles d’une
spécialité est un acte en responsabilité
déontologique. C’est ainsi qu’un médecin
du travail procède pour la restauration de la santé
individuelle du patient en lui donnant acte de l’état
du travail clinique d’instruction du lien santé
– travail. Aussi dans les liaisons médicales dans
le cadre d’un processus de soin, pour la rédaction
d’un certificat médical initial d’un Accident
du Travail ou de Maladie Professionnelle, pour la rédaction
de l’avis du médecin du travail que lui demandera
un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies
Professionnelles, ou pour faciliter l’indemnisation d’un
préjudice.
Ce qui s’écrit dans le dossier médical s’inscrit
ainsi dans un cadre de droit, droit du travail, droits du patient,
missions réglementaires du médecin du travail.
Cela s’inscrit aussi dans un cadre déontologique,
et l’écrit médical doit donc être
utile au patient, au moins ne pas lui nuire et doit être
fondé sur les connaissances actuelles de la médecine
du travail.
La « fonction » du psychiatre doit être
clairement appréhendée par le salarié.
Le médecin du travail a intérêt
pour déployer au mieux « son métier »,
à comprendre et connaitre en les interrogeant, les règles
de métier des psychiatres, dans leur confrontation à
la question du travail et à la prise en compte de l’économie
du « travailler ». Mais ces règles dépendent
des différents métiers exercés en psychiatrie,
dont les modalités diverses ne sauraient être déployées
par un même psychiatre pour un patient donné, au
risque sinon d’un conflit d’intérêt
ou de présentation mensongère.
Ou il s’agit d’un psychiatre prodiguant des soins
au salarié, clairement inscrit dans la chaine de soins
et ayant donc été « choisi » par le
salarié, au service médical exclusif de la santé
au travail du patient et agissant donc avec son consentement
éclairé, sauf si le patient est temporairement
privé de la liberté de prendre soin de sa santé.
Ou il s’agit d’un psychiatre sapiteur, d’un
sachant choisi par le médecin du travail, intervenant
pour mieux l’éclairer médicalement. Le questionnement
du médecin du travail à son égard devrait
être accessible au salarié, la réponse de
ce sachant devra aussi lui être accessible, pour garantir
l’exercice en confiance de cet avis. Le salarié-patient
doit savoir sans ambiguïté qu’une éventuelle
« décision médicale » engagera la
seule responsabilité du médecin du travail, l’avis
du « sapiteur » ayant vocation à enrichir
le DMST au titre de la responsabilité de moyens du médecin
du travail.
Ou il s’agit d’un psychiatre expert dans
le cadre d’une procédure relevant d’une façon
ou d’une autre du « contradictoire ». Son
intervention ne concerne et n’engage en aucun cas le médecin
du travail. Le patient doit en être informé. Ce
type d’intervention peut procéder de multiples
causes. Elle peut s’inscrire dans un cadre d’expertise
« de droit » : droit procédural ou assurantiel.
Le médecin du travail se doit d’apporter tout éclairage
à ce sujet à son salarié patient et ne
peut évidemment transmettre aucune pièce médicale
ni écrit à ce psychiatre expert. Mais le salarié
à tout loisir de transmettre ou non tout élément
de son DMST.
2- La place centrale de l’instruction
du travailler individuel et collectif pour coopérer avec
un psychiatre
Un médecin du travail a pour projet
d’identifier la relation entre des altérations
de la santé d’un patient et des éléments
pathogènes de sa situation professionnelle. Il le comprend
avec le patient par son travail d’investigation clinique
inter-compréhensive. C’est le travail qui est pris
comme grille de lecture. Le travail clinique ne sépare
pas les conditions de travail du patient, de l’évolution
des rapports sociaux du travail et des organisations du travail,
ni des conflits qui les accompagnent, y compris au sein même
de la santé au travail. L’objectif du médecin
est de soutenir la réflexion du patient et de l’aider
à élaborer une parole propre sur les enjeux de
son travail. Pour nombre de médecins du travail, cette
clinique médicale du travail est centrale.
Le travail clinique du médecin du travail
a pour objet de l’éclairer et de permettre au salarié-patient
de comprendre ce qui peut faire difficulté dans son travail
au point de l’en rendre malade. Pour permettre au sujet
d’échapper au mécanisme qui le broie, il
faut lui permettre de comprendre le processus délétère
qui annihile sa capacité d’agir. Le médecin
du travail investigue donc la relation entre des altérations
de la santé d’un patient et des éléments
pathogènes de sa situation professionnelle. Il la comprend
avec le patient par son travail d’investigation clinique
inter-compréhensive. Il y soutient la réflexion
du patient et l’aide à élaborer une parole
propre sur les enjeux de son travail. C’est le travail
et l’engagement du sujet dans celui-ci qui y est investigué.
Au titre de l’indispensable anamnèse, l’histoire
de la santé au travail du salarié est reconstituée
avec lui pour en faire émerger des clés de compréhension.
Le sujet met en récit le travail prescrit, le travail
réel, son engagement. Le médecin fait raconter
dans le détail une situation de travail dans laquelle
le salarié a été mis en difficulté,
les premiers incidents qui l’ont malmené. L’émotion
surgit quand émerge une difficulté professionnelle
irrésolue. Ce travail clinique individuel passe par la
parole et repose sur sa possibilité de penser son travail
pour participer aux transformations des organisations du travail
et recomposer l’agir ensemble. L’objectif de ce
travail clinique est la reconquête par le patient de son
pouvoir d’agir afin de lui permettre de retrouver sa capacité
à construire sa santé au travail. Par cette pratique
clinique, le médecin appréhende mieux le travail
singulier du sujet, les effets irréductiblement personnels
du travailler ensemble. Cela permet de comprendre ensemble,
médecin et patient, les dynamiques de l’activité
de travail, le travail collectif, le déploiement ou non
d’un engagement subjectif dans le travail, ce qui y fait
difficulté.
Ce qui malmène le patient peut échapper à
sa compréhension, parce que la quotidienneté de
son travail le contraint « à faire avec »,
et donc à faire répression inconsciemment aux
affects trop douloureux qui en surgissent, « pour tenir
malgré tout ». Dans le récit des patients
sur leur travail, la honte à l’origine de souffrances
éthiques ne s’énonce pas. Elle émerge
en creux, dans ce qui ne peut se dire. Il y a alors de véritables
trous dans le récit du travail. L’explicitation
des conduites est alors incohérente. Le médecin
ne doit pas casser les défenses psychiques du sujet et
se garder des jugements moraux.
Donner à voir au psychiatre le processus
du « travailler ensemble » du collectif du travail
du salarié est aussi important. En quoi le patient s’y
arrime, ou le déstabilise. Comment éventuellement
il peut en être bouc-émissaire ? Certains psychiatres
pourraient investiguer la question du collectif de travail.
Le travail clinique peut permettre d’accéder en
toile de fond au collectif, parce que le récit produit
par le salarié met en scène le travailler collectif.
Mais il faudrait y déployer le temps nécessaire
et en acquérir une compétence spécifique.
Muni d’un avis argumenté sur le travail individuel
et collectif de ce salarié, d’un diagnostic concernant
son processus morbide et en quoi le travail y interfère
négativement ou positivement, de façon essentielle
ou secondaire mais y ancrant toutefois son économie du
travailler, le médecin du travail pourrait donner à
voir au psychiatre ses propositions à venir de «
traitement » du travail. Ainsi il pourra décrire
comment il pense intervenir, qu’il s’agisse d’une
intervention individuelle et/ou collective.
3- Diagnostiquer une psychopathologie du
travail : métier du médecin du travail, appui
du psychiatre si nécessaire
Le travail n’est jamais neutre pour la
santé mentale. Il peut devenir un médiateur dans
la construction de la santé. Mais il peut générer
le pire. Les nouvelles méthodes de gestion et de management,
l’évaluation individualisée des performances,
la qualité totale, la précarisation de l’emploi,
génèrent une « Souffrance éthique
» en consentant à participer à des actes
qu’on réprouve moralement. Cela peut ouvrir à
la honte et la haine de soi. Le Risque de l’Aliénation
professionnelle est présent. Le « système
» qui peut broyer fonctionne grâce au zèle
et dépend du consentement à le servir. Les stratégies
psychiques de défense occultent les sources de souffrances
réelles et permettent d’endurer. Mais elles peuvent
permettent le concours à une organisation intolérable.
Ce clivage défensif est alors érigé contre
le sens moral et fait agir dans le sens inverse de ce que le
sujet croit juste ou bien.
C’est de la compétence de la spécialité
de médecine du travail de faire le diagnostic des psychopathologies.
Dans les psychopathologies du travail « ordinaires »,
l’analyse du travail qui est la grille de lecture du médecin
du travail est généralement suffisante. Il en
investigue l’anamnèse professionnelle et le processus
délétère concernant le lien santé-travail
en s’adossant principalement à la clinique médicale
du travail.
Il pourra investiguer finement du côté du travail
les différents processus pathogènes des psychopathologies
du travail. Ainsi :
- Les Pathologies de surcharge, avec
les effondrements dépressifs, mais aussi le suicide par
surtravail (Karôjisatsu), et les conséquences somatiques
de cela : les maladies cardio-vasculaires par surtravail (Karôshi)
ou les TMS et rachialgies.
- Les Pathologies post-traumatiques
par Etat de Stress Traumatique Aigu ou Chronique
- Les Pathologies de la solitude par
Maltraitance professionnelle organisationnelle individuelle
ou collective et alors possiblement par Harcèlement ou
Mobbing (harcèlement par un groupe), conduisant aux décompensations
psychopathologiques, dépression réactionnelle
professionnelle ou au suicide.
Le médecin du travail pourra parfois
solliciter l’avis du psychiatre pour « affiner »
ce que le premier considère comme une psychopathologie
du travail, particulièrement pour argumenter un diagnostic
différentiel qui lui aurait échappé, pour
étayer ou infirmer un diagnostic de psychopathologie
du travail, pour rédiger un certificat médical
initial d’un AT-MP ou pour mieux rédiger ultérieurement
un écrit médical comme médecin du travail
pour que le salarié puisse comprendre ce qui lui arrive,
ouvrir des droits médico-sociaux.
4- La coopération du médecin
du travail avec un psychiatre : les règles professionnelles
interrogées
Le médecin du travail a besoin du diagnostic
du psychiatre pour exercer avec compétence son métier
de médecin du travail. Ainsi pour évaluer la gravité
d’une atteinte psychique ou évaluer le besoin d’une
prise en charge médicamenteuse.
Le médecin du travail peut juger essentiel de communiquer
au psychiatre son avis spécialisé éclairé
par la clinique médicale du travail, dans l’intérêt
de la prise en charge thérapeutique pour la santé
du salarié, en lien avec la compatibilité du traitement
avec le travail, la question de l’observance ou les interrogations
diagnostiques du médecin du travail à la lumière
de l’évolution de l’engagement dans le travail
du salarié et de ses rapports avec son collectif de travail.
Le médecin du travail peut avoir besoin de l’avis
du psychiatre pour assoir ou confronter, (certains pour faire
endosser !) une décision de médecin du travail.
Ainsi pour exercer son devoir de « sauvegarde du salarié
» en urgence (risque suicidaire, confirmation d’un
diagnostic médical évoqué à la base
de l’action du médecin du travail) ou pour conforter
sa décision d’aptitude/inaptitude à ce travail
ou pour convaincre le salarié du bien-fondé de
la décision du médecin du travail dans le cadre
de la recherche de son consentement éclairé. Aussi
pour mettre en argumentation ou dispute professionnelle, la
compatibilité de ce diagnostic psychiatrique avec le
maintien au travail ou non du salarié. Ou avec l’intérêt
à ce moment pour le salarié de continuer à
exercer une activité professionnelle, pour le convaincre
d’accepter une qualification de travailleur handicapé
via la RQTH, ou pour faciliter l’action de son maintien
dans l’emploi. Enfin pour justifier un arrêt de
travail prolongé aboutissant à une invalidité
et/ou une inaptitude.
5- La centralité du travail, même
pour les malades psychiatriques décompensés
La coopération avec le psychiatre peut
contribuer à éviter le handicap de situation professionnelle
du patient malgré sa grave pathologie psychique. Il ne
peut y avoir de contribution du médecin du travail pour
cette coopération s’il n’a pas instruit préalablement
la question de leur travail, de leur engagement dans celui-ci,
approché un peu leurs affects malmenés et évoqué
des processus défensifs psychiques professionnels qui
se donnent à voir derrière l’incompréhension
d’une situation, malgré peut-être leur pathologie
psychiatrique.
Pour les pathologies psychiatriques graves, c’est bien
concernant ce que comprend et investigue le médecin du
travail du « travailler individuel et collectif »
du patient que sa contribution à la coopération
avec le psychiatre sera déterminante. Et cela est aussi
important même quand ce n’est pas le travail qui
est la cause de la psychopathologie. Il ne faut pas renoncer
à déployer une clinique médicale du travail
même pour ces malades psychiatriques graves !
Tenter de tenir l’investigation de la question du travail
de salariés par ailleurs malmenés par une pathologie
psychiatrique, pourrait peut-être permettre de mieux prendre
en compte la contradiction face à laquelle se trouve
le médecin du travail : concilier la préservation
de la santé du collectif de travail, tout en tentant
de préserver la santé au travail du malade psychiatrique.
Parfois, dans les situations cliniques très difficiles,
une pathologie mentale originaire ou réactionnelle fait
empêchement à la mise en récit des difficultés
majeures du travail. Le médecin « ne se représente
pas le patient travailler ». Il n’est alors pas
en mesure d’instruire le lien entre sa santé et
son travail et d’avoir sur ce sujet à ce moment,
une contribution profitable à sa coopération avec
le psychiatre.
Dans les formes paranoïdes de décompensation, la
question pour le médecin du travail est de savoir s’il
peut contribuer, dans l’intérêt de la santé
du patient, à apporter au psychiatre des éléments
sur l’économie du travailler. Quelles en sont alors
les limites quand le patient est dans un délire paranoïaque
? C’est probablement le cas quand le médecin du
travail ne comprend rien au travail et au travailler d’un
salarié. Mais cette situation est dans les faits, très
rare.
Dans les situations où la pathologie
psychiatrique du sujet surdétermine l’action du
médecin du travail, la coopération avec le psychiatre
est quand même « nécessaire » avec
le médecin de soin, très souvent le psychiatre
traitant. Ainsi lors de troubles comportementaux très
graves, de délire qui se donne à voir au-delà
de la relation médicale, parfois quand le salarié
est « psychiquement empêché » de prendre
soin de sa santé qui est très gravement altérée.
L’inaptitude temporaire au travail « coordonnée
» entre médecins, peut permettre à nouveau
des soins. Dans des situations extrêmes en urgence, peut
s’avérer nécessaire l’élaboration
d’un certificat médical pour initier l’hospitalisation
à la demande d’un tiers.
Autrefois, on arrivait à conserver le
travail des patients lourdement handicapés psychiquement,
ce qui est souvent impossible aujourd’hui selon trop d’entreprises
! Les risques du conflit d’intérêt santé
collective – santé du salarié existent alors
pour le médecin du travail lorsqu’il veut préserver
l’emploi de tous, mais en soustrayant le malade du travail
contre son intérêt. La coopération avec
le psychiatre pourra permettre de prendre en compte la préservation
de la santé du collectif de travail, tout en tentant
de préserver la santé au travail du malade psychiatrique.
6- Comment améliorer
la coopération entre médecin du travail et psychiatre
Mieux coopérer entre le médecin
du travail et le psychiatre ce pourrait-être de s’interroger
sur ce « que peut apporter au psychiatre le médecin
du travail », plutôt que « ce que le médecin
du travail attend du psychiatre ». Ce pourrait être
de donner à voir à la lumière de la clinique
médicale du travail des éléments de compréhension
des difficultés du salarié dans son travail. Ce
pourrait être d’essayer de comprendre comment le
salarié construit ou précarise à sa façon
sa santé au travail même parfois avec des pathologies
psychiatriques invalidantes non professionnelle non pas sur
la scène de l’économie du désir mais
sur celle de l’économie du travailler.
La prise en compte du « travailler »
du patient, malgré ou au-delà de sa pathologie,
est un élément déterminant pour la confrontation
des points de vue professionnels de ces deux spécialités.
Il est important que le médecin du travail puisse donner
à voir au psychiatre des éléments de sa
compréhension des difficultés du salarié
dans son travail à la lumière de la clinique médicale
du travail, ou bien « qu’il ne se représente
pas le travailler du salarié » du fait de la prégnance
d’éléments délirants, interprétatifs.
Alors le médecin du travail est dans l’incapacité
à repérer le « faire », le «
faire avec » et le « faire ensemble ».
Une fois que le psychiatre et le médecin du travail ont
tenté de confronter leur compréhension diagnostique,
l’essentiel réside dans le constat qu’ils
demeurent en difficulté pour la prise en charge de leur
patient. Il est important de repérer ce qui résisterait
à la compréhension de la part du patient. Pourquoi
le patient reste-t-il en arrêt, ne parvient-il pas à
reprendre le travail. Pourquoi refuse-t-il l’invalidité
? Alors les deux spécialistes pourraient organiser les
modalités d’un travail inter compréhensif
entre eux en remettant le patient dans la boucle de cette élaboration.
L’espace du travail coopératif
pour un travail inter-compréhensif fécond entre
les deux spécialités se situerait donc dans l’espace
invisible de ce qui échappe et dont l’issue pourrait
provenir d’une zone de non compréhension, non investiguée
ou repérée, – ou peut-être d’une
d’absence d’élaboration suffisante à
trois. L’issue en serait alors de mieux incorporer le
patient au cœur du dispositif de « soin ».
Les
supports des médecins du travail référents
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