THEME
N°-1 : Concepts de la Clinique médicale
du travail : les mots clés
Alain Carré, Nicolas
Sandret, Huguette Martinez
En
1946, pour la première fois, fut inscrit dans la Constitution
de la République le droit individuel à la protection
de la santé. Pour y concourir, en milieu de travail,
s’agissant de santé, fut mis en place une institution
« la médecine du travail » exercée
par un corps de médecins spécialisés, les
médecins du travail, exerçant, comme tout médecin,
dans le cadre d’une obligation de moyens. S’agissant
d’un droit individuel, le principe fondateur postulait
que l’exercice serait un exercice de « première
ligne », c'est-à-dire d’un exercice de consultation
médicale. La tâche confiée à ces
praticiens, à l’origine, et qui n’a pas varié
depuis, est une action préventive destinée «
à éviter toute altération de la santé
des travailleurs du fait de leur travail ».
Ce nouvel exercice tranche notablement avec l’exercice
de la médecine de soin :
• Elle se déploie dans un cadre
légal d’ordre public social qui impose par conséquent
un double contrôle de l’autorité publique
et des représentants des travailleurs qui en bénéficient,
mais aussi des liens avec la santé publique.
• Cet exercice se situe, contrairement aux autres modes
d’exercice médicaux, dans un lieu, l’entreprise,
et un contexte, le travail, où la santé n’est
pas une valeur « en soi ».
• C’est enfin une médecine préventive,
spécialisée en prévention primaire, puisqu’il
s’agit, en premier lieu d’éviter toute
altération de la santé et non seulement toute
atteinte à la santé. Cela implique une prise
en compte de la subjectivité du travailleur dans un
champ mal balisé par la séméiologie médicale
classique. L’élément pathogène
est à identifier dans le travail de chaque travailleur.
Il s’agit ici du travail concret de chaque travailleur,
c’est-à-dire du travail réel incarné
et subjectif du travailleur, en interaction avec les conditions
matérielles et humaines qui l’entourent
Ce contexte d'exercice des médecins
du travail leur a imposé de développer une clinique
médicale particulière, la clinique médicale
du travail, qui complète et transcende la clinique médicale
telle qu’on l’enseigne dans les facultés
de médecine.
UNE CLINIQUE MEDICALE DE L’HOMME AU
TRAVAIL
Cette clinique doit, pour remplir la mission
liée à cet exercice, avoir pour référence
« Un modèle de l’homme qui rende compte du
travail du point de vue de l’engagement actif du sujet
et de ses enjeux de santé [1] ».
Confrontés à cette difficulté académique,
à partir des années 70, les médecins du
travail, en référence aux sciences humaines, élaborent
en commun une nouvelle clinique : « la clinique médicale
du travail ». Les bases théoriques de cette clinique
font donc de fréquents emprunts à l’ergonomie,
à la sociologie, à la psychologie et la psychodynamique
du travail.
1. La clinique médicale du travail
considère le travailleur comme un sujet en relation avec
son environnement de travail et sa dimension collective
Pour sortir de l’approche classique et réglementaire
qui s’intéressent à la cause des risques
mais ignore les réponses activement produites par le
travailleur considéré comme passif, les médecins
du travail se rapprochent de l’ergonomie qui implique
que « Il n’y a pas de travail d’exécution.
Tout travail impliqu(ant) une mobilisation de l’intelligence
[2]».
Le travail n’est pas solitaire. Il se déroule dans
un environnement humain collectif.
Cela impose de prendre en compte la dimension sociale de l’activité
de travail.
Ici, « le travail est l’activité coordonnée
entre les femmes et les hommes pour faire ce qui n’est
pas prévu par l’organisation du travail [1]».
Il y a donc un travail prescrit par l’organisation du
travail qui procède par instructions pour atteindre une
tâche à accomplir et un travail réel déployé
par les travailleurs dans un contexte collectif et qui engendre
des échanges sur « comment faire » et «
comment faire ensemble » afin de parvenir à un
résultat faisant l’objet d’un consensus entre
eux.
2. La clinique médicale du travail
postule que la santé se structure autour du pouvoir d’agir.
Elle analyse par conséquent ce qui s’oppose au
pouvoir d’agir du sujet
Dans l’esprit de l’article L1111-4 du code
de la santé publique, cette clinique considère
que « la souffrance est l’amputation du pouvoir
d’agir [3]» et « qu’être
en bonne santé c’est avoir les moyens d’un
cheminement personnel et original vers un état de bien-être
physique, mental et social [4]». «
La santé est un pouvoir d'action sur soi et sur le monde
gagné auprès des autres. Elle se rattache à
l’activité vitale d'un sujet, à ce qu'il
réussit ou non à mobiliser de son activité
à lui dans l'univers des activités d'autrui et,
inversement, à ce qu'il parvient ou pas à engager
des activités d'autrui dans son monde à lui [5]
».
3. La clinique médicale du travail
considère que le sujet construit son identité
à travers des activités qui participent de son
accomplissement de soi en étroite interaction avec les
autres. la Clinique Médicale du Travail intègre
cette dimension subjective et vécue de l’activité
de travail et explore ses relations.
La réalité mouvante impose de mobiliser d’autres
ressources que des savoirs techniques. La relation dynamique
aux objets du travail est incorporée. Des savoirs faire
acquis d’expériences antérieures sont intégrés
dans cette mémoire du corps.
Ne pas pouvoir exprimer ces relations indique une résistance
au sens de la psychopathologie du travail.
4. La clinique médicale du travail
cherche à comprendre ce qui se joue pour le travailleur
dans ce cadre et ce qui s’oppose à son projet
Le travailleur agit sous le regard des autres, avec eux,
dans un système de valeurs partagées, en espérant
être reconnu et en s’affrontant à la réalité
pour atteindre un résultat qui fasse référence.
C’est la résistance à cette activité
qu’oppose l’organisation du travail et l’impossibilité
d’accomplir ce qu’on voudrait faire ou d’aboutir
au résultat qui pèse sur la santé du salarié
« Le réel de l’activité c’est
aussi ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas faire,
ce qu’on cherche à faire sans y parvenir –
les échecs -, ce qu’on aurait voulu ou pu faire,
ce qu’on pense ou qu’on rêve pouvoir faire
ailleurs. Il faut y ajouter – paradoxe fréquent
– ce qu’on fait pour ne pas faire ce qui est à
faire ou encore ce qu’on fait sans vouloir le faire. Sans
compter ce qui est à refaire [5]. »
L’organisation est en désaccord avec le résultat
du travail que je cherche à atteindre ou supprime mes
marges de manœuvre ou ne me donne pas les moyens nécessaires.
Elle isole chaque salarié en l’individualisant
ou empêche le travail en commun ou la construction de
valeur commune sur le travail et la façon de le faire.
L’organisation est en désaccord avec ce que j’estime
être la qualité et le résultat de mon travail
ne reconnaît pas ma valeur ou l’utilité de
mon travail. L’isolement ne permet plus la reconnaissance
symbolique de mon travail
5. La Clinique médicale du travail
identifie et prend en compte les défenses du sujet contre
sa souffrance
La psychodynamique du travail décrit les processus
de pensée inconscients qui permettent au sujet de mettre
à distance la souffrance.
Elles les nomment: processus de défense, stratégies
défensives, idéologies défensives (déni
péjoratif de l’encadrement, faire le Mal pour le
Bien…).
Ces processus inconscients comprennent les somatisations.
L’OUVERTURE DE L’ESPACE CLINIQUE
: DU SIGNE AU SENS
L’ouverture de l’espace clinique implique un
double mouvement qui tranche avec la posture médicale
traditionnelle. Il s’agit en effet de « Passer d’une
situation où le salarié est en position d’objet
d’étude à une perspective dans laquelle
il redevient un agent actif de l’analyse, passer des
discours généraux à l’analyse des
situations dans leurs singularités concrètes
[1]»
LA CONSTRUCTION DES HYPOTHESES : DU SENS
A LA SIGNIFICATION
Elle implique le déploiement d’une «
écoute compréhensive », écoute particulière
qui puisse permettre au médecin du travail d’entendre
et donc d’identifier difficultés, souffrances,
et défenses. Le terme ne fait pas uniquement référence
à la compréhension des situations qu’elle
permet au médecin. il désigne, en fait, sa finalité
principale qui est de permettre au patient d’accéder
lui-même à la compréhension des situations
auxquelles il est confronté.
Il s’agit par conséquent d’une construction
commune. Elle est personnalisée et se fait avec
le salarié au regard de ce qu’il déclare
de la situation, et de ce qu’il en comprend et fait comprendre
au médecin. Elle est conceptualisée, par
rapport à ce que le médecin a observé de
la situation des autres travailleurs, de l’état
des collectifs, de l’organisation du travail dans l’entreprise.
Elle est raisonnée, en référence
au corpus théoriques de la clinique médicale du
travail.
La mise en place un recueil formalisé « au fil
de l’eau » des témoignages des salariés
sur leur vécu au travail permettra des hypothèses
sur le lien Santé-Travail en les analysant. Parallèlement
le repérage des risques permettra d’identifier
les facteurs de risque liés à l’organisation
du travail a priori, les effets de L’organisation du travail
sur le travail réel et les comportements managériaux
pathogènes.
LE DIAGNOSTIC DU LIEN SANTE-TRAVAIL
Le diagnostic positif repose sur le recueil systématique
des indicateurs de santé mentale en rapport avec le travail
et peut s’appuyer sur des examens complémentaires
de spécialité. Il prendra en compte les altérations
« discrètes, paradoxales: (démobilisation
professionnelle, hyperactivité) mais aussi les atteintes
camouflées (TMS et psychosomatiques).
Le diagnostic étiologique permet de relier les atteintes
à la santé au repérage des situations de
travail pathogènes. C’est le résultat du
travail d’élaboration (« voit on le salarié
travailler ? »). Toute identification d’une
pathologie doit s’accompagner de la description de ce
qui l’influence négativement du côté
du travail. La pathologie est alors en rapport avec le travail
et reliés à des caractéristiques de l’organisation
du travail. Le diagnostic étiologique s’élabore
en référence avec la situation des autres travailleurs.
Il doit être le plus précis possible pour préparer
l’intervention.
LE DIAGNOSTIC DU LIEN « SANTE-TRAVAIL
EST SPECIFIQUE A LA CLINIQUE MEDICALE DU TRAVAIL
Diagnostic positif et étiologique de la situation
de santé du travailleur et de ses rapports au travail
sont issus d’une démarche clinique médicale
argumentée qui participe de pratiques professionnelles
évaluées collectivement et un préalable
à toute action individuelle et/ou collective du médecin
du travail.
[1] Philippe Davezies
[2] Alain Wisner
[3] Paul Ricoeur
[4] Christophe Dejours
[5] Yves Clot
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DEBATS
Q
= Question ou réaction des participants
R = Réponse des intervenants ou de l’animateur
de la table ronde
R : Tout ce qui vient d’être dit
est en contradiction avec ce qui se met en place réglementairement
pour notre métier. Cette clinique s’inscrit dans
le champ du conflit social. Elle montre la méconnaissance
profonde du corps social, de l’ensemble des corps sociaux,
sur ce qu’est réellement la santé au travail.
R : Je viens d’apprendre la différence
entre atteinte et altération de la santé et c’est
important pour ce que je peux écrire dans le dossier
médical aujourd’hui. Et pour mon travail de médecin
du travail, je prends en compte cette clinique qui se déploie
particulièrement dans le champ du conflit social.
Q : Une question technique : le médecin
du travail a deux contrôles : un contrôle administratif
et un contrôle social des salariés. Pour ce dernier
contrôle, je ne vois pas de quoi il s’agit.
R : Le principe en France c’est celui
de la médecine libérale : le patient a le choix
de son médecin. La médecine du travail est le
seul exercice pour laquelle le patient n’a pas le choix
de son médecin du fait d’une médecine du
travail exercée pour toute une population professionnelle.
Si le salarié ne vient pas à la visite, c’est
juridiquement une faute potentielle, il peut être sanctionné.
C’est un peu choquant. Donc cette obligation a nécessité
un contrôle collectif, c'est-à-dire l’accord
des représentants des salariés pour l’embauche
et le contrôle de l’activité du médecin
du travail : c’est « le contrôle social ».
Sur les autres sujets dont il traite, le comité d’entreprise
ne donne que des avis ; mais ici c’est le seul cas où
il donne un accord. C’est essentiel de comprendre que
nous travaillons dans un cadre où les salariés
ont un droit de regard sur ce que nous faisons. Le contrôle
administratif c’est parce que nous sommes dans le cas
d’une mission d’ordre public social.
Q : Dans certains cas, j’ai un petit
bémol car quand j’écoute le salarié,
c’est souvent la porte ouverte à une demande qui
relève potentiellement de la manipulation pour obtenir
un bénéfice secondaire quand ce salarié
vit une situation tendue au travail, quand il y a des malfaçons
dans le travail ou quand il se sent coupable de la mauvaise
exécution du travail. Ainsi certains salariés
viennent chercher un bénéfice secondaire ou une
protection en exposant des troubles de santé qui ne sont
pas toujours réels et pas toujours fiables.
.
R : On dit à un interlocuteur ce qu’on s’attend
à ce qu’il entende. On ne dit pas la même
chose au médecin du travail qu’à un autre
professionnel. Le salarié se place du côté
de la douleur, car le médecin traditionnellement en France
s’occupe de la douleur. Il faut capter la confiance du
salarié pour entendre vraiment ce qu’il veut que
l’on entende. Moi ce qui m’intéresse, ce
n’est pas pourquoi il vient chercher un bénéfice
secondaire, mais c’est pourquoi il me dit çà
: il faut essayer de lui permettre de le dire. Pourquoi il a
cette attitude vis à vis de moi ? Une des conditions
pour déployer la clinique médicale du travail,
c’est la confiance entre le salarié et le médecin
du travail ; c’est essentiel. Par exemple, un salarié
est venu me voir en visite de reprise maladie après une
brûlure linéaire de la paume de la main, et il
me raconte une histoire qui n’est pas crédible
(une histoire de brûlure en faisant la cuisine). Mais
il finit par dire qu’il intervenait la nuit en astreinte
sur un chantier, c’est un plombier. Il a enlevé
ses gants de protection pour faire autre chose, et par la suite,
il a pris le tube à pleine main et s’est brûlé
au cours de son intervention. Son chef de chantier le menace
d’une sanction s’il le déclare en Accident
du Travail car il a fait une faute selon lui, car il n’avait
pas ses gants. Ce qui est intéressant, c’est d’avoir
la confiance du salarié afin qu’il puisse dire
çà, pour connaître ses motivations réelles.
Il faut accorder la confiance au salarié. Un salarié
qui en fait des tonnes, c’est qu’il a envie que
l’on fasse quelque chose pour lui. Il faut être
franc et essayer de remettre la confiance et essayer plutôt
de chercher ce qui ne va pas dans ce travail.
R : J’essaie de remettre la confiance
pour avoir la « parole vraie », alors que j’ai
l’impression que le salarié fait du cinéma.
Quand un salarié en fait des tonnes avec une lombalgie
alors que j’ai l’impression que ce n’est pas
si grave, c’est qu’il a envie que je fasse quelque
chose pour lui. Je discute avec lui pour essayer de rétablir
la parole vraie, pour mettre en débat son mal au dos
qui n’a pas l’air si terrible que çà
et pour savoir ce qui ne va pas dans le travail. Cela me permet
d’avoir beaucoup d’informations concrètes,
utiles pour la prévention beaucoup plus qu’en argumentant
sur son mal au dos.
Q : Comment établir la confiance quand
on voit un salarié tous les quatre ans. Le salarié
dit qu’il a mal au dos. Le salarié ne sait peut
être pas comment verbaliser les problèmes de travail,
et le mal au dos c’est souvent plus facile, il ne sait
pas toujours verbaliser autrement son mal être.
R : Cette journée, c’est pour
affirmer notre spécificité, qui n’est pas
compatible actuellement avec le fonctionnement de l’institution
médecine du travail !
R : Le problème c’est la peur
d’être instrumentalisé. Un exemple : hier,
une salariée m’a appelée pour me demander
un certificat médical pour ne pas faire une formation,
car il s’agit d’une activité sportive et
elle a eu une entorse de la cheville. Il s’agit d’une
entreprise que je connais bien, je vois les salariés
tous les quatre ans. Je venais de faire un certificat médical
de contre indication au stage pour son N+1, responsable d’entretien,
59 ans et demi, car il a une pathologie cardiaque et part à
la retraite dans quelques mois. Pour la première fois,
ces petits chefs d’équipe de 50 ans et plus, sont
contraints d’aller à un stage commando sauf certificat
médical de contre indication. On leur a demandé
leur mensuration. Ils vont avoir un treillis et emmener un maillot
de bains. Pour ceux qui sont un peu gros, il est marqué
que pour qu’ils ne soient pas en difficultés, ils
pourront garder le treillis sur le maillot de bain. Ils ne savent
pas ce qu’ils vont faire à ce stage et ceux qui
y sont allés n’ont pas le droit de dire ce qu’ils
ont fait. Les gens sont dans une angoisse majeure car ils ne
savent pas avec qui ils vont faire le stage. Sur les cinq salariés
qui devaient participer au stage, elle est terrorisée
car elle est la seule à y aller, les autres ayant un
certificat médical, et elle va se retrouver avec des
collègues qu’elle ne connait pas puisqu’ils
sont séparés de leur équipe d’appartenance,
et pas avec ses collègues. Pour cette dame, même
si elle est un peu enveloppée, ce n’est pas d’être
en maillot de bain qui la gêne. L’angoisse pour
elle, ce qu’elle trouve odieux dans cette manipulation,
cette soumission, c’est de se mettre comme les autres,
de se sentir rabaissée comme si elle n’existait
pas, comme si son individualité n’existait pas.
Je lui ai dit que pour une entorse datant de deux ans, je ne
peux pas faire de contre-indication médicale. Mais j’ai
contre indiqué le stage pour le fait qu’elle trouvait
insupportable de se faire imposer un stage qui n’a aucun
sens pour elle pour son travail. Le but du stage c’était
selon sa direction, pour souder, pour savoir coacher et manager
son équipe, alors que ça fait quinze ans qu’elle
fait ce travail !
R : C’est le peu d’importance de
la prise en compte de cette maltraitance par rapport à
ce que vivent les salariés qui interroge. Alors, on peut
décrire de quoi est faite cette maltraitance à
un confrère psychiatre, ou relater une réflexion
du chef qui passe et dit « vous faites du mauvais travail
», ce chef qui le dit peut être de façon
plus triviale, mais pourtant cette réflexion va déclencher
quelque chose d’extrême important pour le salarié.
Et ça, on peut l’expliquer contextuellement, car
il existe une subordination salariale. Face à une agression,
l’espèce humaine n’a que deux solutions :
soit on fuit, soit on s’affronte. Dans le cas de la subordination,
on ne peut faire ni l’un ni l’autre ! On est là
dans le cas où une situation qui peut paraît extrêmement
mince à quelqu’un d’extérieur, prend
une importance considérable pour le salarié qui
la vit, et engendre chez lui une vraie souffrance.
Q : Certains des cadres de l’hôpital
sont dans le paradoxe, du fait que leur équipe manque
du personnel. Ils le disent de mille façons, et pourtant
quand on essaye de discuter avec eux pour voir ce que l’on
peut mettre en place, ils refusent. Ils sont conscients de la
souffrance mais sont dans le déni. Ils ont l’injonction,
pour des raisons budgétaires, qu’il ne faut pas
plus de salariés. Ils refusent de nouveaux salariés,
alors qu’ils sont conscients de la souffrance engendrée
par l’organisation du travail !
R : C’est « faire le mal pour le
bien », c’est ce qui les pousse à rudoyer
les salariés pour le bien collectif. C’est un mécanisme
de défense. Mais quand le cadre s’aperçoit
qu’il fait « le mal pour le mal, » cela devient
dangereux pour lui. Il faut essayer de ne pas faire tomber ses
défenses par une attitude compréhensive, en lui
donnant acte et en donnant des pistes de réflexion pour
éviter quelque chose de délétère
pour lui.
Q : Juste une petite histoire, quand j’étais
médecin généraliste, certains patients
me demandaient des arrêts de travail. Je disais que je
n’avais pas d’éléments pour mettre
un arrêt de travail. Je leur disais que je comprenais
que leur souffrance était en lien avec le travail et
je leur demandais d’indiquer sur l’arrêt de
travail le nombre de jour qu’ils voulaient. La première
fois ça passait, la deuxième fois, cela permettait
ensuite de discuter de ce qui n’allait pas dans le travail.
La mise en confiance et la question de ce qui ne va pas dans
le travail est la question essentielle !
Q : La situation des cadres intermédiaires
à l’hôpital est très difficile à
gérer en médecine de travail, ils savent très
bien qu’ils sont dans des injonctions contradictoires
car ils doivent appliquer la politique de gestion du personnel
décidée par l’entreprise alors que ce qu’on
demande aux salariés n’est pas possible. Ils le
vivent mal. Avec ces moyens insuffisants, ils sont au courant
que les objectifs sont inatteignables, et on manque de moyens
pour les aider. Comment devons nous faire pour les accompagner
? L’écoute compréhensive, mais ce n’est
pas suffisant !
R : Le médecin du travail peut alors
intervenir sur l’autre versant de son activité,
c'est-à-dire le versant collectif. L’accumulation
des constats devrait amener le médecin du travail à
faire une « alerte médicale collective »
sur la situation d’injonction paradoxale. On passe de
la clinique médicale du travail individuelle à
la clinique médicale collective : c’est l’intervention
dans le champ social d’un point de vue collectif pour
faire changer les éléments pathogènes que
l’on a vus dans le travail.
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