THEME
N°-2 : Une histoire à Comprendre
ensemble
Annie Deveaux, Alain Grossetete
Introduction
Instruire le lien santé- travail et
« Comprendre ensemble »
Signifie à la fois : compréhension
par le clinicien de ce qu’il a entendu, et compréhension
par le sujet, après travail clinique, des dimensions
de son activité (question de l’élaboration,
du déplacement du point de vue initial, à partir
des affects, du rapport subjectif au travail). Le travail clinique
n’a pas pour objet d’aboutir à une analyse
qui serait absolument commune. Ce qui compte ce sont les liens
proposés et le déplacement du point de vue qu’ils
peuvent produire.
Exploration du « travailler »
- l’héritage de l’ergonomie et de la psychodynamique
du travail
Tout salarié dispose potentiellement
d’un savoir sur son « travailler ». Mais il
faut pouvoir accéder à ce qui constitue son «
travailler » : une grande part de ce qu’il déploie
pour travailler ne lui est que très partiellement accessible.
Aller chercher ces éléments et les lui réexposer
fait partie du travail clinique. D’autre part le travail
n’est réellement explorable que quand ça
va mal : en l‘absence de difficulté, le clinicien
ne parvient que très difficilement à obtenir d’un
salarié qu’il puisse parler de son travail [1],
et pourquoi s’y engagerait- il puisqu’il nous indique
que « ça va » ?- sauf à recueillir
autre chose qu’un discours lisse, calqué sur le
prescrit. D’expérience cependant, le clinicien
chevronné peut parvenir à un accès à
son « travailler » en lançant la discussion
à propos d’un accident de travail survenu dans
l’atelier, ou d’un fait d’actualité
récent qui fait appel à son expertise sur son
métier, à ses règles de métier.
Enfin le consultant ne peut exposer ce qu’il vit et ce
qu’il fait dans son travail que s’il se sait autorisé
à en parler, autrement dit, que s’il est assuré
disposer de l’écoute nécessaire. Le travail
du clinicien au cabinet de médecine du travail, est de
soutenir dans son écoute auprès du salarié
que ce qu’il expose, intéresse le médecin,
est important, ce dont il doute très généralement.
Ce qu’il raconte prend la forme d’un récit.
Le récit comporte déjà un premier niveau
d’élaboration. L’élaboration est aidée
lorsque le salarié est invité à rentrer
dans les détails (méandres, aléas) de son
activité, ce qui l’aide à sortir d’un
état de rumination, formé d’un discours
généralisant et essentiellement victimaire. («
Le chef, il ne fait rien qu’à, mes collègues
ne m’adressent plus la parole, ce que je fais, ça
ne va jamais », etc.). Parler dans le détail de
ce qu’il fait permet au salarié de produire un
niveau d’élaboration plus complexe sur son travail,
de prendre conscience des enjeux subjectifs de son activité
dans laquelle il engage sa santé, et des dimensions conflictuelles
que contient toute activité. Le récit met en scène
son « travailler », donne du corps à son
activité. Le médecin est à la fois très
attentif à ce qu’il entend, manifeste son étonnement,
intervient pour lui manifester ce qu’il ne comprend pas.
Au cours de la consultation médicale il y a une double
élaboration. De la part du sujet : qui découvre
au travers du conflit qu’il expose, l’importance
de son engagement subjectif au travail (ce qu’il y met
de lui), ainsi que l’origine du conflit, qui porte sur
le « travaille »r ; du médecin du travail
qui, au travers de ce qu’il entend et élabore,
accompagne cliniquement le sujet au travail : l’aide à
préserver ou retrouver son pouvoir d’agir, et émettre
éventuellement des préconisations médicales.
Quand c’est compliqué, il peut
être utile de passer par l’écriture pour
comprendre
A partir de ce qu’il a entendu et questionné/objecté,
le clinicien note à la volée quelques éléments
dans le dossier médical. Puis tente de les reprendre
à tête reposée en essayant de comprendre
ce qu’il a entendu, sur une feuille blanche qu’il
conserve dans le dossier médical. La spécificité
du métier de médecin du travail se situe à
ce moment : Le lien santé travail est exploré
très finement, à partir de ce que sait le médecin
de l’histoire de l’entreprise, de la trajectoire
du salarié, des éléments de compréhension
de l’organisation issus des entretiens cliniques avec
d’autres salariés, des difficultés et conflits
rapportés par d’autres salariés de l’entreprise,
ou par l’employeur. Puis le médecin à partir
de ses notes rédige la trame d’un récit
dans lequel il raconte une histoire, qui est mise en scène,
avec les éléments de sa réflexion clinique.
Le travail sur la feuille blanche, retravaillé en un
récit, fait partie du dossier médical.
Une histoire clinique, ou monographie [2] de
clinique médicale du travail apparaît.
On utilise le terme de monographie pour insister sur l’écrit.
On peut aussi employer le terme de cas clinique, d’histoire
clinique. L’important étant d’acter qu’au
cabinet de médecine du travail, un tournant important
dans les pratiques professionnelles s’est effectué
avec le passage de « l’observation », recueil
de symptômes, interrogatoire, données de l’examen
clinique (réflexes, auscultation et TA), sur le modèle
hérité de la médecine curative [3]
à l’entretien de clinique médicale du travail
dont la monographie [4]est la trace.
La clinique médicale du travail prend
en compte tout à la fois :
- la subjectivité et le rapport subjectif que chacun
entretient avec le travail : L’engagement subjectif dans
le travail, ce qui s’y oppose. Les enjeux subjectifs du
travail, dans les aléas de l’activité (ses
impasses et ses réussites).la place reconnue au sujet
dans cette clinique. Dans une monographie, il est important
de retrouver ce que dit le salarié, sans parler à
sa place, et de distinguer le propos de son interprétation.
-l’engagement corporel dans le travail, les savoir- faire
incorporés ( ce que l’oreille du mécanicien
ou du musicien entend sans nécessairement écouter,
ce que l’œil du menuisier voit sans scruter la pièce
de bois (nœuds, fissures acceptables ou non selon la destination
de la pièce) , la plus ou moins grande solidité
éprouvée à 2 mains) les traces du travail
sur le corps. Le médecin peut alors demander au salarié
de mimer le geste ou la posture, car les mots ne sont pas toujours
suffisants pour décrire cet engagement. Engagement corporel
et corps outil, expliquent les traces du travail sur le corps
mais aussi les modalités de transmission d’un métier
par le compagnonnage.
La monographie de clinique médicale du travail peut en
rester au niveau d’un travail individuel (par exemple
une tentative d’écriture à partir d’éléments
du dossier médical, pour chercher tout seul à
y voir plus clair), ou collectif (présentation devant
un petit groupe de pairs devant lequel l’histoire est
présentée afin de recueillir son avis et son aide
;ou encore d’essai de contribution à éclairer
par la clinique des éléments apportés par
la recherche épidémiologique[5].)
Intérêt et place de la monographie
en clinique médicale du travail- La monographie, comme
trace de la clinique médicale du travail.
La monographie forme une histoire clinique,
récit dans laquelle apparaît un salarié,
son travail, avec ses contraintes et ses risques, ses traces,
les aléas de son parcours et de son histoire professionnelle,
ce qu’il porte dans le travail, son « travailler
» avec ses affects et ses émotions, la relation
avec ses collègues et la hiérarchie, la direction,
et également, le travail du médecin du travail.
».
Nous insistons sur l’importance des monographies dans
notre pratique. Les monographies impriment la trace d’un
travail clinique. Elles forment le support pour en débattre.
La rédaction de monographies a contribué à
faire émerger une spécialité clinique [6].
Elle permet d’explorer ce qu’est la clinique médicale
du travail.
En clinique médicale du travail, une monographie porte
sur la présentation, (à partir de notes ou totalement
rédigée) sous forme d’un récit, d’une
histoire dans laquelle il est important de retrouver ce que
dit le salarié, ce que fait et dit le clinicien.
Il expose un point de vue clinique qui peut être mis en
débat [7] par qui l’entend : par
exemple les participants à ce colloque) .Dans une monographie,
Le passage à l’écriture a pour objet de
tenter de comprendre ce qui a été mis en scène
dans un récit recueilli et explorer ce qui s’y
joue au niveau de la santé.
Les hypothèses formulées suite à sa présentation
ne sont pas figées, peuvent évoluer, peuvent être
revisitées, en fonction de l’expérience
apportée par d’autres cas. Chaque monographie est
vivante et ouvre à d’autres possibles (nous en
avons fait le constat en les relisant).
Présentation de deux monographies
A titre d’illustration du propos, deux
monographies sont à présent exposées.
Pour chacune, l’objet de la présentation est de
faire apparaître le travail clinique en consultation,
un peu comme si nous nous placions derrière l’épaule
du clinicien, en train de recevoir un salarié qui ne
va pas bien au travail.
Voici ces deux monographies.
Il s’agit de deux histoires cliniques,
deux histoires absolument ordinaires, arrivant au cabinet médical,
recueillies dans le cadre de visites médicales habituelles,
en service inter entreprise.
L’une, « Arthur », porte
sur un examen d’embauche, suivie d’un examen périodique
; l’autre, « une entreprise familiale », retrace
plusieurs consultations avec Christian, effectuées dans
la quasi-totalité pendant un arrêt de travail prolongé,
lors de visites initiées par le salarié.
Arthur est au début de sa vie professionnelle ; Christian,
en fin de parcours.
« Arthur » (première monographie)
:
Histoire d’Arthur (résumé
condensé)
Arthur commence sa vie professionnelle comme boulanger, puis
suite à une allergie à la farine, se retrouve
en fabrication de fermettes. Dans ce dernier travail, il échoue.
Des lombalgies apparaissent. Il démissionne et devient
conducteur de presse en plasturgie. Il va mieux ensuite.
Nous allons tenter de faire apparaître
Le travail clinique dans « Arthur » à partir
des deux premiers paragraphes de la monographie jointe en annexe
de cette présentation :
1-Nous reprenons en détail le contenu
du travail clinique de la visite d’embauche, en mai:
-Arthur questionné sur le travail de
montage des fermettes, en donne une description sommaire, du
côté du prescrit (il faut positionner, puis il
faut pré-enfoncer au maillet). L’entretien tournerait
court sur le travail s’il était prolongé.
D’ailleurs Il se dit satisfait de ce travail. Tout au
plus des lombalgies sont signalées.
-rapidement la consultation s’oriente vers des symptômes.
(Palpitations, vertiges) En effet ils sont évoqués
spontanément : peut-être parce qu’ils inquiètent
Arthur ? En tout cas ils intriguent le médecin du travail
(d’autant que le bilan est entièrement normal ou
négatif. d’où viennent-ils ? l’origine
est recherchée dans le passé professionnel d’Arthur.
et pour cela l’entretien porte sur les postes tenus précédemment.
A la recherche d’une émotion (l’émotion
passe par le corps. En court-circuitant l’appareil psychique,
elle témoigne de quelque chose qui n’a pas été
pensé). Les deux postes de boulanger tenus successivement
sont évoqués en début professionnel. Rien
de ce côté. Puis un poste en atelier de teinture.
- après un questionnement précis (a-t-il eu AT
?), émerge l’évènement : oui, Arthur
répond qu’il a eu un AT en teinture.
-L’AT n’est pas évoqué spontanément,
une certaine réticence de la part d’Arthur semble
être perçue : Il a fallu convoquer cet évènement.
Ce souvenir fait émerger une souffrance : il a failli
perdre son bras. L’AT survenu en teinturerie n’a
fait l’objet d’aucune sollicitude, et l’a
bouleversé.
-Mais ensuite, Arthur fait resurgir les émotions ressenties
après l’AT : s’anime, en fait un récit,
dans lequel il revit ses affects, ses émotions : Peur
de mourir, absence de compassion de l’entourage professionnel,
colère, injustice, solitude. Le lien entre l’AT
et le symptôme est exploré. Le diagnostic de syndrome
subjectif post traumatique lui est proposé [8].
Il introduit un élément nouveau pour Arthur. Le
lien entre l’AT et les palpitations est présenté
comme un élément de compréhension qui lui
est avancé : Il est amené à la conscience
d’Arthur non comme un « verdict », fermé,
un diagnostic médical qui s’imposerait à
lui ; mais comme un élément de réflexion,
soumis à son entendement, un lien qu’il est invité
à examiner entre un symptôme présent et
un évènement professionnel passé. Arthur
examine ce lien.
2-Le contact avec Arthur est engagé.
Il s’est passé des moments dans lesquels il y a
place pour une élaboration. Arthur sera revu en visite
périodique, en juillet.
Les symptômes de vertige et de palpitations ont disparu
à cette période.
Quelle est la part du travail clinique dans cette extinction
? Ce qui a été proposé comme lien entre
le symptôme et l’accident y a-t-il contribué
? En clinique médicale du travail il est fait des liens.
Il semble que cela parle à Arthur ? La prudence reste
de mise.
-les lombalgies persistent et sont à leur tour explorées.
Comme pour les vertiges, Arthur est à nouveau invité
à participer à leur investigation. Il ne semble
s’y prêter qu’avec difficulté. Le clinicien
échafaude des hypothèses et Arthur résiste
à les examiner. Il semble faire la sourde oreille. Il
résiste : Arthur à ce stade ne reconnaît
aucune difficulté dans le travail et déclare souhaiter
continuer. Mais il est « ailleurs », dort mal, et
est sous anxiolytique.
L’activité gestuelle de travail apparait pour le
clinicien : il faut monter sur la table, taper au maillet etc.
(dess photos sont montrées)
La consultation s’achève. Le contact avec Arthur
est invité à être maintenu, le clinicien
« reste à disposition, si sa santé ne lui
permettait pas de continuer ».
3-enfin Arthur vient donner de ses nouvelles
dans une troisième visite [9],
trois mois plus tard à son médecin du travail.
La situation s’est dégradée à la
rentrée après les congés. Il est en arrêt.
Il veut démissionner. La crise professionnelle est à
présent manifeste. Elle témoigne en même
temps d’un résultat d’élaboration.
Un lien est fait entre les difficultés au poste actuel,
la santé, son histoire professionnelle.
En fait, il raconte qu’il n’y arrive pas. «
Il tape de travers ». Comment faudrait-il taper ? Les
collègues sauraient-ils lui expliquer comment ils font
? : L’expérience sensible lui manque. Le travail
qui apparaît grossier, fait vraisemblablement appel à
des savoirs- faire incorporés qu’il ne possède
pas. Les fermettes doivent être résistantes pour
soutenir un toit. Leur fabrication nécessite une bonne
coordination des mouvements entre monteurs (taper sans défaire
ce qu’a fait le collègue) et sans doute, d’autres
critères : comment présenter la pièce pour
éviter qu’elle vibre, comment inspecter rapidement
et rejeter une pièce de bois qui s’avèrerait
défectueuse ou contiendrait des risques de fragilité.
Arthur fait de son mieux. Cependant son mal de dos augmente.
Les lombalgies ont pu contribuer à le rendre moins capable
de taper correctement, de descendre rapidement de la table.
A ce stade de fragilisation Arthur fait part de son «
ennui » vis-à-vis de ce travail. Il critique ce
travail marqué par la répétitivité.
C’est nouveau. Il a franchi une étape, prend de
la distance avec ce travail. Serait-ce le signe d’un relâchement
dans la répression de la subjectivité, qu’un
travail répétitif peut comporter, indication de
la reprise de l’activité psychique ?
Il s’arrête en arrêt maladie. Son absence
contribue à dégrader ses relations avec l’équipe.
En octobre, (ses lombalgies probablement augmentées par
l’arrivée du froid et de l’humidité
? l’atelier est situé près de la rivière),
il informe son médecin du travail qu’il démissionne
dans un climat de rejet de ses collègues et de son chef
d’atelier. Arthur a déjà connu une situation
analogue de rejet lors de son accident de travail en teinture.
Dans quelle mesure les deux situations entrent-elles en résonance
pour lui ?
Il se retrouve ensuite en presse plasturgie (au chaud, comme
auparavant en boulangerie [10]) dans un travail
ou il est à nouveau dans une certaine autonomie. Son
état s’améliore.
4- Que repérer du travail clinique
à partir des symptômes exposés par Arthur
-Le travail clinique porte sur l’investigation
de symptômes (vertiges, allergie à la farine, lombalgies)
qui alertent le clinicien, à partir d’un état
de disponibilité, de vigilance et de curiosité.
Chaque symptôme est passé au crible de l’investigation
clinique.
- Des liens entre symptômes et travail sont proposés
par le clinicien au salarié, lequel les prend en compte
(lien entre vertiges et la peur apparue lors de l’AT)
ou les rejette (lien entre stress et survenue de l’allergie
chez le second boulanger). Ce qu’il en fait lui appartient
et relève de sa propre capacité à réagir
et se reprendre.
L’exploration de l’origine de la lombalgie, en évitant
de la cantonner à la seule pénibilité du
poste, (la survenue d’une lombalgie considérée
a priori comme attendue, et à banaliser, normalisée,
chez un monteur de fermettes) invite Arthur à réorienter
sa trajectoire professionnelle. Ainsi en est-il peut-être
de sa décision de sa démissionner.
Le travail clinique tente de faire des liens
entre des éléments relatifs à la santé
et l’activité. Ces liens peuvent se manifester
de façon plus ou moins forte. Le salarié peut
parfois en témoigner dans le registre des émotions
(pleurs, visage qui s’éclaire, rougissement, etc.)
montrant qu’il fait sien, incorpore ce qu’il entend
et qui est en cours d’élaboration dans le travail
clinique (en train de se faire avec lui) ou dans d’autres
registres.
« Une entreprise familiale »
(deuxième monographie) :
Il s’agit d’une petite scierie
familiale, 5 salariés en tout : créée par
le père décédé à l’âge
de 50 ans en 1973, 3 fils qui y travaillent, âgés
respectivement en 2009 de 60 ans, 55 ans, 51 ans avec 2 autres
salariés. Les 2 frères aînés occupent
2 postes stratégiques : l’ainé le chariot
de tronçonnage, ( plus la facturation , les relations
avec les clients, le téléphone, le travail administratif
car il avait une formation de comptable), le second pilote la
scie (il a un BTS des métiers du bois). Christian le
plus jeune conduit le camion grumier pour approvisionner la
scierie, mais livre aussi des charpentes (il a commencé
un CAP d’ajusteur) mais ne l’a pas terminé.
Quand il ne conduit pas, il travaille comme manutentionnaire
avec les 2 autres salariés en sortie de scie pour trier
ou déligner les pièces et préparer les
commandes.
1 -récit 2009- juin 2011
1° rencontre en consultation en juillet 2009 pour
la visite systématique: exposé de ses atteintes,
certificat de déclaration MP épaules et coudes
remis, visite de la scierie programmée. Désaccord
exposé avec ses frères sur les investissements
pour soulager sa manutention.
A partir de la seconde consultation, Christian sera vu
en arrêt, à chaque fois sur son initiative. Il
verra le médecin du travail à 6 reprises :
- expose un programme de consultations spécialisées
et de kiné ; le médecin prévoit une prise
de RDV avec le Service d’aide au maintien dans l’emploi
(SAMETH) à l’entreprise en vue d’un pré-diagnostic
pour aménager la manutention. La tension de Christian
est perceptible: il redoute quand il reprendra, les douleurs
du travail à la tronçonneuse, des douleurs liées
aux manutentions mais aussi appréhende de se retrouver
seul avec le frère cadet (« il est dur »)
quand l’ainé sera retraité.
-il indique ne pas voir ses frères, pense « ne
pas pouvoir continuer à travailler avec eux ».
Evocation d’une activité rêvée
(sur un mode très infantile) : envisage sur le camion
l’installation d’ un grappin découpeur, d’une
cabine mobile ascendante permettant de piloter la grue du grumier
à l’abri et sans peine pour y accéder, mais
aussi un portique avec ventouses pour les manutentions. Le grappin
et la cabine existent sur des grumiers récents mais ce
serait compliqué à installer sur son véhicule
déjà ancien (1998). Quant au portique avec ventouses,
il n’est à l’évidence pas adapté
au poste de tri où toutes les pièces de bois sont
retournées pour contrôle.
Autre activité rêvée évoquée
(plus réaliste) mais la rejette : « je ne peux
plus faire de manutention, je ne peux que conduire et je ne
veux pas aller au chariot de tronçonnage, parce que
là, avec eux, ça n’ira jamais. »
Donc une activité rêvée que Christian refuse
de soumettre à la confrontation avec le réel (en
envisageant d’en parler avec ses frères) par peur
du jugement des pairs qui sont ses frères, car à
ce poste se joue la rentabilité de la scierie.
Par la suite, en résumé des
autres consultations,
En 2011 dans un contexte d’aggravation de sa santé
(multi impactée); dont une dépression professionnelle
; une seule issue est exprimée par Christian : l’inaptitude.
2 -Arrêtons- nous à ce stade
de l’histoire clinique :
Faire apparaître le travail clinique dans «
une entreprise familiale » :
- Le travail clinique est rendu possible
dès la première rencontre. La confiance est là,
elle s’est installée d’autant plus facilement
que l’abord de Christian est le même qu’avec
le médecin précédent, avec lequel la relation
de confiance avait été construite au fil des ans.
Christian est considéré comme un sujet capable
de penser ce qui lui arrive. Pendant l’arrêt, le
contact clinique maintenu permet au médecin et au salarié
une élaboration qui ne cesse pas durant les 19 mois qu’ont
duré les divers entretiens cliniques.
-le travail du clinicien est dans une présentation chronologique,
au travers des dialogues retranscrits lors de chaque rencontre
avec Christian. Il n’y a aucun commentaire du côté
d’une tentative d’interprétation, aucune
hypothèse échafaudée, jusqu’à
un moment bien identifiable de basculement, prologue au dénouement
de toute l’histoire clinique [11].
Le médecin est dans une posture d’aidant. Il apporte
à Christian un soutien clinique en situation de rupture
prolongée avec le travail (arrêt maladie de plus
de 18 mois)).Durant toute cette longue période, il y
a une prise en charge (en pointillé, rythmée par
les visites de Christian, mais qui continue sur la durée),
en coopération avec la médecine de soin, et déclaration
de maladie professionnelle avec une écoute non directive,
respectueuse, non substitutive de la pensée de Christian
; le clinicien ne se place pas en « sachant » ;
trace des perspectives d’ouverture pour l’aider
de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve. Des
éléments de compréhension sont disponibles
pour que Christian à chaque temps de consultation, puisse
être dans une aide à penser ce qui lui arrive.
Christian utilise chaque rendez- vous pour exprimer ce qu’il
ne parvient pas à dire ailleurs : en dehors du cadre
clinique, il peine à le faire, à se faire entendre.
Ses paroles sont retranscrites. Il apparaît dans la transcription
clinique comme sujet qui dit «je ».
-L’évolution de son rapport
au travail peut être tracée : La survenue de
la dépression l’amène à réduire
sa perspective d’action: il passe successivement par les
étapes suivantes, qui réduisent de plus en plus
ses perspectives pour rebondir :
- au début il indique aimer conduire ; déploie
pendant plusieurs mois une réflexion autour des aménagements
pour continuer à conduire le grumier, qu’il ne
parvient pas à soutenir auprès de ses frères.
-Puis à défaut d’accord sur l’utilité
d’investissement de la part de ses frères, de guerre
lasse, envisage de chercher ailleurs un emploi chauffeur.
-Enfin souhaite être inapte à la conduite : Christian
court professionnellement à la catastrophe.
Il s’agit là d’un tableau
de « rabougrissement » du rapport subjectif au travail
de Christian. Il paraît de moins en moins en capacité
d’explorer les voies lui permettant de se sortir de l’impasse.
Il « verrouille »même la seule possibilité
qui lui reste, conduire un poids lourd. Cette analyse lui est
renvoyée. Le médecin ne « colle »
pas au discours de Christian, donne son avis, l’argumente,
et tient bon. Par exemple lorsqu’il évoque son
intention de chercher un emploi de chauffeur en dehors de l’entreprise
familiale, il lui est objecté par son médecin
du travail qu’il ne peut sérieusement l’envisager
sans repasser auparavant sa FIMO, faute de quoi il resterait
inemployable auprès de n’importe quel patron. Le
médecin en se mettant à la place d’un employeur
permet à Christian de mettre à l’épreuve
du réel, ce qu’il rumine quand il est seul.
Quelle sera la place de Christian (en aura- t-il une ?) dans
une nouvelle organisation de l’entreprise au départ
en retraite de Jean Pierre qui le mettra en contact direct avec
cet autre frère qu’il craint beaucoup plus ?
-Ce qui précipite sa décompensation vers la dépression
est la perspective d’un départ imminent du frère
aîné (rempart vis-à-vis de l’autre
frère jugé encore plus « dur »), d’avoir
à travailler avec lui.Il tente de se protéger
de la souffrance par l’arrêt de travail, qui s’éternise,
et pendant lequel il fait le « gros dos ». (Ne peut
envisager d’aller discuter de l’avenir avec ses
frères)
-Les émotions (de Christian,
celles du clinicien, et des autres) sont transcrites : L’expression
des larmes, de la colère, de la peur. L’énigme
ce sont les larmes de Christian. Elles intriguent. D’autant
qu’elles sont présentes à chaque consultation
: pendant dix-neuf mois, elles sont témoins d’une
tension qui persiste.
Elles sont la marque d’une émotion. L’émotion
passe par le corps. Le corps touché par une émotion
est alors « en avance » sur l’appareil psychique.
Rien ne les explique au clinicien. Elles sont probablement aussi
énigmatiques pour Christian, solide quinquagénaire
qui souffre de douleurs articulaires, dont la santé est
en train de se dégrader. Avoir mal ne fait pas sortir
de larmes. Seule expression d’un conflit (mais lequel),
elles restent énigmatiques jusqu’au moment charnière,
moment du basculement.
3 -terminons la présentation de l’histoire
clinique
-Juin 2011
La dépression survient au moment où Christian
renonce à conduire. Il émet le souhait que le
médecin de la commission du permis poids lourd ne l’autorise
pas à conduire (ce qui revient à chercher un allié
pour aller dans son sens, sans en porter le chapeau).
(Attention il s’agit d’une réactivation
d’une dépression déjà survenue vers
20 ans, cet élément non mis en relation avec le
reste, à explorer)
Ne plus conduire le grumier serait lourd de conséquence
pour le fonctionnement de l’entreprise familiale : il
est le seul à détenir le permis PL. Il va falloir
que Christian l’annonce d’une façon ou d’une
autre à ses frères. Mais il ne va plus à
la scierie pendant la journée, continue de les éviter,
est réticent à leur parler.
Christian tâte le terrain auprès de ses frères.
L’occasion de l’annonce lui est fournie lors d’un
repas de famille. Christian s’adresse à ses voisins
de table en expliquant que peut-être le médecin
de la commission du permis ne lui renouvellera pas son permis
PL. Mais le destinataire est bien le frère aîné,
Jean- Pierre, vis-à-vis duquel il est fuyant, ne peut
s’adresser à lui, n’a jamais pu le faire.
Jean- Pierre laisse trainer son oreille et a entendu. Cela le
décidera à intervenir auprès du médecin
du travail et constitue l’épisode- clé de
l’histoire clinique.
-Juillet 2011 survenue de l’épisode clé
et qui éclaire alors le conflit.
L’épisode clé est représenté
par la lecture par Jean Pierre de la feuille dactylographiée
par lui, en prenant rendez-vous auprès du médecin
du travail :
« Voilà, j’ai essayé
de réfléchir à la situation de mon frère
et j’ai écrit l’histoire de la scierie X,
je l’ai fait lire à mon frère Raymond et
il est d’accord avec ce que j’ai écrit et
d’accord pour que je vienne en parler avec vous »
« La scierie a été créée par
mon père. Je suis l’ainé (né en 1949).
Mon père est mort brutalement à 50 ans en 1973
(là sa voix se brise). Moi j’avais fait des études
de comptabilité, je travaillais à Lyon, Raymond
finissait son BTS dans les métiers du bois, Christian
avait 14 ans et était à l’école.
Je suis revenu. Il a fallu salarier ma mère. Raymond,
(né en 1954), a fini ses études et m’a rejoint
; ça n’a pas toujours été facile
avec Christian, peu intéressé par les études
: il a commencé un CAP d’ajusteur mais ce qu’il
voulait c’était conduire. Il nous a rejoints en
1977. Il y avait déjà un chauffeur. Petit à
petit Christian a pris ce poste. Avec Raymond, on a travaillé
beaucoup de dimanches pour reconstruire la scierie. Christian
était plus jeune, il fallait le cadrer.
Mes 2 frères n’ont jamais travaillé dans
une autre entreprise, ils ne sont pas souples. On n’est
pas toujours d’accord pour les investissements, Christian
est plus dépensier. Mais il ne s’intéresse
pas à la gestion. Il n’a jamais été
capable de faire une facture. Il n’a pas d’enfants,
c’est peut-être ça. Sa femme ne travaille
pas ou pas beaucoup, donc il n’a pas la même situation
que nous.
Et surtout il passe son temps à se plaindre auprès
de notre mère (la maison de la mère est contigüe
au bureau de la scierie). Il lui téléphone tous
les soirs pour lui raconter tous ses problèmes de santé
ou c’est elle qui l’appelle. Elle se fait du souci
et moi je la trouve souvent en train de pleurer. Mais il a toujours
été comme ça : quand nous ne sommes pas
d’accord sur la gestion de la scierie, il ne discute pas
avec nous, il va se plaindre à notre mère.
Là il est passé, j’ai l’impression
qu’il ne veut plus conduire. C’est comme s’il
faisait une crise d’adolescence, qu’il n’a
pas faite avant.
Moi je suis fatigué, je voudrais arrêter à
la fin de cette année »
A l’issue de cette entrevue qui aura duré deux
heures, et dont Jean Pierre regrettera qu’elle n’ait
pas eu lieu plus tôt (« on se méfiait de
vous ») le clinicien organise pour le mois de septembre
les conditions de la reprise du travail de Christian. Une lettre
au psychiatre sera confiée à Christian :
(..) Il m’apparaît que Mr Christian
« craint » beaucoup ses frères, surtout Raymond
et qu’il appréhende le départ en retraite
prochain (date encore imprécise) de Jean-Pierre, qui
a maintenant 62 ans.
Par ailleurs, à la différence de ses frères,
s’il est aussi marié, Mr Christian, n’a pas
pu avoir d’enfant.
Compte tenu de son âge, de ses problèmes
de santé, il bénéficiera sans doute d’un
taux d’IPP compris entre 10 et 20% taux qui interviendra
pour un départ en retraite à 60 ans, mais il lui
reste 7 ans à travailler.
Il avait envisagé de rechercher un travail en dehors
de l’entreprise, en conduite camion pour livrer des chantiers,
mais de mon point de vue, il n’a aucune chance d’être
embauché, s’il n’a pas refait valider dans
son entreprise les formations associés au permis PL.
Il faut donc bien qu’il reprenne, au moins quelque temps,
dans la scierie familiale. Si les choses se passent mal, je
pourrai toujours faire une inaptitude, compte tenu de son handicap
physique lié aux maladies professionnelles (donc avec
préservation de tous ses droits).
Il me paraît très important
que le problème familial puisse être discuté
avec vous, car je ne vois pas de solution satisfaisante à
court et à long terme pour lui, qui puisse se construire,
sans un retour même temporaire dans l’entreprise
familiale.
4 -examen du travail clinique à partir
de l’épisode- clé.
Le conflit intriqué (familial et professionnel dans
lequel l’employeur est le frère et le patron de
Christian) participe au stress chronique et à la fragilisation
de Christian [12], exposé au quotidien
à des sollicitations fortes du corps au travail des grumes
et à la préparation manuelle de commandes.
La confiance instaurée dès le
premier contact avec Christian autorise l’accès
du clinicien à l’histoire familiale par le frère
aîné, qui demande à rencontrer le médecin
au cabinet médical et forme un récit ouvrant à
la compréhension de la dimension familiale et à
sa mise en perspective.
L’exposé par Jean Pierre suivi de la lettre au
psychiatre redistribue les cartes en ouvrant vers un déblocage
de la situation rendant possible une nouvelle répartition
des rôles à la fois dans le travail et dans la
famille.
Christian va mieux. L’infléchissement d’un
point de vue du salarié qui est initialement raidi, vers
un déplacement de son point de vue, lui permet de sortir
d’une situation apparemment figée
-Quelle relation peut être proposée entre travail
clinique et amélioration de l’état de Christian
?
Ce qui est constaté, c’est qu’à la
fin, les larmes ont disparu. Christian va beaucoup mieux depuis
qu’il a réussi à convaincre ses frères
de l’achat d’un autre camion. Le camion, c’est
sa spécialité : il a été écouté
et entendu : au niveau de ses frères, la situation a
aussi évolué. Il découvre qu’on peut
lui faire confiance. Il a accepté de se former pour piloter
le chariot de tronçonnage. D’occuper un poste clé
pour la rentabilité. Il s’inscrit dans une perspective
de continuité de l’entreprise familiale, lui qui
était regardé par ses frères comme un adolescent
prolongé. Christian a réussi à redistribuer
la donne : tout à la fois : à prendre sa place
à leurs côtés, reprendre la place du frère
aîné et à chambouler les rapports à
l’intérieur de l’entreprise [13].
5- comment caractériser le travail
clinique à partir de cette monographie ?
L’objet du travail clinique ici est
d’aider Christian à avancer dans sa situation vécue
comme bloquée. Donc un travail dans la durée,
sur sa rumination, sur les situations professionnelles rêvées
par lui, face à la résistance qu’oppose
le réel.
Le travail clinique avec Christian consiste
à soutenir et discuter pas à pas des transformations
possibles d’une activité rêvée à
une activité réalisable, ce qui a pu se traduire
par des rapports temporairement difficiles du médecin
avec l’employeur.
Plus généralement, le médecin soulevant
le couvercle d’une casserole qui bout, peut se trouver
face à des réactions (de colère, d’agressivité)
d’employeur qui ne lui sont pas en réalité,
adressées.
CONCLUSION générale
1- Multiplicité du
Matériel ou matériau clinique
« Sentir » dans un récit
de quoi il retourne, faire le vide, être disponible, sans
a priori sur ce qui est relaté.
Les affects, émotions du sujet sont
du matériel. En clinique médicale du travail,
comment à la fois être attentif, observer les postures,
et prendre des notes ?
-les émotions des collègues de travail, de l’employeur
(par ex sa colère) sont aussi du matériel. L’employeur
est aussi un individu au travail et ses réactions (par
exemple l’expression de son indignation, de sa colère
vis-à-vis du médecin du travail) constituent aussi
du « matériau clinique »dans le registre
des émotions, comme celles du sujet reçu au cabinet
médical.
-les réunions de travail dans l’entreprise, avec
le SAMETH constituent aussi du matériau pour la clinique
médicale du travail.
- Temporalité : le temps (déployé sur la
durée) est aussi matériau clinique -le temps du
travail clinique : il n’y a pas de temps privilégié.
Le médecin du travail laisse la porte ouverte au récit,
que ce soit lors d’une visite d’embauche, d’une
visite systématique ou lors de visite spontanée.
Le temps d’élaboration pour le sujet et le clinicien
-la monographie (et le temps nécessaire à sa construction)
est une aide essentielle pour le travail clinique en médecine
du travail [14].
Voici l’extrait [15]:
« La clinique médicale du travail ne peut naître
et se déployer sans la prise en compte d’un tiers
facteur qui est la temporalité , le déroulement
du temps, qui permet aux évènements de travail,
puisque c’est d’eux dont il est question, de s’inscrire
dans le corps, de s’y incorporer physiquement et psychiquement,
d’y laisser des marques. Ces éléments-micro
histoire en rapport avec l’activité de travail
réellement déployée, et dynamique de construction
ou de fragilisation de la santé au travail appréhendée
par la clinique médicale du travail, -ne peuvent être
mis en relation et véritablement articulés, que
si une observation régulière, avec prise en compte
des faits notables et des non-faits, des bonheurs ou des malheurs,
ou tous autres bouleversements, même minimes, est rendue
possible par l’organisation systématisée
des recueils. Cette compilation constitue un matériel
précieux et utile, le moment venu, afin de permettre
une analyse donnant accès au sens des constats délétères
».
2 un mouvement
en boucle de compréhension et élaboration
Quelles seraient les témoins d’une
élaboration du sujet, après un travail clinique
?
Le travail clinique consiste à faire
des liens entre des éléments relatifs à
la santé et l’activité, les exposer au salarié,
dans un mouvement d’essai de compréhension/ élaboration.
La recherche d’éléments de certitude pour
rendre compte de la portée du travail clinique, comme
résultat de la consultation, est une entreprise totalement
vaine.
Ces liens peuvent se manifester de façon plus ou moins
forte. Le salarié peut parfois en témoigner dans
le registre des émotions (pleurs, visage qui s’éclaire,
rougissement, etc.) montrant qu’il fait sien, incorpore
ce qu’il entend, et qui est en cours d’élaboration
dans le travail clinique en train de se faire avec lui) ou ne
rien manifester.
La démonstration d’un lien de causalité
n’est jamais obtenue ni recherchée. Le terme de
recherche de la preuve hérité de l’imputation,
du médico-légal, en rapport avec un souci d’indemnisation,
n’a aucune place dans ce champ. Ce sont les interrogations,
questionnements qui restent comme traces cliniques que le salarié
emporte avec lui , qu’il se les réapproprie ou
non, qu’il les incorpore ou non, qui constituent le travail
clinique.
AD, AG - juin 2013
__________________________________________________
[1] En situation de
crise, il est relativement possible cependant de se faire expliquer
le travail, « quand ça allait bien », et
par contraste avec la situation actuelle de crise.
[2] Le terme de monographie en médecine
du travail serait un emprunt à la sociologie.
[3] A la recherche d’éléments
objectifs en vue du diagnostic.
[4] Nous estimons qu’avant 1994,
(congrès de Besançon, 7 à 10 juin 1994)
aucune monographie n’est rédigée en médecine
du travail.
[5] Programme interrégional SAMOTRACE-monographies
cliniques.
[6]Le terme de clinique médicale
du travail est employé pour la première fois dans
les cahiers SMT dans deux articles du n° 18, en juin 2003.
La première présentation a lieu en 2006 au congrès
de médecine du travail de Lyon.
[7] Un travail collectif sur les pratiques
professionnelles, à partir de monographies, permet de
les faire progresser. (Avis partagé par la HAS) C’est
le travail effectué en GAPEP. (Avec l’organisme
E-PAIRS- voir son site)
[8] Il semble que ce diagnostic n’ait
pas été porté auparavant à la connaissance
d’Arthur, voire jamais encore énoncé.
[9] La lire sur la monographie jointe
en annexe.
[10] Avec la perte son premier emploi
en boulanger, Arthur a perdu un travail dans l’autonomie,
était son maître, et dans lequel la confiance de
son patron était acquise.
Le travail de boulanger : travail exigeant, demandant beaucoup
de concentration, anticipation, (il faut penser à l’opération
suivante sans se laisser distraire), minuté, mais sans
forte nécessité de s’entendre avec les collègues
: travail individuel, chacun à sa tâche. Plasturgiste:
travail individuel. Travail au montage des fermettes : travail
de forte exigence collective (coordination entre les monteurs)
et travail dans l’instant (pas de projection nécessaire
dans l’instant suivant, c’est fermette après
fermette)
[11]ce qui fait la différence
avec une consultation Souffrance et Travail, dans un cadre d’extériorité,
consultation pour laquelle clinicien dispose de beaucoup de
temps pour comprendre.
[12]La bibliographie du côté
de la place des phénomènes inflammatoires rendant
compte à la fois des atteintes du corps et de la dépression
professionnelle est très importante. Son apport commence
à être exploré en médecine du travail.
[13]L’auteur de la monographie
considère que cette histoire n’est pas réductible
à une histoire familiale, pouvant être élargie
à une entreprise non familiale, dont les rapports entre
les salariés, et entre salariés et la hiérarchie,
seraient également anciens.
[14]voir article HUEZ BARDOT, 2003
prémonitoire.
[15]Extrait du même article «
clinique médicale du travail et souffrance au travail
: les dépressions réactionnelles professionnelles
»
F.BARDOT, D.HUEZ- travail et Emploi, n°96, oct. 2003 pp55
En annexe :
Texte complet original de la monographie
|
DEBATS
Q
= Question ou réaction des participants
R = Réponse des intervenants ou de l’animateur
de la table ronde
Q : La question de l’écrit se
pose de plus en plus au niveau des médecins inspecteurs.
Les gens demandent de plus en plus à avoir accès
à leur dossier médical pour en faire dieu sait
quoi et parfois aller en justice avec. Quel est le statut de
ces écrits ? Doit-on les considérer comme partie
prenante du dossier médical ? S’agit-il de notes
personnelles avec ce statut de notes personnelles, étiquetées
comme telles et à extraire du dossier médical
en cas de consultation ou de transmission au salarié
? Ces écrits sont intéressants. Les écrits
manuscrits sont de plus en plus rares de la part des médecins
du travail en Bourgogne, car ils tapent en notes télégraphiques
sur leur ordinateur en regardant le salarié et l’ordinateur
car ils ont tous le logiciel Stétho. Les dossiers médicaux
manuscrits comme je les ai connus n’existent plus dans
ma pratique antérieure. Les dossiers médicaux
sont une espèce de liasse, des extraits d’écran
avec des notes en abrégé incompréhensibles.
Il faut que l’on travaille ensemble sur la question du
statut de ces écrits et sur leur forme : manuelle ou
informatique.
R : Ce qu’il y a de bien avec les écrits,
c’est que c’est le médecin du travail qui
décide ce qu’il en fait et quand ces écrits
font partie du dossier. Certains écrits sont des notes
prises à la volée, sur des papiers volants avec
des réflexions notées soit à l’issue
de la consultation soit lors de réflexions sur ces notes
prises d’année en année. Il y a une dimension
temporelle sur ces notes et elles ne font pas partie du dossier
selon moi alors. A partir d’un moment, ces notes peuvent
se stabiliser et faire partie du dossier médical. Dans
l’histoire de la médecine du travail, les premières
monographies sont arrivées un peu avant 1993, et on parle
de la « Clinique médicale du travail » à
partir de 2003. Il s’est passé un certain temps
réflexif entre un outil mis en œuvre par un certain
nombre de médecins du travail et la clinique médicale
élaborée en tant que telle. Quand le médecin
du travail décide que c’est une pièce médicale,
il la met dans le dossier, avant ce sont des notes qui ne font
pas partie du dossier médical !
Q : Je n’ai pas fait beaucoup de monographies
dans ma carrière professionnelle mais je ne les jamais
laissées dans le dossier du salarié. Les monographies
m’ont servi à la construction de notre métier
et de nos pratiques. Selon moi, elles ne relèvent pas
du dossier, elles nous aident à comprendre ce qu’on
fait, à mettre en débat avec d’autres pairs,
mais elles ne font pas partie du dossier médical.
R: On ne peut pas aborder la question par du
juridique, mais en fonction des questions en rapport avec nos
moyens cliniques professionnels. Y aurait-il des éléments,
des notes cliniques, qui seraient en dehors du dossier médical
? Certain le pensent car ces notes ne seraient pas travaillées,
seraient dangereuses et pourraient être réappropriées
par le patient à d’autres fins. J’ai un désaccord
total sur ce point et je ne suis pas le seul à le penser.
Je pense que tout notre matériau doit pouvoir être
dans le dossier médical. On doit donc apprendre à
écrire de façon respectueuse pour les gens et
lisible pour d’autres professionnels. Y a-t-il des notes
personnelles et d’autres non ? Il y a débat et
des changements de posture dans la pratique médicale
actuellement. Selon moi, les notes appartiennent au dossier
médical, les éléments inachevés
de la clinique doivent être dans le dossier médical
car ils nous aideront ultérieurement. Est-ce que la monographie
très élaborée doit être dans le dossier
? Cela n’a pas une importance essentielle ; mais pour
moi elle devrait être dans le dossier. La question de
fond est : A cause de tout ce qui est en train de nous tomber
dessus du côté du juridique, allons-nous commencer
à développer une pratique schizophrénique
de médecin du travail, alors que ces formes de présentation
ne sont que l’aboutissement d’un long travail clinique.
Si nous ne pouvons pas tracer par écrit une réflexion
clinique professionnelle « en devenir » par des
notes cliniques dont l’objet est de servir au médecin
et à la santé du sujet, à l’équipe
médicale et aux collègues qui vont nous remplacer,
alors c’est notre métier qui va s’effondrer
! Attention aux pièges juridiques qui risquent de faire
s’effondrer notre métier en générant
la peur, alors que la question est celle de l’élaboration
de règles professionnelles concernant les « traces
écrites » de notre travail clinique dans les dossiers
médicaux individuels.
Q : Avec l’introduction des équipes
pluridisciplinaires notamment dans les services inter, particulièrement
lorsqu’elles fonctionnent bien, c'est-à-dire quand
les équipes pluridisciplinaires travaillent avec l’équipe
médicale et non pas à côté, est ce
que les éléments apportés par ses membres
qui ne font pas partie de l’équipe médicale,
qui nous permettent aussi de construire une clinique médicale,
doivent rentrer dans le dossier médical ?
R : Dans le deuxième cas, il s’agissait
du SAMETH, donc pas forcément d’une équipe
pluridisciplinaire, c’est indirectement une équipe
pluridisciplinaire, car il y a eu une étude ergonomique,
ce qui a été l’occasion de réunir
le salarié, l’employeur et l’ergonome. Pourquoi
ne pas la mettre dans le dossier médical, cela ne me
dérange pas ? C’est l’occasion de discuter
de l’activité du travail avec le salarié.
R : Dans ce qui fait partie du dossier médical,
il y a des pièces données de l’extérieur
et signées par leur auteur. Ce qui fait partie du cœur
dossier médical, c’est ce qui engage le médecin
du travail dans sa pratique, et les documents qu’il reçoit
es-qualité médecin du travail. Ce n’est
pas un problème secondaire Le dossier médical
engage la responsabilité du médecin qui en est
le détenteur en responsabilité. Le médecin
du travail donne l’autorisation d’écriture
nominalement à des infirmières placées
sous sa responsabilité technique. Ce qui est dans le
dossier médical engage une équipe médicale
qui relève du code de la santé publique. Les pluridisciplinaires
n’écrivent pas dans le dossier médical et
un écrit pluridisciplinaire ne fait pas partie d’un
dossier médical. Les IPRP n’ont pas accès
au dossier médical et ne le pourraient pas même
avec l’autorisation du médecin du travail, du fait
qu’ils ne relèvent pas du code de la santé
publique. Si le médecin du travail met un document extérieur
dans le dossier médical, c’est une astuce pour
que le salarié puisse y avoir accès. Mais alors,
il en fait partie et devra être transmis au salarié
à sa demande.
R : Bien sûr, je n’ai pas dit que
le pluridisciplinaire écrivait dans le dossier médical
! L’intervenant IPRP n’a pas accès au dossier
médical. Spécifiquement, je laisse le dossier
du SAMETH dans le dossier médical et dans le dossier
de l’entreprise.
Q : Il faut revenir à la qualité
et à la finesse du travail qui a été fait
et qui peut être transmis à l’extérieur.
La spécificité des éléments dans
un dossier de médecine du travail n’est pas comparable
à ce que l’on trouve dans un dossier hospitalier.
Il y a une spécificité évidente qui repose
sur la construction d’une professionnalité, ce
qu’ignore l’espace social qui nous entoure. Fait
partie du dossier médical ce qui se trouve dans le dossier
! Il y a une obligation de moyen pour le médecin de tenir
le dossier. Les éléments sont dans le dossier
et accessibles au salarié. Tout ce qui relève
de l’aide qu’on m’apporte en termes d’actions
en milieu de travail me semble faire partie du dossier. Je suis
un clinicien, je mets dans le dossier ce qui me semble utile
et je ne pense pas à ce que l’on pourrait en faire
sous prétexte que le salarié pourrait avoir accès
au dossier !
Q : Je suis tout à fait d’accord
avec ce qui vient d’être dit ! Avec ce qui vient
de m’arriver suite à une plainte d’employeur
auprès de l’ordre des médecins à
mon encontre, j’ai pendant 8 à 15 jours pensé
à ce que je pouvais y écrire maintenant sans risque
juridique. On devient schizophrène et on ne peut plus
travailler ! J’ai ressenti la peur de ce que j’allais
écrire. J’ai été convoquée
par le conseil de l’ordre pour m’expliquer devant
les médecins du conseil de l’ordre, mais en présence
de l’employeur et son avocat. J’ai refusé
et je serai convoquée devant la chambre disciplinaire,
car dans le cas d’une consultation de pathologie professionnelle,
j’ai osé écrire ce que j’avais instruit
du lien entre la santé et le travail d’une salariée
que j’ai vue. L’employeur m’a fait envoyer
en conciliation ordinale face à lui ! J’ai refusé
le principe de livrer le contenu de mon exercice et de mon contenu
médical devant l’employeur et son avocat, malgré
les médecins du conseil de l’ordre qui voulaient
me demander de justifier en présence de ces derniers,
de comment je m’y étais pris et comment j’avais
fait pour dire ce que j’avais dit.
Aujourd’hui en médecine du travail, je ne fais
que des visites de reprise, et c’est très souvent
pour des problèmes de santé en lien avec le travail.
Et dans cette situation, je me suis retrouvée à
nouveau devant le conseil de l’ordre à cause d’une
lettre que j’avais envoyé à un employeur
en responsabilité professionnelle. Mais dans ce cas,
j’ai ensuite reçu une lettre du conseil de l’ordre
qui m’a dit que j’avais bien fait mon travail !
On ne peut pas tenir compte en permanence de la peur de la justice
pour bien travailler. Il faut faire attention aux effets de
la peur pour notre travail en responsabilité, car la
censure vide de sens ne nous aide pas à bien travailler
!
Q : Je suis dubitatif sur l’aspect révélation
de la transformation miraculeuse de la situation par la compréhension.
Est ce de l’écriture à postériori
? J’ai l’impression que c’est un peu conte
de fée !
R : Nous avons pris d’extrêmes
précautions pour tordre le coup à une affirmation
pour établir le lien entre une situation exposée
par un consultant et ce que l’on aurait comme résultat.
On s’attendait à ces questions, « qu’est-ce
qui vous fait dire qu’il y a un lien entre une situation
exposée et un résultat ? » On ne sait pas
! Pour la deuxième intervention, le cas de « Christian
», il va mieux et on ne sait pas du tout pourquoi. Le
fait qu’il ait pensé à ce qui lui arrive,
cela peut l’aider. Peut être va-t-il rechuter. Pour
la première intervention, « Arthur », c’est
encore moins net, il passe son temps à ne pas être
d’accord avec les propositions qui lui sont faites et
qui n’ont d’intérêt que de relancer
sa réflexion. Il n’écoute pas ce que lui
dit le médecin du travail qui lui conseille de ne pas
démissionner, et il démissionne ! Et au bout du
compte il a raison, il va mieux.
Les deux cas choisis sont des cas ordinaires de salariés
qui viennent, l’un en visite d’embauche et l’autre
en visite périodique. Ce ne sont pas des cas de visites
à la demande quand les salariés viennent avec
un dossier très épais ou quand ça ne va
pas. Ce qui se passera ensuite on ne sait pas.
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