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Les Actes du Colloque E-Pairs Association SMTdu vendredi 14 juin 2013
« La clinique médicale du travail » Contribution de la médecine du travail

THEME N°-2 : Une histoire à Comprendre ensemble
Annie Deveaux, Alain Grossetete

Introduction

Instruire le lien santé- travail et « Comprendre ensemble »

Signifie à la fois : compréhension par le clinicien de ce qu’il a entendu, et compréhension par le sujet, après travail clinique, des dimensions de son activité (question de l’élaboration, du déplacement du point de vue initial, à partir des affects, du rapport subjectif au travail). Le travail clinique n’a pas pour objet d’aboutir à une analyse qui serait absolument commune. Ce qui compte ce sont les liens proposés et le déplacement du point de vue qu’ils peuvent produire.

Exploration du « travailler » - l’héritage de l’ergonomie et de la psychodynamique du travail

Tout salarié dispose potentiellement d’un savoir sur son « travailler ». Mais il faut pouvoir accéder à ce qui constitue son « travailler » : une grande part de ce qu’il déploie pour travailler ne lui est que très partiellement accessible. Aller chercher ces éléments et les lui réexposer fait partie du travail clinique. D’autre part le travail n’est réellement explorable que quand ça va mal : en l‘absence de difficulté, le clinicien ne parvient que très difficilement à obtenir d’un salarié qu’il puisse parler de son travail [1], et pourquoi s’y engagerait- il puisqu’il nous indique que « ça va » ?- sauf à recueillir autre chose qu’un discours lisse, calqué sur le prescrit. D’expérience cependant, le clinicien chevronné peut parvenir à un accès à son « travailler » en lançant la discussion à propos d’un accident de travail survenu dans l’atelier, ou d’un fait d’actualité récent qui fait appel à son expertise sur son métier, à ses règles de métier. Enfin le consultant ne peut exposer ce qu’il vit et ce qu’il fait dans son travail que s’il se sait autorisé à en parler, autrement dit, que s’il est assuré disposer de l’écoute nécessaire. Le travail du clinicien au cabinet de médecine du travail, est de soutenir dans son écoute auprès du salarié que ce qu’il expose, intéresse le médecin, est important, ce dont il doute très généralement. Ce qu’il raconte prend la forme d’un récit. Le récit comporte déjà un premier niveau d’élaboration. L’élaboration est aidée lorsque le salarié est invité à rentrer dans les détails (méandres, aléas) de son activité, ce qui l’aide à sortir d’un état de rumination, formé d’un discours généralisant et essentiellement victimaire. (« Le chef, il ne fait rien qu’à, mes collègues ne m’adressent plus la parole, ce que je fais, ça ne va jamais », etc.). Parler dans le détail de ce qu’il fait permet au salarié de produire un niveau d’élaboration plus complexe sur son travail, de prendre conscience des enjeux subjectifs de son activité dans laquelle il engage sa santé, et des dimensions conflictuelles que contient toute activité. Le récit met en scène son « travailler », donne du corps à son activité. Le médecin est à la fois très attentif à ce qu’il entend, manifeste son étonnement, intervient pour lui manifester ce qu’il ne comprend pas. Au cours de la consultation médicale il y a une double élaboration. De la part du sujet : qui découvre au travers du conflit qu’il expose, l’importance de son engagement subjectif au travail (ce qu’il y met de lui), ainsi que l’origine du conflit, qui porte sur le « travaille »r ; du médecin du travail qui, au travers de ce qu’il entend et élabore, accompagne cliniquement le sujet au travail : l’aide à préserver ou retrouver son pouvoir d’agir, et émettre éventuellement des préconisations médicales.

Quand c’est compliqué, il peut être utile de passer par l’écriture pour comprendre

A partir de ce qu’il a entendu et questionné/objecté, le clinicien note à la volée quelques éléments dans le dossier médical. Puis tente de les reprendre à tête reposée en essayant de comprendre ce qu’il a entendu, sur une feuille blanche qu’il conserve dans le dossier médical. La spécificité du métier de médecin du travail se situe à ce moment : Le lien santé travail est exploré très finement, à partir de ce que sait le médecin de l’histoire de l’entreprise, de la trajectoire du salarié, des éléments de compréhension de l’organisation issus des entretiens cliniques avec d’autres salariés, des difficultés et conflits rapportés par d’autres salariés de l’entreprise, ou par l’employeur. Puis le médecin à partir de ses notes rédige la trame d’un récit dans lequel il raconte une histoire, qui est mise en scène, avec les éléments de sa réflexion clinique. Le travail sur la feuille blanche, retravaillé en un récit, fait partie du dossier médical.
Une histoire clinique, ou monographie [2] de clinique médicale du travail apparaît.
On utilise le terme de monographie pour insister sur l’écrit. On peut aussi employer le terme de cas clinique, d’histoire clinique. L’important étant d’acter qu’au cabinet de médecine du travail, un tournant important dans les pratiques professionnelles s’est effectué avec le passage de « l’observation », recueil de symptômes, interrogatoire, données de l’examen clinique (réflexes, auscultation et TA), sur le modèle hérité de la médecine curative [3] à l’entretien de clinique médicale du travail dont la monographie [4]est la trace.

La clinique médicale du travail prend en compte tout à la fois :
- la subjectivité et le rapport subjectif que chacun entretient avec le travail : L’engagement subjectif dans le travail, ce qui s’y oppose. Les enjeux subjectifs du travail, dans les aléas de l’activité (ses impasses et ses réussites).la place reconnue au sujet dans cette clinique. Dans une monographie, il est important de retrouver ce que dit le salarié, sans parler à sa place, et de distinguer le propos de son interprétation.
-l’engagement corporel dans le travail, les savoir- faire incorporés ( ce que l’oreille du mécanicien ou du musicien entend sans nécessairement écouter, ce que l’œil du menuisier voit sans scruter la pièce de bois (nœuds, fissures acceptables ou non selon la destination de la pièce) , la plus ou moins grande solidité éprouvée à 2 mains) les traces du travail sur le corps. Le médecin peut alors demander au salarié de mimer le geste ou la posture, car les mots ne sont pas toujours suffisants pour décrire cet engagement. Engagement corporel et corps outil, expliquent les traces du travail sur le corps mais aussi les modalités de transmission d’un métier par le compagnonnage.
La monographie de clinique médicale du travail peut en rester au niveau d’un travail individuel (par exemple une tentative d’écriture à partir d’éléments du dossier médical, pour chercher tout seul à y voir plus clair), ou collectif (présentation devant un petit groupe de pairs devant lequel l’histoire est présentée afin de recueillir son avis et son aide ;ou encore d’essai de contribution à éclairer par la clinique des éléments apportés par la recherche épidémiologique[5].)

Intérêt et place de la monographie en clinique médicale du travail- La monographie, comme trace de la clinique médicale du travail.

La monographie forme une histoire clinique, récit dans laquelle apparaît un salarié, son travail, avec ses contraintes et ses risques, ses traces, les aléas de son parcours et de son histoire professionnelle, ce qu’il porte dans le travail, son « travailler » avec ses affects et ses émotions, la relation avec ses collègues et la hiérarchie, la direction, et également, le travail du médecin du travail. ».
Nous insistons sur l’importance des monographies dans notre pratique. Les monographies impriment la trace d’un travail clinique. Elles forment le support pour en débattre. La rédaction de monographies a contribué à faire émerger une spécialité clinique [6]. Elle permet d’explorer ce qu’est la clinique médicale du travail.
En clinique médicale du travail, une monographie porte sur la présentation, (à partir de notes ou totalement rédigée) sous forme d’un récit, d’une histoire dans laquelle il est important de retrouver ce que dit le salarié, ce que fait et dit le clinicien.
Il expose un point de vue clinique qui peut être mis en débat [7] par qui l’entend : par exemple les participants à ce colloque) .Dans une monographie, Le passage à l’écriture a pour objet de tenter de comprendre ce qui a été mis en scène dans un récit recueilli et explorer ce qui s’y joue au niveau de la santé.
Les hypothèses formulées suite à sa présentation ne sont pas figées, peuvent évoluer, peuvent être revisitées, en fonction de l’expérience apportée par d’autres cas. Chaque monographie est vivante et ouvre à d’autres possibles (nous en avons fait le constat en les relisant).

Présentation de deux monographies

A titre d’illustration du propos, deux monographies sont à présent exposées.
Pour chacune, l’objet de la présentation est de faire apparaître le travail clinique en consultation, un peu comme si nous nous placions derrière l’épaule du clinicien, en train de recevoir un salarié qui ne va pas bien au travail.
Voici ces deux monographies.

Il s’agit de deux histoires cliniques, deux histoires absolument ordinaires, arrivant au cabinet médical, recueillies dans le cadre de visites médicales habituelles, en service inter entreprise.

L’une, « Arthur », porte sur un examen d’embauche, suivie d’un examen périodique ; l’autre, « une entreprise familiale », retrace plusieurs consultations avec Christian, effectuées dans la quasi-totalité pendant un arrêt de travail prolongé, lors de visites initiées par le salarié.
Arthur est au début de sa vie professionnelle ; Christian, en fin de parcours.

« Arthur » (première monographie) :

Histoire d’Arthur (résumé condensé)
Arthur commence sa vie professionnelle comme boulanger, puis suite à une allergie à la farine, se retrouve en fabrication de fermettes. Dans ce dernier travail, il échoue. Des lombalgies apparaissent. Il démissionne et devient conducteur de presse en plasturgie. Il va mieux ensuite.

Nous allons tenter de faire apparaître Le travail clinique dans « Arthur » à partir des deux premiers paragraphes de la monographie jointe en annexe de cette présentation :

1-Nous reprenons en détail le contenu du travail clinique de la visite d’embauche, en mai:

-Arthur questionné sur le travail de montage des fermettes, en donne une description sommaire, du côté du prescrit (il faut positionner, puis il faut pré-enfoncer au maillet). L’entretien tournerait court sur le travail s’il était prolongé. D’ailleurs Il se dit satisfait de ce travail. Tout au plus des lombalgies sont signalées.
-rapidement la consultation s’oriente vers des symptômes. (Palpitations, vertiges) En effet ils sont évoqués spontanément : peut-être parce qu’ils inquiètent Arthur ? En tout cas ils intriguent le médecin du travail (d’autant que le bilan est entièrement normal ou négatif. d’où viennent-ils ? l’origine est recherchée dans le passé professionnel d’Arthur. et pour cela l’entretien porte sur les postes tenus précédemment. A la recherche d’une émotion (l’émotion passe par le corps. En court-circuitant l’appareil psychique, elle témoigne de quelque chose qui n’a pas été pensé). Les deux postes de boulanger tenus successivement sont évoqués en début professionnel. Rien de ce côté. Puis un poste en atelier de teinture.
- après un questionnement précis (a-t-il eu AT ?), émerge l’évènement : oui, Arthur répond qu’il a eu un AT en teinture.
-L’AT n’est pas évoqué spontanément, une certaine réticence de la part d’Arthur semble être perçue : Il a fallu convoquer cet évènement. Ce souvenir fait émerger une souffrance : il a failli perdre son bras. L’AT survenu en teinturerie n’a fait l’objet d’aucune sollicitude, et l’a bouleversé.
-Mais ensuite, Arthur fait resurgir les émotions ressenties après l’AT : s’anime, en fait un récit, dans lequel il revit ses affects, ses émotions : Peur de mourir, absence de compassion de l’entourage professionnel, colère, injustice, solitude. Le lien entre l’AT et le symptôme est exploré. Le diagnostic de syndrome subjectif post traumatique lui est proposé [8]. Il introduit un élément nouveau pour Arthur. Le lien entre l’AT et les palpitations est présenté comme un élément de compréhension qui lui est avancé : Il est amené à la conscience d’Arthur non comme un « verdict », fermé, un diagnostic médical qui s’imposerait à lui ; mais comme un élément de réflexion, soumis à son entendement, un lien qu’il est invité à examiner entre un symptôme présent et un évènement professionnel passé. Arthur examine ce lien.

2-Le contact avec Arthur est engagé. Il s’est passé des moments dans lesquels il y a place pour une élaboration. Arthur sera revu en visite périodique, en juillet.
Les symptômes de vertige et de palpitations ont disparu à cette période.
Quelle est la part du travail clinique dans cette extinction ? Ce qui a été proposé comme lien entre le symptôme et l’accident y a-t-il contribué ? En clinique médicale du travail il est fait des liens. Il semble que cela parle à Arthur ? La prudence reste de mise.
-les lombalgies persistent et sont à leur tour explorées. Comme pour les vertiges, Arthur est à nouveau invité à participer à leur investigation. Il ne semble s’y prêter qu’avec difficulté. Le clinicien échafaude des hypothèses et Arthur résiste à les examiner. Il semble faire la sourde oreille. Il résiste : Arthur à ce stade ne reconnaît aucune difficulté dans le travail et déclare souhaiter continuer. Mais il est « ailleurs », dort mal, et est sous anxiolytique.
L’activité gestuelle de travail apparait pour le clinicien : il faut monter sur la table, taper au maillet etc. (dess photos sont montrées)
La consultation s’achève. Le contact avec Arthur est invité à être maintenu, le clinicien « reste à disposition, si sa santé ne lui permettait pas de continuer ».

3-enfin Arthur vient donner de ses nouvelles dans une troisième visite [9], trois mois plus tard à son médecin du travail. La situation s’est dégradée à la rentrée après les congés. Il est en arrêt. Il veut démissionner. La crise professionnelle est à présent manifeste. Elle témoigne en même temps d’un résultat d’élaboration. Un lien est fait entre les difficultés au poste actuel, la santé, son histoire professionnelle.
En fait, il raconte qu’il n’y arrive pas. « Il tape de travers ». Comment faudrait-il taper ? Les collègues sauraient-ils lui expliquer comment ils font ? : L’expérience sensible lui manque. Le travail qui apparaît grossier, fait vraisemblablement appel à des savoirs- faire incorporés qu’il ne possède pas. Les fermettes doivent être résistantes pour soutenir un toit. Leur fabrication nécessite une bonne coordination des mouvements entre monteurs (taper sans défaire ce qu’a fait le collègue) et sans doute, d’autres critères : comment présenter la pièce pour éviter qu’elle vibre, comment inspecter rapidement et rejeter une pièce de bois qui s’avèrerait défectueuse ou contiendrait des risques de fragilité. Arthur fait de son mieux. Cependant son mal de dos augmente. Les lombalgies ont pu contribuer à le rendre moins capable de taper correctement, de descendre rapidement de la table. A ce stade de fragilisation Arthur fait part de son « ennui » vis-à-vis de ce travail. Il critique ce travail marqué par la répétitivité. C’est nouveau. Il a franchi une étape, prend de la distance avec ce travail. Serait-ce le signe d’un relâchement dans la répression de la subjectivité, qu’un travail répétitif peut comporter, indication de la reprise de l’activité psychique ?
Il s’arrête en arrêt maladie. Son absence contribue à dégrader ses relations avec l’équipe. En octobre, (ses lombalgies probablement augmentées par l’arrivée du froid et de l’humidité ? l’atelier est situé près de la rivière), il informe son médecin du travail qu’il démissionne dans un climat de rejet de ses collègues et de son chef d’atelier. Arthur a déjà connu une situation analogue de rejet lors de son accident de travail en teinture. Dans quelle mesure les deux situations entrent-elles en résonance pour lui ?
Il se retrouve ensuite en presse plasturgie (au chaud, comme auparavant en boulangerie [10]) dans un travail ou il est à nouveau dans une certaine autonomie. Son état s’améliore.

4- Que repérer du travail clinique à partir des symptômes exposés par Arthur

-Le travail clinique porte sur l’investigation de symptômes (vertiges, allergie à la farine, lombalgies) qui alertent le clinicien, à partir d’un état de disponibilité, de vigilance et de curiosité. Chaque symptôme est passé au crible de l’investigation clinique.
- Des liens entre symptômes et travail sont proposés par le clinicien au salarié, lequel les prend en compte (lien entre vertiges et la peur apparue lors de l’AT) ou les rejette (lien entre stress et survenue de l’allergie chez le second boulanger). Ce qu’il en fait lui appartient et relève de sa propre capacité à réagir et se reprendre.
L’exploration de l’origine de la lombalgie, en évitant de la cantonner à la seule pénibilité du poste, (la survenue d’une lombalgie considérée a priori comme attendue, et à banaliser, normalisée, chez un monteur de fermettes) invite Arthur à réorienter sa trajectoire professionnelle. Ainsi en est-il peut-être de sa décision de sa démissionner.

Le travail clinique tente de faire des liens entre des éléments relatifs à la santé et l’activité. Ces liens peuvent se manifester de façon plus ou moins forte. Le salarié peut parfois en témoigner dans le registre des émotions (pleurs, visage qui s’éclaire, rougissement, etc.) montrant qu’il fait sien, incorpore ce qu’il entend et qui est en cours d’élaboration dans le travail clinique (en train de se faire avec lui) ou dans d’autres registres.

« Une entreprise familiale » (deuxième monographie) :

Il s’agit d’une petite scierie familiale, 5 salariés en tout : créée par le père décédé à l’âge de 50 ans en 1973, 3 fils qui y travaillent, âgés respectivement en 2009 de 60 ans, 55 ans, 51 ans avec 2 autres salariés. Les 2 frères aînés occupent 2 postes stratégiques : l’ainé le chariot de tronçonnage, ( plus la facturation , les relations avec les clients, le téléphone, le travail administratif car il avait une formation de comptable), le second pilote la scie (il a un BTS des métiers du bois). Christian le plus jeune conduit le camion grumier pour approvisionner la scierie, mais livre aussi des charpentes (il a commencé un CAP d’ajusteur) mais ne l’a pas terminé. Quand il ne conduit pas, il travaille comme manutentionnaire avec les 2 autres salariés en sortie de scie pour trier ou déligner les pièces et préparer les commandes.

1 -récit 2009- juin 2011
1° rencontre en consultation en juillet 2009 pour la visite systématique: exposé de ses atteintes, certificat de déclaration MP épaules et coudes remis, visite de la scierie programmée. Désaccord exposé avec ses frères sur les investissements pour soulager sa manutention.
A partir de la seconde consultation, Christian sera vu en arrêt, à chaque fois sur son initiative. Il verra le médecin du travail à 6 reprises :
- expose un programme de consultations spécialisées et de kiné ; le médecin prévoit une prise de RDV avec le Service d’aide au maintien dans l’emploi (SAMETH) à l’entreprise en vue d’un pré-diagnostic pour aménager la manutention. La tension de Christian est perceptible: il redoute quand il reprendra, les douleurs du travail à la tronçonneuse, des douleurs liées aux manutentions mais aussi appréhende de se retrouver seul avec le frère cadet (« il est dur ») quand l’ainé sera retraité.
-il indique ne pas voir ses frères, pense « ne pas pouvoir continuer à travailler avec eux ».

Evocation d’une activité rêvée (sur un mode très infantile) : envisage sur le camion l’installation d’ un grappin découpeur, d’une cabine mobile ascendante permettant de piloter la grue du grumier à l’abri et sans peine pour y accéder, mais aussi un portique avec ventouses pour les manutentions. Le grappin et la cabine existent sur des grumiers récents mais ce serait compliqué à installer sur son véhicule déjà ancien (1998). Quant au portique avec ventouses, il n’est à l’évidence pas adapté au poste de tri où toutes les pièces de bois sont retournées pour contrôle.
Autre activité rêvée évoquée (plus réaliste) mais la rejette : « je ne peux plus faire de manutention, je ne peux que conduire et je ne veux pas aller au chariot de tronçonnage, parce que là, avec eux, ça n’ira jamais. »
Donc une activité rêvée que Christian refuse de soumettre à la confrontation avec le réel (en envisageant d’en parler avec ses frères) par peur du jugement des pairs qui sont ses frères, car à ce poste se joue la rentabilité de la scierie.

Par la suite, en résumé des autres consultations,
En 2011 dans un contexte d’aggravation de sa santé (multi impactée); dont une dépression professionnelle ; une seule issue est exprimée par Christian : l’inaptitude.

2 -Arrêtons- nous à ce stade de l’histoire clinique :
Faire apparaître le travail clinique dans « une entreprise familiale » :

- Le travail clinique est rendu possible dès la première rencontre. La confiance est là, elle s’est installée d’autant plus facilement que l’abord de Christian est le même qu’avec le médecin précédent, avec lequel la relation de confiance avait été construite au fil des ans. Christian est considéré comme un sujet capable de penser ce qui lui arrive. Pendant l’arrêt, le contact clinique maintenu permet au médecin et au salarié une élaboration qui ne cesse pas durant les 19 mois qu’ont duré les divers entretiens cliniques.
-le travail du clinicien est dans une présentation chronologique, au travers des dialogues retranscrits lors de chaque rencontre avec Christian. Il n’y a aucun commentaire du côté d’une tentative d’interprétation, aucune hypothèse échafaudée, jusqu’à un moment bien identifiable de basculement, prologue au dénouement de toute l’histoire clinique [11].
Le médecin est dans une posture d’aidant. Il apporte à Christian un soutien clinique en situation de rupture prolongée avec le travail (arrêt maladie de plus de 18 mois)).Durant toute cette longue période, il y a une prise en charge (en pointillé, rythmée par les visites de Christian, mais qui continue sur la durée), en coopération avec la médecine de soin, et déclaration de maladie professionnelle avec une écoute non directive, respectueuse, non substitutive de la pensée de Christian ; le clinicien ne se place pas en « sachant » ; trace des perspectives d’ouverture pour l’aider de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve. Des éléments de compréhension sont disponibles pour que Christian à chaque temps de consultation, puisse être dans une aide à penser ce qui lui arrive. Christian utilise chaque rendez- vous pour exprimer ce qu’il ne parvient pas à dire ailleurs : en dehors du cadre clinique, il peine à le faire, à se faire entendre. Ses paroles sont retranscrites. Il apparaît dans la transcription clinique comme sujet qui dit «je ».

-L’évolution de son rapport au travail peut être tracée : La survenue de la dépression l’amène à réduire sa perspective d’action: il passe successivement par les étapes suivantes, qui réduisent de plus en plus ses perspectives pour rebondir :
- au début il indique aimer conduire ; déploie pendant plusieurs mois une réflexion autour des aménagements pour continuer à conduire le grumier, qu’il ne parvient pas à soutenir auprès de ses frères.
-Puis à défaut d’accord sur l’utilité d’investissement de la part de ses frères, de guerre lasse, envisage de chercher ailleurs un emploi chauffeur.
-Enfin souhaite être inapte à la conduite : Christian court professionnellement à la catastrophe.

Il s’agit là d’un tableau de « rabougrissement » du rapport subjectif au travail de Christian. Il paraît de moins en moins en capacité d’explorer les voies lui permettant de se sortir de l’impasse. Il « verrouille »même la seule possibilité qui lui reste, conduire un poids lourd. Cette analyse lui est renvoyée. Le médecin ne « colle » pas au discours de Christian, donne son avis, l’argumente, et tient bon. Par exemple lorsqu’il évoque son intention de chercher un emploi de chauffeur en dehors de l’entreprise familiale, il lui est objecté par son médecin du travail qu’il ne peut sérieusement l’envisager sans repasser auparavant sa FIMO, faute de quoi il resterait inemployable auprès de n’importe quel patron. Le médecin en se mettant à la place d’un employeur permet à Christian de mettre à l’épreuve du réel, ce qu’il rumine quand il est seul.
Quelle sera la place de Christian (en aura- t-il une ?) dans une nouvelle organisation de l’entreprise au départ en retraite de Jean Pierre qui le mettra en contact direct avec cet autre frère qu’il craint beaucoup plus ?
-Ce qui précipite sa décompensation vers la dépression est la perspective d’un départ imminent du frère aîné (rempart vis-à-vis de l’autre frère jugé encore plus « dur »), d’avoir à travailler avec lui.Il tente de se protéger de la souffrance par l’arrêt de travail, qui s’éternise, et pendant lequel il fait le « gros dos ». (Ne peut envisager d’aller discuter de l’avenir avec ses frères)

-Les émotions (de Christian, celles du clinicien, et des autres) sont transcrites : L’expression des larmes, de la colère, de la peur. L’énigme ce sont les larmes de Christian. Elles intriguent. D’autant qu’elles sont présentes à chaque consultation : pendant dix-neuf mois, elles sont témoins d’une tension qui persiste.
Elles sont la marque d’une émotion. L’émotion passe par le corps. Le corps touché par une émotion est alors « en avance » sur l’appareil psychique.
Rien ne les explique au clinicien. Elles sont probablement aussi énigmatiques pour Christian, solide quinquagénaire qui souffre de douleurs articulaires, dont la santé est en train de se dégrader. Avoir mal ne fait pas sortir de larmes. Seule expression d’un conflit (mais lequel), elles restent énigmatiques jusqu’au moment charnière, moment du basculement.

3 -terminons la présentation de l’histoire clinique
-Juin 2011
La dépression survient au moment où Christian renonce à conduire. Il émet le souhait que le médecin de la commission du permis poids lourd ne l’autorise pas à conduire (ce qui revient à chercher un allié pour aller dans son sens, sans en porter le chapeau).
(Attention il s’agit d’une réactivation d’une dépression déjà survenue vers 20 ans, cet élément non mis en relation avec le reste, à explorer)
Ne plus conduire le grumier serait lourd de conséquence pour le fonctionnement de l’entreprise familiale : il est le seul à détenir le permis PL. Il va falloir que Christian l’annonce d’une façon ou d’une autre à ses frères. Mais il ne va plus à la scierie pendant la journée, continue de les éviter, est réticent à leur parler.
Christian tâte le terrain auprès de ses frères. L’occasion de l’annonce lui est fournie lors d’un repas de famille. Christian s’adresse à ses voisins de table en expliquant que peut-être le médecin de la commission du permis ne lui renouvellera pas son permis PL. Mais le destinataire est bien le frère aîné, Jean- Pierre, vis-à-vis duquel il est fuyant, ne peut s’adresser à lui, n’a jamais pu le faire. Jean- Pierre laisse trainer son oreille et a entendu. Cela le décidera à intervenir auprès du médecin du travail et constitue l’épisode- clé de l’histoire clinique.
-Juillet 2011 survenue de l’épisode clé et qui éclaire alors le conflit.
L’épisode clé est représenté par la lecture par Jean Pierre de la feuille dactylographiée par lui, en prenant rendez-vous auprès du médecin du travail :

« Voilà, j’ai essayé de réfléchir à la situation de mon frère et j’ai écrit l’histoire de la scierie X, je l’ai fait lire à mon frère Raymond et il est d’accord avec ce que j’ai écrit et d’accord pour que je vienne en parler avec vous » « La scierie a été créée par mon père. Je suis l’ainé (né en 1949). Mon père est mort brutalement à 50 ans en 1973 (là sa voix se brise). Moi j’avais fait des études de comptabilité, je travaillais à Lyon, Raymond finissait son BTS dans les métiers du bois, Christian avait 14 ans et était à l’école. Je suis revenu. Il a fallu salarier ma mère. Raymond, (né en 1954), a fini ses études et m’a rejoint ; ça n’a pas toujours été facile avec Christian, peu intéressé par les études : il a commencé un CAP d’ajusteur mais ce qu’il voulait c’était conduire. Il nous a rejoints en 1977. Il y avait déjà un chauffeur. Petit à petit Christian a pris ce poste. Avec Raymond, on a travaillé beaucoup de dimanches pour reconstruire la scierie. Christian était plus jeune, il fallait le cadrer.
Mes 2 frères n’ont jamais travaillé dans une autre entreprise, ils ne sont pas souples. On n’est pas toujours d’accord pour les investissements, Christian est plus dépensier. Mais il ne s’intéresse pas à la gestion. Il n’a jamais été capable de faire une facture. Il n’a pas d’enfants, c’est peut-être ça. Sa femme ne travaille pas ou pas beaucoup, donc il n’a pas la même situation que nous.
Et surtout il passe son temps à se plaindre auprès de notre mère (la maison de la mère est contigüe au bureau de la scierie). Il lui téléphone tous les soirs pour lui raconter tous ses problèmes de santé ou c’est elle qui l’appelle. Elle se fait du souci et moi je la trouve souvent en train de pleurer. Mais il a toujours été comme ça : quand nous ne sommes pas d’accord sur la gestion de la scierie, il ne discute pas avec nous, il va se plaindre à notre mère.
Là il est passé, j’ai l’impression qu’il ne veut plus conduire. C’est comme s’il faisait une crise d’adolescence, qu’il n’a pas faite avant.
Moi je suis fatigué, je voudrais arrêter à la fin de cette année »
A l’issue de cette entrevue qui aura duré deux heures, et dont Jean Pierre regrettera qu’elle n’ait pas eu lieu plus tôt (« on se méfiait de vous ») le clinicien organise pour le mois de septembre les conditions de la reprise du travail de Christian. Une lettre au psychiatre sera confiée à Christian :

(..) Il m’apparaît que Mr Christian « craint » beaucoup ses frères, surtout Raymond et qu’il appréhende le départ en retraite prochain (date encore imprécise) de Jean-Pierre, qui a maintenant 62 ans.
Par ailleurs, à la différence de ses frères, s’il est aussi marié, Mr Christian, n’a pas pu avoir d’enfant.

Compte tenu de son âge, de ses problèmes de santé, il bénéficiera sans doute d’un taux d’IPP compris entre 10 et 20% taux qui interviendra pour un départ en retraite à 60 ans, mais il lui reste 7 ans à travailler.
Il avait envisagé de rechercher un travail en dehors de l’entreprise, en conduite camion pour livrer des chantiers, mais de mon point de vue, il n’a aucune chance d’être embauché, s’il n’a pas refait valider dans son entreprise les formations associés au permis PL.
Il faut donc bien qu’il reprenne, au moins quelque temps, dans la scierie familiale. Si les choses se passent mal, je pourrai toujours faire une inaptitude, compte tenu de son handicap physique lié aux maladies professionnelles (donc avec préservation de tous ses droits).

Il me paraît très important que le problème familial puisse être discuté avec vous, car je ne vois pas de solution satisfaisante à court et à long terme pour lui, qui puisse se construire, sans un retour même temporaire dans l’entreprise familiale.

4 -examen du travail clinique à partir de l’épisode- clé.
Le conflit intriqué (familial et professionnel dans lequel l’employeur est le frère et le patron de Christian) participe au stress chronique et à la fragilisation de Christian [12], exposé au quotidien à des sollicitations fortes du corps au travail des grumes et à la préparation manuelle de commandes.

La confiance instaurée dès le premier contact avec Christian autorise l’accès du clinicien à l’histoire familiale par le frère aîné, qui demande à rencontrer le médecin au cabinet médical et forme un récit ouvrant à la compréhension de la dimension familiale et à sa mise en perspective.
L’exposé par Jean Pierre suivi de la lettre au psychiatre redistribue les cartes en ouvrant vers un déblocage de la situation rendant possible une nouvelle répartition des rôles à la fois dans le travail et dans la famille.
Christian va mieux. L’infléchissement d’un point de vue du salarié qui est initialement raidi, vers un déplacement de son point de vue, lui permet de sortir d’une situation apparemment figée
-Quelle relation peut être proposée entre travail clinique et amélioration de l’état de Christian ?
Ce qui est constaté, c’est qu’à la fin, les larmes ont disparu. Christian va beaucoup mieux depuis qu’il a réussi à convaincre ses frères de l’achat d’un autre camion. Le camion, c’est sa spécialité : il a été écouté et entendu : au niveau de ses frères, la situation a aussi évolué. Il découvre qu’on peut lui faire confiance. Il a accepté de se former pour piloter le chariot de tronçonnage. D’occuper un poste clé pour la rentabilité. Il s’inscrit dans une perspective de continuité de l’entreprise familiale, lui qui était regardé par ses frères comme un adolescent prolongé. Christian a réussi à redistribuer la donne : tout à la fois : à prendre sa place à leurs côtés, reprendre la place du frère aîné et à chambouler les rapports à l’intérieur de l’entreprise [13].

5- comment caractériser le travail clinique à partir de cette monographie ?

L’objet du travail clinique ici est d’aider Christian à avancer dans sa situation vécue comme bloquée. Donc un travail dans la durée, sur sa rumination, sur les situations professionnelles rêvées par lui, face à la résistance qu’oppose le réel.

Le travail clinique avec Christian consiste à soutenir et discuter pas à pas des transformations possibles d’une activité rêvée à une activité réalisable, ce qui a pu se traduire par des rapports temporairement difficiles du médecin avec l’employeur.
Plus généralement, le médecin soulevant le couvercle d’une casserole qui bout, peut se trouver face à des réactions (de colère, d’agressivité) d’employeur qui ne lui sont pas en réalité, adressées.

CONCLUSION générale

1- Multiplicité du Matériel ou matériau clinique
« Sentir » dans un récit de quoi il retourne, faire le vide, être disponible, sans a priori sur ce qui est relaté.

Les affects, émotions du sujet sont du matériel. En clinique médicale du travail, comment à la fois être attentif, observer les postures, et prendre des notes ?
-les émotions des collègues de travail, de l’employeur (par ex sa colère) sont aussi du matériel. L’employeur est aussi un individu au travail et ses réactions (par exemple l’expression de son indignation, de sa colère vis-à-vis du médecin du travail) constituent aussi du « matériau clinique »dans le registre des émotions, comme celles du sujet reçu au cabinet médical.
-les réunions de travail dans l’entreprise, avec le SAMETH constituent aussi du matériau pour la clinique médicale du travail.
- Temporalité : le temps (déployé sur la durée) est aussi matériau clinique -le temps du travail clinique : il n’y a pas de temps privilégié. Le médecin du travail laisse la porte ouverte au récit, que ce soit lors d’une visite d’embauche, d’une visite systématique ou lors de visite spontanée. Le temps d’élaboration pour le sujet et le clinicien -la monographie (et le temps nécessaire à sa construction) est une aide essentielle pour le travail clinique en médecine du travail [14].

Voici l’extrait [15]:
« La clinique médicale du travail ne peut naître et se déployer sans la prise en compte d’un tiers facteur qui est la temporalité , le déroulement du temps, qui permet aux évènements de travail, puisque c’est d’eux dont il est question, de s’inscrire dans le corps, de s’y incorporer physiquement et psychiquement, d’y laisser des marques. Ces éléments-micro histoire en rapport avec l’activité de travail réellement déployée, et dynamique de construction ou de fragilisation de la santé au travail appréhendée par la clinique médicale du travail, -ne peuvent être mis en relation et véritablement articulés, que si une observation régulière, avec prise en compte des faits notables et des non-faits, des bonheurs ou des malheurs, ou tous autres bouleversements, même minimes, est rendue possible par l’organisation systématisée des recueils. Cette compilation constitue un matériel précieux et utile, le moment venu, afin de permettre une analyse donnant accès au sens des constats délétères ».

2 un mouvement en boucle de compréhension et élaboration

Quelles seraient les témoins d’une élaboration du sujet, après un travail clinique ?

Le travail clinique consiste à faire des liens entre des éléments relatifs à la santé et l’activité, les exposer au salarié, dans un mouvement d’essai de compréhension/ élaboration. La recherche d’éléments de certitude pour rendre compte de la portée du travail clinique, comme résultat de la consultation, est une entreprise totalement vaine.
Ces liens peuvent se manifester de façon plus ou moins forte. Le salarié peut parfois en témoigner dans le registre des émotions (pleurs, visage qui s’éclaire, rougissement, etc.) montrant qu’il fait sien, incorpore ce qu’il entend, et qui est en cours d’élaboration dans le travail clinique en train de se faire avec lui) ou ne rien manifester.
La démonstration d’un lien de causalité n’est jamais obtenue ni recherchée. Le terme de recherche de la preuve hérité de l’imputation, du médico-légal, en rapport avec un souci d’indemnisation, n’a aucune place dans ce champ. Ce sont les interrogations, questionnements qui restent comme traces cliniques que le salarié emporte avec lui , qu’il se les réapproprie ou non, qu’il les incorpore ou non, qui constituent le travail clinique.

AD, AG - juin 2013
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[1] En situation de crise, il est relativement possible cependant de se faire expliquer le travail, « quand ça allait bien », et par contraste avec la situation actuelle de crise.
[2] Le terme de monographie en médecine du travail serait un emprunt à la sociologie.
[3] A la recherche d’éléments objectifs en vue du diagnostic.
[4] Nous estimons qu’avant 1994, (congrès de Besançon, 7 à 10 juin 1994) aucune monographie n’est rédigée en médecine du travail.
[5] Programme interrégional SAMOTRACE-monographies cliniques.
[6]Le terme de clinique médicale du travail est employé pour la première fois dans les cahiers SMT dans deux articles du n° 18, en juin 2003. La première présentation a lieu en 2006 au congrès de médecine du travail de Lyon.
[7] Un travail collectif sur les pratiques professionnelles, à partir de monographies, permet de les faire progresser. (Avis partagé par la HAS) C’est le travail effectué en GAPEP. (Avec l’organisme E-PAIRS- voir son site)
[8] Il semble que ce diagnostic n’ait pas été porté auparavant à la connaissance d’Arthur, voire jamais encore énoncé.
[9] La lire sur la monographie jointe en annexe.
[10] Avec la perte son premier emploi en boulanger, Arthur a perdu un travail dans l’autonomie, était son maître, et dans lequel la confiance de son patron était acquise.
Le travail de boulanger : travail exigeant, demandant beaucoup de concentration, anticipation, (il faut penser à l’opération suivante sans se laisser distraire), minuté, mais sans forte nécessité de s’entendre avec les collègues : travail individuel, chacun à sa tâche. Plasturgiste: travail individuel. Travail au montage des fermettes : travail de forte exigence collective (coordination entre les monteurs) et travail dans l’instant (pas de projection nécessaire dans l’instant suivant, c’est fermette après fermette)
[11]ce qui fait la différence avec une consultation Souffrance et Travail, dans un cadre d’extériorité, consultation pour laquelle clinicien dispose de beaucoup de temps pour comprendre.
[12]La bibliographie du côté de la place des phénomènes inflammatoires rendant compte à la fois des atteintes du corps et de la dépression professionnelle est très importante. Son apport commence à être exploré en médecine du travail.
[13]L’auteur de la monographie considère que cette histoire n’est pas réductible à une histoire familiale, pouvant être élargie à une entreprise non familiale, dont les rapports entre les salariés, et entre salariés et la hiérarchie, seraient également anciens.
[14]voir article HUEZ BARDOT, 2003 prémonitoire.
[15]Extrait du même article « clinique médicale du travail et souffrance au travail : les dépressions réactionnelles professionnelles »
F.BARDOT, D.HUEZ- travail et Emploi, n°96, oct. 2003 pp55


En annexe :

Texte complet original de la monographie

 

DEBATS

Q = Question ou réaction des participants
R = Réponse des intervenants ou de l’animateur de la table ronde

Q : La question de l’écrit se pose de plus en plus au niveau des médecins inspecteurs. Les gens demandent de plus en plus à avoir accès à leur dossier médical pour en faire dieu sait quoi et parfois aller en justice avec. Quel est le statut de ces écrits ? Doit-on les considérer comme partie prenante du dossier médical ? S’agit-il de notes personnelles avec ce statut de notes personnelles, étiquetées comme telles et à extraire du dossier médical en cas de consultation ou de transmission au salarié ? Ces écrits sont intéressants. Les écrits manuscrits sont de plus en plus rares de la part des médecins du travail en Bourgogne, car ils tapent en notes télégraphiques sur leur ordinateur en regardant le salarié et l’ordinateur car ils ont tous le logiciel Stétho. Les dossiers médicaux manuscrits comme je les ai connus n’existent plus dans ma pratique antérieure. Les dossiers médicaux sont une espèce de liasse, des extraits d’écran avec des notes en abrégé incompréhensibles. Il faut que l’on travaille ensemble sur la question du statut de ces écrits et sur leur forme : manuelle ou informatique.

R : Ce qu’il y a de bien avec les écrits, c’est que c’est le médecin du travail qui décide ce qu’il en fait et quand ces écrits font partie du dossier. Certains écrits sont des notes prises à la volée, sur des papiers volants avec des réflexions notées soit à l’issue de la consultation soit lors de réflexions sur ces notes prises d’année en année. Il y a une dimension temporelle sur ces notes et elles ne font pas partie du dossier selon moi alors. A partir d’un moment, ces notes peuvent se stabiliser et faire partie du dossier médical. Dans l’histoire de la médecine du travail, les premières monographies sont arrivées un peu avant 1993, et on parle de la « Clinique médicale du travail » à partir de 2003. Il s’est passé un certain temps réflexif entre un outil mis en œuvre par un certain nombre de médecins du travail et la clinique médicale élaborée en tant que telle. Quand le médecin du travail décide que c’est une pièce médicale, il la met dans le dossier, avant ce sont des notes qui ne font pas partie du dossier médical !

Q : Je n’ai pas fait beaucoup de monographies dans ma carrière professionnelle mais je ne les jamais laissées dans le dossier du salarié. Les monographies m’ont servi à la construction de notre métier et de nos pratiques. Selon moi, elles ne relèvent pas du dossier, elles nous aident à comprendre ce qu’on fait, à mettre en débat avec d’autres pairs, mais elles ne font pas partie du dossier médical.

R: On ne peut pas aborder la question par du juridique, mais en fonction des questions en rapport avec nos moyens cliniques professionnels. Y aurait-il des éléments, des notes cliniques, qui seraient en dehors du dossier médical ? Certain le pensent car ces notes ne seraient pas travaillées, seraient dangereuses et pourraient être réappropriées par le patient à d’autres fins. J’ai un désaccord total sur ce point et je ne suis pas le seul à le penser. Je pense que tout notre matériau doit pouvoir être dans le dossier médical. On doit donc apprendre à écrire de façon respectueuse pour les gens et lisible pour d’autres professionnels. Y a-t-il des notes personnelles et d’autres non ? Il y a débat et des changements de posture dans la pratique médicale actuellement. Selon moi, les notes appartiennent au dossier médical, les éléments inachevés de la clinique doivent être dans le dossier médical car ils nous aideront ultérieurement. Est-ce que la monographie très élaborée doit être dans le dossier ? Cela n’a pas une importance essentielle ; mais pour moi elle devrait être dans le dossier. La question de fond est : A cause de tout ce qui est en train de nous tomber dessus du côté du juridique, allons-nous commencer à développer une pratique schizophrénique de médecin du travail, alors que ces formes de présentation ne sont que l’aboutissement d’un long travail clinique. Si nous ne pouvons pas tracer par écrit une réflexion clinique professionnelle « en devenir » par des notes cliniques dont l’objet est de servir au médecin et à la santé du sujet, à l’équipe médicale et aux collègues qui vont nous remplacer, alors c’est notre métier qui va s’effondrer ! Attention aux pièges juridiques qui risquent de faire s’effondrer notre métier en générant la peur, alors que la question est celle de l’élaboration de règles professionnelles concernant les « traces écrites » de notre travail clinique dans les dossiers médicaux individuels.

Q : Avec l’introduction des équipes pluridisciplinaires notamment dans les services inter, particulièrement lorsqu’elles fonctionnent bien, c'est-à-dire quand les équipes pluridisciplinaires travaillent avec l’équipe médicale et non pas à côté, est ce que les éléments apportés par ses membres qui ne font pas partie de l’équipe médicale, qui nous permettent aussi de construire une clinique médicale, doivent rentrer dans le dossier médical ?

R : Dans le deuxième cas, il s’agissait du SAMETH, donc pas forcément d’une équipe pluridisciplinaire, c’est indirectement une équipe pluridisciplinaire, car il y a eu une étude ergonomique, ce qui a été l’occasion de réunir le salarié, l’employeur et l’ergonome. Pourquoi ne pas la mettre dans le dossier médical, cela ne me dérange pas ? C’est l’occasion de discuter de l’activité du travail avec le salarié.

R : Dans ce qui fait partie du dossier médical, il y a des pièces données de l’extérieur et signées par leur auteur. Ce qui fait partie du cœur dossier médical, c’est ce qui engage le médecin du travail dans sa pratique, et les documents qu’il reçoit es-qualité médecin du travail. Ce n’est pas un problème secondaire Le dossier médical engage la responsabilité du médecin qui en est le détenteur en responsabilité. Le médecin du travail donne l’autorisation d’écriture nominalement à des infirmières placées sous sa responsabilité technique. Ce qui est dans le dossier médical engage une équipe médicale qui relève du code de la santé publique. Les pluridisciplinaires n’écrivent pas dans le dossier médical et un écrit pluridisciplinaire ne fait pas partie d’un dossier médical. Les IPRP n’ont pas accès au dossier médical et ne le pourraient pas même avec l’autorisation du médecin du travail, du fait qu’ils ne relèvent pas du code de la santé publique. Si le médecin du travail met un document extérieur dans le dossier médical, c’est une astuce pour que le salarié puisse y avoir accès. Mais alors, il en fait partie et devra être transmis au salarié à sa demande.

R : Bien sûr, je n’ai pas dit que le pluridisciplinaire écrivait dans le dossier médical ! L’intervenant IPRP n’a pas accès au dossier médical. Spécifiquement, je laisse le dossier du SAMETH dans le dossier médical et dans le dossier de l’entreprise.

Q : Il faut revenir à la qualité et à la finesse du travail qui a été fait et qui peut être transmis à l’extérieur. La spécificité des éléments dans un dossier de médecine du travail n’est pas comparable à ce que l’on trouve dans un dossier hospitalier. Il y a une spécificité évidente qui repose sur la construction d’une professionnalité, ce qu’ignore l’espace social qui nous entoure. Fait partie du dossier médical ce qui se trouve dans le dossier ! Il y a une obligation de moyen pour le médecin de tenir le dossier. Les éléments sont dans le dossier et accessibles au salarié. Tout ce qui relève de l’aide qu’on m’apporte en termes d’actions en milieu de travail me semble faire partie du dossier. Je suis un clinicien, je mets dans le dossier ce qui me semble utile et je ne pense pas à ce que l’on pourrait en faire sous prétexte que le salarié pourrait avoir accès au dossier !

Q : Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit ! Avec ce qui vient de m’arriver suite à une plainte d’employeur auprès de l’ordre des médecins à mon encontre, j’ai pendant 8 à 15 jours pensé à ce que je pouvais y écrire maintenant sans risque juridique. On devient schizophrène et on ne peut plus travailler ! J’ai ressenti la peur de ce que j’allais écrire. J’ai été convoquée par le conseil de l’ordre pour m’expliquer devant les médecins du conseil de l’ordre, mais en présence de l’employeur et son avocat. J’ai refusé et je serai convoquée devant la chambre disciplinaire, car dans le cas d’une consultation de pathologie professionnelle, j’ai osé écrire ce que j’avais instruit du lien entre la santé et le travail d’une salariée que j’ai vue. L’employeur m’a fait envoyer en conciliation ordinale face à lui ! J’ai refusé le principe de livrer le contenu de mon exercice et de mon contenu médical devant l’employeur et son avocat, malgré les médecins du conseil de l’ordre qui voulaient me demander de justifier en présence de ces derniers, de comment je m’y étais pris et comment j’avais fait pour dire ce que j’avais dit.
Aujourd’hui en médecine du travail, je ne fais que des visites de reprise, et c’est très souvent pour des problèmes de santé en lien avec le travail. Et dans cette situation, je me suis retrouvée à nouveau devant le conseil de l’ordre à cause d’une lettre que j’avais envoyé à un employeur en responsabilité professionnelle. Mais dans ce cas, j’ai ensuite reçu une lettre du conseil de l’ordre qui m’a dit que j’avais bien fait mon travail ! On ne peut pas tenir compte en permanence de la peur de la justice pour bien travailler. Il faut faire attention aux effets de la peur pour notre travail en responsabilité, car la censure vide de sens ne nous aide pas à bien travailler !

Q : Je suis dubitatif sur l’aspect révélation de la transformation miraculeuse de la situation par la compréhension. Est ce de l’écriture à postériori ? J’ai l’impression que c’est un peu conte de fée !

R : Nous avons pris d’extrêmes précautions pour tordre le coup à une affirmation pour établir le lien entre une situation exposée par un consultant et ce que l’on aurait comme résultat. On s’attendait à ces questions, « qu’est-ce qui vous fait dire qu’il y a un lien entre une situation exposée et un résultat ? » On ne sait pas ! Pour la deuxième intervention, le cas de « Christian », il va mieux et on ne sait pas du tout pourquoi. Le fait qu’il ait pensé à ce qui lui arrive, cela peut l’aider. Peut être va-t-il rechuter. Pour la première intervention, « Arthur », c’est encore moins net, il passe son temps à ne pas être d’accord avec les propositions qui lui sont faites et qui n’ont d’intérêt que de relancer sa réflexion. Il n’écoute pas ce que lui dit le médecin du travail qui lui conseille de ne pas démissionner, et il démissionne ! Et au bout du compte il a raison, il va mieux.
Les deux cas choisis sont des cas ordinaires de salariés qui viennent, l’un en visite d’embauche et l’autre en visite périodique. Ce ne sont pas des cas de visites à la demande quand les salariés viennent avec un dossier très épais ou quand ça ne va pas. Ce qui se passera ensuite on ne sait pas.

mise à jour 15-Nov-2014